Dans la neuvième partie consacrée au « Roman d'Ibn Khaldoun» intitulée «Face à Tamerlan, le fléau du siècle», que publie en exclusivité «Le Matin» en plusieurs épisodes, Bensalem Himmich évoque un autre protagoniste de l'Histoire : Tamerlan, alias Timur le boiteux.
LE MATIN
24 Juin 2011
À 14:39
Le départ eut lieu, après quelques reports, au début du mois Rabi I de l'année 803. Tout ému, Abdel embrassa sa femme et sa fille, serra dans ses bras Chaabane en lui recommandant particulièrement de veiller sur sa famille, puis se rendit à la citadelle où Yachbek lui souhaita la bienvenue et lui offrit une mule maghrébine venant des écuries privées du sultan mérinide, et équipée d'une selle dorée et d'une bride incrustée de pierres brillantes. Après avoir été présenté au sultan Faraj en compagnie des autres juges, il prit place au milieu des corps de cavaliers et de fantassins qui se rendaient à Gaza par la route côtière, en vue d'atteindre la capitale syrienne. Un silence fait de prudence et de craintes régna sur les colonnes tout au long du trajet entre Gaza et Damas, en passant par Chaqhab sous le mont Ghabagheb. Le mutisme des hommes était aggravé par les informations alarmantes qui parvenaient sur les Mongols et leur chevauchée dévastatrice dans les régions qu'ils traversaient pour atteindre Baalbek, d'où ils se dirigeaient maintenant vers la place forte de Damas. Abdel interrogea Yachbek sur le plan de campagne dressé par les chefs militaires contre Tamerlan. Celui-ci expliqua qu'il avait opté pour la défense et rien que la défense de la ville, afin de lasser le chef mongol et de le dissuader de l'attaquer et d'y pénétrer.
Le temps jouerait en faveur de l'armée de Faraj, à condition qu'elle sache le gérer. Car Damas est une ville fortifiée qui résiste aux archers et où les vivres suffiraient pour un long siège. Une guerre qui n'en est pas une, pensa Abdel. Sans attaque frontale et massive contre l'ennemi, ni champs de bataille rangée où les deux armées viendraient se mesurer l'une à l'autre, en opposant leurs forces et leur arsenal meurtrier. Une guerre d'observation et d'opérations sporadiques rapides, où il n'y a ni vainqueur ni vaincu. Elle se prolongerait jusqu'à ce que le Mongol, exténué, retournerait à ses autres conquêtes, ou bien que le Mamlouk, souffrant de son retranchement, se replierait sur sa base de départ. Au début de son séjour damascène, Abdel se consacra entièrement à ses étudiants de l'école Adiliya où il était logé. Il leur donna des leçons sur la jurisprudence des quatre écoles canoniques du droit musulman, sans parvenir à les y intéresser vraiment.
Et quand il se rendit compte qu'ils étaient exclusivement préoccupés par la situation de la ville et les nouvelles des Mongols, il entreprit de répondre à leurs nombreuses questions sur l'histoire présente et la guerre défensive, en recourant ici et là à l'enseignement dont il avait la charge.
Un écrivain prolixe
Philosophe, homme de lettres et auteur prolixe, Bensalem Himmich figure parmi les plus grands spécialistes d'Ibn Khaldoun, auquel il a consacré plus d'un ouvrage explorant les multiples facettes de l'érudit, historien, diplomate, homme politique et philosophe natif de Tunis. Titulaire d'un doctorat d'État de l'Université Sorbonne Nouvelle en 1983 et lauréat des prix Neguib Mahfoud (2002) et Sharjah-UNESCO (2003) pour l'ensemble de son œuvre, l'auteur, déjà signataire de «Al Allama», «le Calife de l'épouvante» (Serpent à plume), ou encore «Au pays de nos crises» (Afrique-Orient), dresse un portrait dithyrambique d'un personnage qui le mérite amplement. Un homme du Moyen Âge aussi bien sollicité par les despotes éclairés de l'époque que par les gouvernants les plus sanguinaires. C'est que les avis de cet érudit hors pair faisaient autorité au Machrek et au Maghreb et inspirèrent divers courants de pensée.
Si le legs d'Abouzeid Abdurrahman Ibn Mohammed Ibn Khaldoun était placé sous le signe d'une sagesse incommensurable et d'un sens de l'équité proverbial, celui de Tamerlan a été marqué par le glaive et le sang pour assouvir une ambition démesurée et une soif de puissance inextinguible. Ibn Khaldoun sera par ailleurs porté sous peu à l'écran à travers une production d'une dimension panarabe, grâce à un scénario d'excellente facture rédigé par Bensalem Himmich, qui prête régulièrement sa plume au 7e Art. Une contribution en guise d'hommage à un personnage qui aura marqué l'histoire de son empreinte. Ismaïl Harakat