«La nouvelle Constitution oblige tout responsable à la reddition des comptes et ouvre nombre de perspectives dans la lutte contre la corruption»
La stratégie du gouvernement est le produit d'une large concertation entre acteurs économiques et sociaux, mis en œuvre dès 2005.
LE MATIN
23 Octobre 2011
À 15:48
LE MATIN : Le Maroc a été l'un des premiers pays à signer la Convention des Nations unies contre la Corruption et à l'adopter. Il a également ratifié la Convention arabe contre la corruption et est membre fondateur du Réseau arabe contre la corruption.Il faut aussi savoir que l'actuelle Constitution du Royaume stipule la primauté des conventions internationales sur les lois nationales Quelle lecture faites vous de cette convention ?
SAAD ALAMI : La Convention des Nations unies contre la corruption, signée en décembre 2003 à Merida au Mexique et entrée en vigueur en 2005, constitue un cadre général de renforcement des capacités des États parties et un soutien à leurs efforts dans la prévention et la lutte contre la corruption qui est un phénomène lié à un certain nombre de crimes organisés comme le trafic de drogue, trafic d'armes ou d'êtres humains mais pas seulement. C'est ainsi que la communauté internationale a pris l'initiative de faire une convention à l'intérieur des Nations unies pour lutter contre ce fléau de la corruption, pour compléter le dispositif onusien contre le crime organisé et la lutte contre la drogue. Le Maroc a signé la Convention des Nations unies Contre la Corruption en 2003, l'a ratifiée en 2007 et l'a publiée dans le BO en janvier 2008. Cette ratification a constitué une étape décisive pour notre pays dans sa façon de faire face à la question de la corruption même si je dois le souligner la moralisation de la vie publique est un processus qui a commencé à l'indépendance avec le Dahir de 1958 instituant la fonction publique et qui prône des règles d'éthique et de bonne gouvernance. Le code pénal compte également un dispositif de lutte contre la corruption. Il reste que la lutte contre la corruption, la bonne gouvernance de manière générale a connu une forte inflexion depuis cette dernière décennie avec l'avènement du nouveau règne.
Parmi les premiers concepts lancés par le Souverain, il y avait le nouveau concept d'autorité et la moralisation du secteur public qui a constitué un axe fort dans tous ses discours comme en témoigne le discours du 9 mars dernier où Sa majesté affirme la consolidation des mécanismes de moralisation de la vie publique et la nécessité de lier l'exercice de l'autorité et de toute responsabilité ou mandat publics aux impératifs de contrôle et de reddition des comptes ainsi que la constitutionnalisation des instances en charge de la bonne gouvernance, des droits de l'Homme et de la protection des libertés. dans la nouvelle Constitution, il a été procédé à la constitutionnalisation de différentes institutions chargées de la moralisation de la vie publique et de la bonne gouvernance, notamment l'Instance nationale d'intégrité et de prévention de la corruption, le Conseil de la concurrence, le Conseil national des droits de l'Homme…qui consacrent les principes de bonne gouvernance et de transparence.
Il reste cependant que la corruption est devenue endémique et les classements de Transparency international et d'autres Organisations internationales mettent en évidence cette situation et l'augmentation de la pauvreté ?
Si on se réfère aux classements faits par Transparency, on trouve certains pays classés au bas de l'échelle mais qui ne le méritent pas eu égard aux efforts qu'il font, c'est le cas du Maroc et d'autres pays mieux classés mais où la corruption est forte. Le Printemps arabe est venu corroborer ce que je vous dis. Cette dynamique a montré que dans les pays où il y a une marge importante de liberté de la presse qui parle librement de la corruption, ces pays sont mal classés. Il faut rappeler que des organisations comme Transparency travaillent sur les informations rapportées par la presse qui sont un matériau important d'appréciation du niveau de la corruption. Dans les pays, où il n'y a pas de liberté des médias qui ne se risquent pas à faire état de sujets comme la corruption, ces pays avaient un bon classement. Je vous laisse juger…
Il reste que la corruption est largement présente au Maroc ?
La corruption est un phénomène qui n'épargne aucun pays, cela a été dit dans le préambule de la Convention des Nations unies signée à Merida. Oui la corruption est présente au Maroc, comme est présente une forte volonté de la combattre à tous les niveaux de l'Etat et inscrite dans la nouvelle Constitution, fruit d'une évolution qui ouvre des perspectives. La stratégie du gouvernement produit d'une large concertation entre acteurs économiques et sociaux, mis en œuvre dés 2005 témoigne de cette volonté en terme d'acquis institutionnels et d'acquis juridiques et adoption de textes de lois qui organisent le dispositif national de lutte contre la corruption.
Je citerai rapidement la création de l'instance centrale de prévention de la corruption, et sa Constitutionnalisation à l'instar des autres organes de gouvernance inscrits dans la constitution et contenues dans les dispositions de l'axe 7 du discours royal du 9 mars 2011 comme le Conseil de la concurrence, la Création de la Cour des Comptes et des cours régionales des comptes, la suppression du tribunal spécial de justice, le développement de Diwan al Madalin, celui du Conseil consultatif des droits de l'Homme en créant un Conseil national des droits de l'Homme (Le Dahir n° 1.11.19 publié le 11 Rabiâ I, 1423 (1 mars 2011), la création d'une unité de traitement des informations financières, la création de la Commission ministérielle présidée par le Premier ministre, chargée du suivi de la mise en œuvre du programme d'action gouvernemental de la prévention et de la lutte contre la corruption, en date du 7 décembre 2009. A cela s'ajoute un dispositif législatif comme la Loi relative à la lutte contre le blanchiment d'argent, loi relative à la gestion déléguée des services publics, loi relative à l'organisation financière des collectivités locales et de leurs groupements, loi relative à l'échange électronique des données juridiques, loi portant création de la carte nationale électronique et son décret d'application, lois relatives à la déclaration du patrimoine par les fonctionnaires de l'Etat et loi sur les partis politiques.
Concernant la protection de ceux qui dénoncent, il existe dans les pays européens une directive qui oblige les fonctionnaires à dénoncer tout acte délictueux et ce au-delà du droit de réserve. Pourquoi ne pas s'en inspirer au Maroc ?
La loi marocaine prévoit un dispositif qui permet à toute personne de dénoncer un acte de corruption, en étant protégée. Un texte vient d'être adopté par le Parlement début octobre et nous sommes en train de préparer un autre texte pour changer la disposition du secret professionnel qui empêchait la divulgation des actes de corruption. Cette disposition de loi fera obligation au fonctionnaire de délivrer toute information en sa possession concernant tout délit. Un autre texte de loi est relatif au droit à l'accès à l'information est en préparation car la transparence est fondamentale dans ce domaine.
Une équipe d'experts des Nations unies était présente au Maroc. Quelles sont les conclusions de leur rapport ?
L'équipe a travaillé depuis un an sur l'examen de la mise en œuvre des mécanismes qui ont été adoptés lors de la 3e convention des Nations Unies qui s'est tenue à Qatar en novembre 2009. Selon les termes de cette convention, il y a eu un tirage au sort des pays qui seront audités et un autre groupe de pays qui seront auditeurs. Chaque pays se fait audité par des experts de deux autres pays. C'est ainsi que le Maroc a été audité par des experts d'Afrique du Sud et de Slovaquie. Le mécanisme d'examen est l'un des instruments les plus importants adoptés au niveau international afin d'évaluer le degré de mise en œuvre par les États parties des principes et objectifs énoncés dans la Convention. Le premier mécanisme c'est l'autoévaluation, et dans ce cadre nous avons répondu à 1200 questions très précises institutionnelles, juridiques, comptables en trois mois à Vienne. Le corpus de réponses c'est quelque 600 pages rédigées par une commission intergouvernementale pilotée par le ministère de la Modernisation du secteur public. Le rapport liste les mesures prises au niveau national et fait l'inventaire des nombreuses réalisations du Royaume du Maroc dans ce domaine.
Il mentionne ainsi, les organismes et institutions qui ont été créés ou soutenus telle l'Instance nationale d'intégrité et de Prévention et de la lutte contre la corruption qui a été constitutionalisée, de même que les dispositions introduites explicitement dans plusieurs articles de la constitution et qui institutionnalisent les valeurs de la participation, du pluralisme, de la bonne gouvernance, de l'égalité des chances, de la justice sociale, et l'obligation pour le pouvoir en place de rendre compte.
Sur l'aspect relatif au système juridique, le rapport souligne les acquis les plus importants de la réforme constitutionnelle de juillet 2011 et se réfère à un ensemble de lois édictées telle la loi sur la lutte contre le blanchiment d'argent, et la loi qui édicte la motivation par l'administration publique de toute décision administrative négative, en plus de la loi sur la protection des victimes, des témoins, des experts et des dénonciateurs de crimes de corruption, détournement, et d'abus de pouvoir, ainsi que d'autres lois qui vont dans le même sens.
Ce rapport se réfère également aux conférences auxquelles le Maroc a participé ou qu'il a organisées en coopération avec certains de ses partenaires et qui témoignent de sa volonté politique à contribuer activement aux efforts internationaux pour lutter contre la corruption.. La dernière partie du rapport, concerne l'évaluation du mécanisme d'examen et les contraintes apparues durant la première année de sa mise en œuvre, et fait des propositions pratiques pour la promotion d'un tel mécanisme pour transcender par exemple la difficulté des systèmes juridiques différents du système juridique de l'Etat sous revue. Des amendements ont été proposés et nous avons donné notre accord pour la venue d'autres experts pour se rendre compte de ces réalités.
Depuis que s'est il passé ?
Des réponses ont été apportées par Les Nations unies qui ont envoyé une équipe en juillet dernier au Maroc pour discuter de nos amendements et d'autres sujets. Le rapport est aujourd'hui à sa phase finale. Quelles que soient les conclusions du rapport, il faut souligner que le Maroc a tiré les conclusions de sa phase d'autoévaluation dans ses points forts et ses capacités institutionnelles de contrôle et ses points faibles qu'il faut améliorer. Dans ce sens, notre plus grand point de faiblesse c'est notre déficit de communication et notre déficit de synergie de tous les intervenants dans ce domaine.
La plus grande faiblesse, n'est-ce pas l'impunité et le manque de sanction ?
La nouvelle Constitution a intimement lié la responsabilité à la reddition des comptes. Tout ces efforts n'aboutiraient à rien si effectivement les actes de corruption et leurs acteurs ne sont pas punis par la loi. Il faut cependant relativiser car un grand nombre de dossiers sont devant la justice qui suit son cours aujourd'hui avec les grands dossiers.