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La schizophrénie linguistique du Maroc

Dans son dernier ouvrage publié aux éditions Le fennec, «Le Drame linguistique marocain», Fouad Laroui met le doigt sur un des problèmes majeurs des Marocains : leurs langues.
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23 Décembre 2011 À 17:25

"On connaissait Fouad Laroui surtout pour ses romans et ses chroniques. Au printemps dernier, il a sorti un essai qui lève le voile sur les problèmes des langues et de l'enseignement au Maroc. Cette recherche très fouillée est en fait un plaidoyer pour la reconnaissance de la « darija », langue maternelle que tous les Marocains (ou presque) parlent ou comprennent, savoureuse et dynamique, mais qui est méprisée, reléguée au rang de dialecte auquel on ne reconnaît même pas le statut de langue.
L'auteur commence par déconstruire le mythe : contrairement aux idées reçues, il semble que la langue arabe classique n'ait jamais été une langue maternelle, c'est-à-dire qu'elle n'a jamais été parlée, même dans l'Antiquité, même aux époques les plus glorieuses de la civilisation arabe. Aujourd'hui encore, dans tous les pays arabe, personne ne parle la « fussha », ce qui la rend très difficile à apprendre. Même ceux qui défendent la pureté de la langue, même les écrivains et ceux qui font de sa connaissance leur métier, ne la maîtrisent jamais suffisamment. À plus forte raison les enfants qui doivent l'apprendre à l'école.

Dans un long développement, Fouad Laroui énumère des difficultés que tout le monde connaît, mais dont personne ne parle, ou alors rarement, à cause de la sacralité de la langue : l'absence de vocalisation, de majuscules, la surabondance lexicale, les règles grammaticales difficiles, etc. Et l'arabisation de l'enseignement dans les années 70 n'a fait, selon l'auteur, qu'aggraver le problème. L'arabe moderne (ou « standard») s'est quelque peu affranchi de la rigidité de la langue classique mais connaît aussi beaucoup de difficultés.
À côté de la langue officielle, au moins trois autres langues peuplent le paysage linguistique marocain : la « darija », langue maternelle de la plupart des Marocains, mais qui n'est pas écrite, sauf depuis quelques temps dans la publicité ; l'amazighe, langue maternelle d'une bonne partie de la population ; le français, langue de l'enseignement, des affaires, de l'administration et, comme le dit si bien l'auteur, «langue de distinction sociale ».
Mais le véritable drame pour Fouad Laroui réside dans la «diglossie » de la langue arabe. Il ne s'agit pas de bilinguisme, car dans le cas de la diglossie, c'est une seule langue qui se scinde en deux branches : une langue écrite, littéraire et une langue orale, qui est la seule parlée. C'est un phénomène qui est presque spécifique à la langue arabe, depuis ses origines.

Quelles solutions alors pour le Maroc ? L'auteur pense qu'il y a trois voies possibles : maintenir la situation actuelle, en continuant à nier la diglossie et en espérant que les deux langues finiront par se rejoindre, éventualité improbable selon l'auteur. La seconde solution consisterait à reconnaître à la «darija» le statut de langue officielle ou au moins à en faire la langue de l'enseignement. Dans la troisième option, plus «audacieuse», Fouad Laroui propose de transcrire la «darija» en caractères latins, pour la rendre plus ouverte aux langues étrangères et pour dépasser tous les problèmes que soulève l'arabe classique. Les Turcs l'ont bien fait en 1928, les Maltais aussi, dont la langue ressemble aux dialectes arabes. Mais ni les Turcs ni les Maltais ne sont arabes. L'auteur est bien conscient que cette dernière option relève de l'utopie. Car l'attachement des arabes à la «fussha» tient autant à la sacralité de la langue qu'à une question de sentiment : la langue arabe est encore le seul lien qui maintient encore l'illusion de l'unité du monde arabe, même si aucune des populations de cet ensemble ne la parle. L'auteur aura eu le mérite d'ouvrir le débat sur un sujet tabou et de jeter un pavé dans la mare, pour en agiter un peu la vase qui sommeille depuis des siècles.

Le français, langue d'écriture ?

Dans l'appendice à son écrit, l'auteur s'attaque à l'autre drame, celui de la littérature marocaine d'expression française, dont on n'arrête pas de prédire la fin, mais qui est toujours aussi vivace. Là encore, l'auteur s'attaque aux idées reçues. Selon lui, les auteurs écrivent dans une langue qui n'est pas leur langue par nécessité et non par choix, justement à cause de la diglossie. Comme ils ne peuvent pas écrire dans leur langue maternelle, ils le font en français, langue plus accessible, plus moderne et qui leur permet de toucher un public large, même s'il n'est pas toujours composé de leurs compatriotes. Mais de toute façon, les auteurs qui écrivent en langue arabe peinent aussi à trouver un public, parce qu'en plus de l'analphabétisme, les populations arabes ne lisent pas beaucoup.
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