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«Le printemps arabe est une nouvelle étape dans l'histoire»

Dans le cadre du partenariat du «Collège de France» avec le Maroc, le professeur et historien français, Henry Laurens, a donné plusieurs cycles de conférence autour du monde arabe à la lumière des événements actuels.

17 Mars 2011 À 17:44

LE MATIN : Comment qualifiez-vous le partenariat établi entre le Collège de France au Maroc et le Centre Jacques Berque ?

HENRY LAURENS :
Établir un certain nombre de partenariats, dans différentes zones géographiques du monde, fait partie de la politique générale du Collège. Dans le monde arabe, nous avons déjà un partenariat avec la Tunisie, le Liban et nous sommes tout à fait heureux d'avoir établi, grâce au Centre Jacques Berque, un partenariat avec le Maroc. Cela nous permet de montrer le Collège comme une sorte de vitrine de la recherche française.

Vous êtes spécialiste des relations Orient-Occident. Quelles analyses faites-vous sur ces relations ?

C'était l'un des grands thèmes de ma Chaire au Collège de France. Celui de l'histoire contemporaine du monde arabe. Mais, honnêtement, je suis plus spécialiste de l'histoire du Proche-Orient que du Maghreb. J'ai beaucoup travaillé sur les problématiques de l'histoire de la colonisation, de l'orientalisme, de l'Orient-Occident, c'est-à-dire, à chaque fois que les demandes se trouvaient en situation de rencontre. Je me pose plus en historien généraliste qu'en historien spécialiste d'une région ou d'une autre, et ce en partant des héritages de l'histoire de chaque pays.

Vous avez inauguré le cycle « Le Collège de France au Maroc » avec la conférence sur « Les rapports entre métropoles et colonies du XVIe siècle à nos jours ». Que vouliez-vous démontrer à travers ce thème ?

C'est une espèce de grande fresque dans laquelle j'ai essayé de démontrer les transformations dans l'histoire du rapport colonial avec la métropole qui servait d'élément intermédiaire, c'est-à-dire le système colonial lui-même. Comment se fait-il que les métropoles qui connaissaient un mouvement irrésistible de la démocratie, de la légalisation des conditions sociales et politiques pouvaient gérer en même temps un système profondément inégalitaire et dominateur qu'était le système colonial. Il y a une contradiction que j'ai analysée à partir du XVIe siècle jusqu'à la fin du XIXe siècle. L'autre idée de la conférence était de placer la métropole dans le contexte que lui donnent les géologues. À partir du fait que la métropole est un foyer d'attraction, j'ai montré que le paradoxe historique au moment des indépendances devient l'ancienne métropole dans le sens culturel, politique, économique et humain. Pour les anciennes colonies, il suffit de voir les mouvements de population, les flux économiques et culturels. La métropolisation s'exerce au moment même où la relation coloniale disparaît.

Quelles sont, donc, les conséquences de ces relations ?

Ce sont des relations qui posent des problèmes de circulation. Mais les politiques des fermetures des mouvements des populations conduisent paradoxalement à les renforcer, parce que les migrants qui passent malgré tout ne bougent plus. Si on avait une structure beaucoup plus ouverte, les gens ne s'arrêteraient pas dans un lieu, mais circuleraient entre les lieux. Cette notion de circulation est très importante. Mais très difficile à accepter aujourd'hui par les autorités ou par les opinions publiques.

Un de vos sujets de prédilection est la relation franco-arabe. Quel rapport avec Jacques Berque ?

En abordant ce thème, je suis parti de Jacques Berque pour lui rendre un vibrant hommage, du fait qu'il a déjà fait état du sujet en 1956 dans un contexte très difficile, en parlant de la chose franco-arabe. En tant qu'historien, j'ai raconté cette chose à partir de la fin du XVIIIe siècle jusqu'à nos jours.

Vous avez participé également au séminaire traitant des événements dans l'actualité dans le monde arabe. Quel était l'intérêt de cette rencontre ?

Le séminaire a représenté un lieu de dialogue et d'échange entre tous les intervenants. Nous avons discuté des différentes interprétations des mouvements de ces dernières semaines dans le monde arabe. On s'est posé des questions, fait des suggestions. Chacun de nous a donné son point de vue sur ce qui se passe.

Que pensez-vous, en tant qu'historien, de ce printemps arabe ?

C'est une nouvelle étape dans l'histoire. Elle est surprenante. Personne ne s'attendait à ces soulèvements populaires. Mais, jusque-là, on ne peut rien dire, car les historiens sont plutôt bons pour prédire le passé et ses signes énonciateurs. De mon point de vue, ce sont des événements riches de virtualité, de potentialité, mais aussi de difficultés. Ce qui a poussé d'autres pays, où il n'y a pas de révolution, à prendre des mesures préventives, sociales et politiques. Ce sont des signes d'ouverture qui peuvent progresser dans l'avenir. Le cas du Maroc est exceptionnel. C'est un pays qui accepte le système de la monarchie constitutionnelle. Moi personnellement, je ne connais pas de Marocains qui ne soient pas monarchistes. Il faut seulement redéfinir les progressions des nouveaux modes de gouvernement. Disons que l'avenir sera plus ouvert.
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Un analyste érudit

Né en 1954, Henry Laurens est un historien français, auteur d'ouvrages de référence sur le monde arabo-musulman.
Agrégé d'histoire et diplômé d'arabe littéraire à l'Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco), docteur d'État, Henry Laurens est depuis 2004 professeur au Collège de France, où il est titulaire de la chaire d'histoire contemporaine du monde arabe. Il est membre du comité éditorial de la revue Maghreb-Machrek et dispense, également, un enseignement à l'Inalco. Les ouvrages de Henry Laurens sont d'une grande importance historique, notamment «l'Expédition d'Égypte», la biographie de Lawrence d'Arabie et la période contemporaine, en particulier la question de la Palestine.
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