L'humain au centre de l'action future

«Ibn Khaldoun et Tamerlan»

Dans la troisième partie consacrée au « Roman d'Ibn Khaldoun» intitulée «Face à Tamerlan, le fléau du siècle», que publie en exclusivité «Le Matin» en plusieurs épisodes, Bensalem Himmich évoque un autre protagoniste de l'Histoire : Tamerlan, alias Timur le boiteux.

08 Avril 2011 À 16:01

Abdel : Sire, Timûr qui signifie chez les Mongols homme de fer et Lang le boiteux a réussi à réunir sous sa houlette les royaumes des descendants de Hulagu et de Dushi Khan, grâce à une force redoutable dont l'intensité augmente à mesure qu'il conquiert peuples et territoires; il s'agit de la force tribale, cette açabiyya que j'ai observée au Maghreb et qui démantèle les Etats opulents et indolents. Quant aux figures de la connaissance et de la ruse chez Timûr, elles sont multiples. Il y a, par exemple, le fait qu'il se soit converti à l'islam en imposant aux Banû Jaghtay de faire de même afin de couper l'herbe sous les pieds de ceux qui appelaient à la guerre sainte contre lui au motif qu'il serait païen ; ou encore l'embrigadement des informateurs et des espions qu'il infiltre dans les pays et jusqu'à l'intérieur des palais, ou encore le fait qu'il répand les champs de ruines au cours de ses conquêtes et qu'il laisse derrière lui des pyramides de cadavres et de crânes afin que l'image de sa suprême cruauté pénètre les cœurs et sape le moral de ceux qu'il s'apprête à attaquer. Ibn Tanisî (sur un ton affecté) : Le Prophète a dit : "Les rumeurs amplifiant ma force me font gagner un mois de marche…” Ce dire est rapporté par Bukhârî et Muslim.

Abdel : Notre Prophète était porteur d'un message céleste qu'il diffusait pacifiquement parmi les gens de bien et par la force contre les païens. Il n'a pas gagné par le nombre et la puissance, mais par le soutien de Dieu et ses inépuisables ressources… Quant à Timûr le boiteux, son seul message consiste à saccager les cultures et massacrer les vivants. Il n'a d'autre but que d'occuper les trônes des royaumes terrestres. Soudoune (d'une voix provocante) : Crois-tu, ô faqih, que ce bédouin, dont tu exagères l'importance, parviendra à nous dominer ? L'Etat mamlouk a-t-il, comme tout autre Etat, un âge qu'il ne saurait dépasser, ainsi que le laisse entendre ta prétentieuse théorie ?

Abdel : L'éternité n'appartient qu'à Dieu seul. Aucun organisme vivant, individu ou Etat, ne peut s'en prévaloir. Quant au tyran mongol, qui a accaparé tout le pouvoir sur son peuple et dont les armées se sont renforcées par les apports des pays vaincus, il ne sera défait que comme le furent les tyrans des empires qui l'ont précédé, le Macédoine, le Perse ou le Byzantin et le Romain et d'autres plus lointains, c'est-à-dire par l'excès de conquêtes, leur étendue spaciale et l'immensité des distances entre le centre et les terres conquises… Dans l'attente que des craquements internes dans l'empire mongol se produisent, il n'y a maintenant qu'à élever des fortifications et dresser des boucliers humains armés autour des cités et des régions vitales qui doivent être protégées contre l'ouragan tatar.

La conquête de nombreux pays par Timûr se fait en règle générale par de longues batailles beaucoup plus que par des attaques rapides, et les Mongols, comme tous les autres conquérants, n'auront à occuper du monde qu'une part qu'ils ne peuvent dépasser, ni d'ailleurs indéfiniment conserver. Que notre seigneur les laisse épuiser leurs forces à annexer les contrées du Nord et parcourir leurs déserts et leurs steppes. Il ne me paraît ni sage ni prudent de les leur disputer.

Un écrivain prolixe

Philosophe, homme de lettres et auteur prolixe, Bensalem Himmich figure parmi les plus grands spécialistes d'Ibn Khaldoun, auquel il a consacré plus d'un ouvrage explorant les multiples facettes de l'érudit, historien, diplomate, homme politique et philosophe natif de Tunis. Titulaire d'un doctorat d'Etat de l'Université Sorbonne Nouvelle en 1983 et lauréat des prix Neguib Mahfoud – 2002 – et Sharjah-UNESCO – 2003 – pour l'ensemble de son œuvre, l'auteur, déjà signataire de « Al Allama », « le Calife de l'épouvante » – Serpent à plume, - ou encore, « au pays de nos crises », - Afrique-Orient-, dresse un portrait dithyrambique d'un personnage qui le mérite amplement. Un homme du Moyen Age aussi bien sollicité par les despotes éclairés de l'époque que par les gouvernants les plus sanguinaires. C'est que les avis de cet érudit hors pair faisaient autorité au Machrek et au Maghreb et inspirèrent divers courants de pensée. Si le legs d'Abouzeid Abdurrahman Ibn Mohammed Ibn Khaldoun était placé sous le signe d'une sagesse incommensurable et d'un sens de l'équité proverbial, celui de Tamerlan a été marqué par le glaive et le sang pour assouvir une ambition démesurée et une soif de puissance inextinguible. Ibn Khaldoun sera par ailleurs porté sous peu à l'écran à travers une production d'une dimension panarabe suite à un scénario d'excellente facture rédigé par Bensalem Himmich qui prête régulièrement sa plume au 7ième Art. Une contribution en guise d'hommage à un personnage qui aura marqué l'histoire de son empreinte.Ismaïl Harakat
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