Quatre ans après ses grands exploits, El Mekki semble ne plus avoir le même succès d'autrefois. Les visites se font rares. Mais tant qu'il y aura des miraculés, ses pouvoirs ne cesseront d'impressionner et d'en faire parler plus d'un.
LE MATIN
26 Janvier 2011
À 14:41
«Les problèmes du monde ne sauraient être résolus par des sceptiques ou des cyniques dont les horizons sont limités par les réalités évidentes. Nous avons besoin d'hommes qui peuvent rêver de choses qui n'ont jamais existé», a dit Jean Fitzgerald Kennedy. Beaucoup auraient tendance à affirmer que le temps de la cour des miracles est révolu. Et pourtant! Il suffit d'aller faire un tour du côté de Skhirate, une ville à proximité de la capitale, pour se rendre compte que si, d'après certains, les miracles existent encore. L'auteur en est le célèbre El Mekki Torabi, le Cherif guérisseur de Skhirate, comme on l'appelle. On dit de lui qu'il est connu comme le loup blanc. Sa vocation le précède. Il a même une renommée internationale. Mais quel est donc son secret ? Comment a-t-il pu se prévaloir d'un tel succès ? A-t-on affaire ici à un don surnaturel ? Il ne semble pas. La réponse est sans doute moins évidente à donner que si on avait affaire à de la médecine dite "scientifique", mais il semble bien que les guérisseurs utilisent en général les ondes magnétiques pour apaiser le corps et l'esprit de ceux qui en ont besoin.
"Voir de ses propres yeux" Nous nous sommes rendus sur place afin de rencontrer cette personne mystérieuse dont les gens disent qu'il «peut deviner le mal en une seule poignée de main». Il est 13h46. Nous arrivons enfin à une ancienne ferme à quelques kilomètres à peine de Skhirate, après plusieurs arrêts pour trouver ce lieu si sacré connu de tous dans le coin. Une dizaine de voitures étaient déjà garées sur le terrain vague à l'entrée. Certaines portaient des plaques d'immatriculations d'autres régions du Maroc. Et une seule immatriculée à l'étranger. Deux hommes nous ont accueillis. L'un des deux nous a guidés. C'était le gardien. Il était hanté pendant des années par des esprits maléfiques. Il est, enfin, guéri grâce au Cherif, dit-il. L'autre nous a invité à presser le pas car le « Cherif El Mekki allait bientôt clôturer la séance». On se presse pour le suivre. Il se dirige vers un comptoir (sorte de boutique de fortune) où se tenait un homme. A ses pieds : des stocks de pains de sucres et des bouteilles d'eau. «C'est la procédure à suivre si vous voulez rencontrer le Cherif El Mekki», nous dit-il. Et d'ajouter en se frottant les mains: «Un pain de sucre et une bouteille d'eau pour chacun. Le sucre, vous le donnez au Cherif ; la bouteille d'eau, c'est pour vous. Cela vous reviendra à 18 DH chacun».
Nous étions quatre. Une femme à côté de lui nous invite à rentrer. «Celui qui veut se faire examiner doit acheter un pain de sucre et une bouteille d'eau. Les autres peuvent entrer les mains vides», lance-t-elle. Nous nous sommes avancés tout droit dans une large allée. Des auvents bordaient les bâti ments, pour protéger du soleil ou de la pluie les visiteurs qui doivent passer des heures dans les longues files d'attente les jours de forte affluence. Nous sommes rentrés dans une salle, ce qui semble bien être une étable aujourd'hui abandonnée. De la terre au sol, pas de luxe donc. Nous qui nous attendions à une salle de consultation ou à un cabinet médical, il n'en était rien. Là, une bonne cinquantaine de personnes étaient assises sur de simples chaises en plastique. Au milieu d'eux, en costume, se tenait le Cherif El Mekki. Rien à voir avec l'image qu'on se faisait du vieux guérisseur traditionnel en djellaba et coiffé d'un turban. Un véritable "fquih" des temps modernes.
Quelques secondes pour diagnostiquer le mal On dirait qu'on arrivait au milieu d'une réunion et que le Cherif menait une discussion avec ses visiteurs. Il nous invite à venir le saluer à tour de rôle. Il parlait doucement et paraissait très sûr de lui. Son charisme impose le respect, son aura peut même être un peu étourdissante. Au moment de lui serrer la main, aucun de nous ne s'attendait à avoir droit à un examen médical, et encore moins devant tout le monde ! C'était choquant, et très gênant. Après une poignée de main ferme, il fait le même examen à tous : après avoir soulevé les vêtements, il effectue une palpation très rapide des principaux organes vitaux : l'estomac, le foie, les reins, le cœur et les seins pour les femmes. Une sorte de passe magnétique qui scanne le corps. Le Cherif, tel un médecin spécialiste, donne son diagnostic en quelques secondes, que l'on pourrait croire vraiment trop rapide pour être précis. «Je ne m'attendais pas à ce que ce présumé guérisseur m'examine devant tout le monde. Je voulais juste le saluer, pensant qu'une salle de "consultation" était prévue ensuite pour parler à huis clos de mes problèmes de santé, mais tout à coup, il se mit à soulever mes vêtements pour m'examiner.
J'étais un peu embarrassé», souligne Khaled. Son ami, enseignant dans un lycée à Taounate, souffre de douleurs abdominales depuis des années. Il a pris les médicaments prescrits par différents médecins et suivi les remèdes des herboristes. En vain. Puis, en dernier recours, il s'est rendu ici. «J'ai essayé les médicaments, mais sans résultat. Je ne savais plus à quel saint me vouer avant de venir ici. Depuis, je me sens beaucoup mieux», dit-il. Et d'ajouter : « Je viens régulièrement chez le Cherif, depuis des mois. Je me présente ici à 8h du matin. J'ai senti une amélioration, et mes douleurs abdominales disparaissent après chaque séance. La main du Cherif contient de la Baraka». Rachid préfère venir le samedi. Il y a moins de monde comparé aux autres jours de la semaine. «Je suis venu la première fois un jeudi. J'y ai trouvé une longue file d'attente. Il faut dire que les "patients" arrivent de toutes les régions du Royaume. Il y en a même qui viennent de l'étranger». Même son de cloche chez Fatima Zahra. «Je ne croyais pas aux miracles. Mais, le jour où j'ai accompagné une amie chez Cherif El Mekki, ma vision a changé. Il m'a examinée avec sa main. Et il m'a dit que j'avais un kiste. Cela m'a inquiétée et j'ai voulu m'en assurer. Et effectivement, j'ai fait un bilan auprès de mon médecin qui m'a confirmé le diagnostic du Cherif. Je n'en croyais pas mes yeux», dit-elle.
Impuissance de la science Youssef n'a que 14 ans, il paraît vraiment plus grand que son âge. Son père nous explique: «Il a une maladie cérébrale très rare et assez inexplicable selon les médecins. Certains m'ont dit qu'il s'agissait d'une tumeur. Mon fils a subi plusieurs opérations chirurgicales au Maroc et à l'étranger, sans amélioration», dit-il les larmes aux yeux. Et d'enchaîner sur le même ton avec des yeux fixées au ciel : «Il est passé par de nombreux traitements sans résultat, alors je me suis dirigé vers le Cherif El Mekki. Surtout parce que la consultation ne coûte rien. Mon fils n'est pas encore guéri, mais il se porte mieux». La séance consiste pour lui à parler, à évoquer son mode de vie, son alimentation, son hygiène physique et mentale et surtout son adaptation à la maladie. Tout ce que la plupart des médecins ne savent plus faire aujourd'hui ou oublient tout simplement d'évoquer. Malades ou en bonne santé, tous étaient là pour écouter attentivement ses diagnostics et ses prières, comme à l'accoutumée, à chaque fin de séance. El Mekki nous invite à nous diriger vers la sortie du bâtiment. Il se tenait en hauteur et demandait aux patients de lever les bouteilles vers le ciel alors qu'il récitait des prières. Il rassemble ses deux pouces et ses deux index pour former un losange. Un signe étrange qui évoque d'ailleurs un rituel païen. Les patients ont quitté ensuite tranquillement la ferme par petits groupes. Ils semblaient soulagés d'avoir quelqu'un disponible pour les écouter.
Les hommes qui travaillent avec Mekki continuent de dessiner une aura autour de lui. On dit que Cherif Torabi possède l'énergie de cinq planètes! Il a un don de Dieu. Il suffit de boire l'eau de la bouteille qu'il touche pour s'attirer les bienfaits de sa Baraka! «Il faut venir régulièrement. Une seule visite n'est guère suffisante», disait une femme qui travaille pour lui. Cette eau bénite contient 25 éléments actifs qui guériraient les maladies! Ces bouteilles, vendues sur place, ont apparemment amélioré l'état des patients qui souffrent de cancer et d'autres maladies chroniques.
Un détour par la Bosnie et la Croatie Le Cherif revient d'une visite en Bosnie. Devant la halle "Zetra" de Sarajevo, il a examiné des milliers de personnes, venues de toute la région, qui l'ont attendu pendant des heures. Cherif a également séjourné en Serbie et en Croatie, pays dans lequel il compte des «clients» réguliers. Mais son passage a été décrit par certains médias locaux comme une humiliation et une duperie de l'intelligence. En tout état de cause, le mystère El Mekki reste intact. A-t-on affaire à une pratique surnaturelle? Apparemment pas. La réponse est sans doute plus difficile à trouver. S'agit-il d'un "pouvoir de guérison" qui viendrait de Dieu ?
Affaire de sous
Bien que El Mekki Torabi tient ses séances gratuitement, comme il se plaît à le dire, car un «don de Dieu ne peut être sujet à rémunération», ses visiteurs en Bosnie ont été cependant tenus de payer l'entrée dans la salle, à hauteur d'un mark (environ 6 DH), tandis que la bouteille d'eau coûte 0,75 mark (environ 5 DH). Cela a occasionné un débat sur le profit généré par la visite du guérisseur. Effectivement, si 5.000 personnes par jour entrent dans la salle, achètent chacun une bouteille d'eau, les gains pourraient s'élever à plusieurs centaines de milliers de marks. Au Maroc, il fut un temps où El Mekki recevait 4.000 visiteurs par jour qui venaient de toutes les villes du Royaume. A raison de 10 DH (le prix du pain de sucre), par personne, la manne est vraiment plus qu'intéressante.