L'humain au centre de l'action future

«Ibn Khaldoun et Tamerlan»

Dans la troisième partie consacrée au « Roman d'Ibn Khaldoun» intitulée «Face à Tamerlan, le fléau du siècle», que publie en exclusivité «Le Matin» en plusieurs épisodes, Bensalem Himmich évoque un autre protagoniste de l'Histoire : Tamerlan, alias Timur le boiteux.

25 Novembre 2011 À 19:24

«[Que ceux qui croient obéissent à Dieu et à ceux qui vous dirigent.] Paroles du plus Grand !
«M'obéir est une obligation légale pour tous ceux que mes conquêtes ont atteints ; toute autre attitude est impie, car l'époque est celle de Timûr, fils de Jaghtay. Et mon pouvoir est établi en toute légitimité et confirmé par les astrologues qui savent scruter le ciel. C'est ce que m'a appris votre savant Ibn Khaldûn, confirmant ainsi ce que je savais et que vous n'êtes pas tous sans savoir… «Juges, puisque j'ai été envoyé pour renouveler l'obéissance à Dieu par celle que tout le monde me doit, alors pourquoi me désobéir et me tenir tête ! «Résiste-t-on à celui qui a conquis les royaumes et les terres ! «Résiste-t-on à celui qui a soumis les peuples et les nations ! «Résiste-t-on à celui qui a battu les rois et les sultans, fait tomber les couronnes et renverser les trônes ! «Le Mamlouk Faraj et son armée devaient couvrir mes voies de roses et de myrte, me jeter du riz et m'asperger de parfum et d'eau bénite. Ils devaient me recevoir avec des dattes et du lait, des embrassades et des étreintes. Mais le fils de l'esclave affranchi a agi avec arrogance et choisi de me faire la guerre. Et quand il est venu m'attaquer, j'ai battu en brèche sa soldatesque et n'en ai fait qu'une bouchée…

«Nos morts sont les seuls martyrs, pieux et bienfaisants.
«Tendez vos mains vers le ciel, et dites Amen, messieurs.
«Seigneur, reçois nos martyrs au paradis des bienheureux.
«Seigneur, accorde-leur tes bienfaits et tes largesses.
«Seigneur, prolonge la vie de Timûr, notre grand Khan.
«Seigneur, soutiens-le et consolide sa victoire sur les Mamlouks et tous les hérétiques et les rebelles. «Seigneur, bénis ses royaumes et protège son autorité et son pouvoir contre les oppresseurs et les mécréants, Amen. » Les juges vacillèrent et balbutièrent machinalement Amen, en s'observant comme s'ils sortaient d'une épreuve harassante qui les confinait, à leur corps défendant, dans une attitude de passivité et de dissimulation. Ibn Muflih se pencha vers Abdel : « Tu as remarqué que l'interprète a rajouté au discours du tyran des paroles de son cru. Mais pour nous, parler est semé d'embûches, que Dieu nous épargne le joug du Khan. »

Les hourrahs des Mongols à l'extérieur de la tente étaient à leur paroxysme, et leur chef semblait flotter sur un nuage de fierté et de plaisir. D'un geste brusque, il fit régner un silence assourdissant. Puis d'un autre geste, on souleva son trône et le porta jusqu'à son harem. Son gouverneur Chah Malek demanda aux juges de précéder le grand Khan devant la Porte Jâbiya pour la cérémonie de la remise des clés avant le coucher du soleil de ce même jour. Il était midi. La chaleur, les difficultés de digestion, la foule des soldats rugueux et violents dans le quartier mongol, l'absence dans le discours du chef mongol de toute allusion au traité d'aman : tout ceci laissait les juges pantois, peu désireux de communiquer ou de parler. Chacun se retira précipitamment dans son logis, afin de prendre du repos en attendant le rendez-vous décisif avec Tamerlan, le fléau du siècle, en ce 19 jûmadâ II de l'année lunaire 803. Sur le terrain de Manjak à la porte Jâbiya, l'air de Damas vibrait au son des tambours, des cornes et des trompettes. La nouvelle de l'arrivée du grand Khan et de l'entrée imminente de son armée dans la ville se répandit parmi les habitants. L'inquiétude et la peur dominaient les esprits, malgré les apaisements de quelques prédicateurs et magistrats et la nouvelle assurant que le décret de l'aman avait été remis par le tyran. Beaucoup pressentaient que les Mongols ne pouvaient changer leur nature agressive au contact de Damas et épargner à la ville soumise massacres et pillages. D'autre part, ils savaient aussi que la résistance de la citadelle serait un acte téméraire voué à une défaite certaine. Ainsi ne leur restait-il que le recours aux prières et aux supplications pour que l'ouragan mongol génère le moindre mal, dans l'attente qu'il se détourne du pays et de son peuple.

Un écrivain prolixe

Philosophe, homme de lettres et auteur prolixe, Bensalem Himmich figure parmi les plus grands spécialistes d'Ibn Khaldoune, auquel il a consacré plus d'un ouvrage explorant les multiples facettes de l'érudit, historien, diplomate, homme politique et philosophe natif de Tunis. Titulaire d'un doctorat d'Etat de l'Université Sorbonne Nouvelle en 1983 et lauréat des prix Neguib Mahfoud – 2002 – et Sharjah-UNESCO – 2003 – pour l'ensemble de son œuvre, l'auteur, déjà signataire de « Al Allama », «le Calife de l'épouvante » – Serpent à plume, - ou encore, « au pays de nos crises », - Afrique-Orient-, dresse un portrait dithyrambique d'un personnage qui le mérite amplement. Un homme du Moyen Age aussi bien sollicité par les despotes éclairés de l'époque que par les gouvernants les plus sanguinaires. C'est que les avis de cet érudit hors pair faisaient autorité au Machrek et au Maghreb et inspirèrent divers courants de pensée. Si le legs d'Abouzeid Abdurrahman Ibn Mohammed Ibn Khaldoun était placé sous le signe d'une sagesse incommensurable et d'un sens de l'équité proverbial, celui de Tamerlan a été marqué par le glaive et le sang pour assouvir une ambition démesurée et une soif de puissance inextinguible. Ibn Khaldoun sera par ailleurs porté sous peu à l'écran à travers une production d'une dimension panarabe suite à un scénario d'excellente facture rédigé par Bensalem Himmich qui prête régulièrement sa plume au 7ième Art. Une contribution en guise d'hommage à un personnage qui aura marqué l'histoire de son empreinte. Ismaïl Harakat
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