Fête du Trône 2006

«La cohérence budgétaire de l'Etat territorial : pour une meilleure articulation des finances locales avec le budget de l'Etat»

Dans un contexte international et régional marqué par des changements profonds, le Maroc s'est engagé dans une dynamique de réformes avec une nouvelle constitution qui consolide l'Etat de droit, consacre l'équilibre des pouvoirs, renforce la responsabilisation, le contrôle et la reddition des comptes et un modèle de régionalisation avancée qui favorise le développement territorial intégré.

13 Septembre 2011 À 17:28

La réforme en cours de la loi organique des finances a quant à elle pour objectif de faire évoluer les finances publiques d'une logique exclusivement juridique fondée sur le respect de l'autorisation budgétaire du Parlement, vers une logique de gestion privilégiant la performance des politiques publiques. Ces trois réformes structurelles constituent les fondements de la cohérence budgétaire de l'Etat territorial. A ce niveau, une multitude d'acteurs interviennent à savoir l'Etat, les collectivités locales les établissements et entreprises publics, les opérateurs privés, la société civile, la Cour des comptes les bénéficiaires des politiques publiques, qui sont les citoyens. La vie territoriale exige une bonne organisation des rôles et de l'harmonie entre les différents acteurs afin de construire un système cohérent fondé sur un contrat social. C'est une équation universelle difficile à résoudre, pour laquelle chaque pays cherche des solutions au plus près de ses réalités, en adéquation avec son histoire, sa culture ses valeurs et surtout en conformité avec les attentes et les aspirations de ses citoyens. Partant de là, la cohérence des finances de l'Etat territorial soulève au moins, trois questions essentielles :
- Quel dosage savant à instituer en matière de partage de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales ?
- Comment assurer à ces collectivités les ressources financières nécessaires sans remise en cause ni de leur autonomie financière, ni des équilibres fondamentaux des finances publiques ?
- Comment asseoir une fiscalité locale, tout en veillant à un niveau soutenable de pression fiscale au niveau national ?
Pour y répondre, je voudrais partager avec vous trois axes d'analyse :
- un bref aperçu de l'évolution historique des finances locales ;
- les principales conclusions de l'analyse chiffrée des finances locales durant les dix dernières années ;
- les commentaires de la Cour des comptes et de la Commission consultative sur la régionalisation relatifs à la gestion des finances locales. Ces axes d'analyse vont nous permettre de dégager quelques voies de modernisation pour une meilleure cohérence entre les finances locales et les finances de l'Etat.

Rappel historique des finances locales
Au lendemain de son Indépendance, le Maroc avait placé la décentralisation au coeur des politiques de développement économique et social du pays. Cette option stratégique trouve son essence dans la déclaration de feu Sa Majesté le Roi Mohammed V du 8 mai 1958, qui a fait de la commune, nouvelle cellule sociale et politique, la base de l'organisation du régime du Maroc moderne. Le fait marquant durant cette période a été, sans nul doute, la consécration constitutionnelle de la décentralisation et de son corollaire les collectivités territoriales, intervenue dans le cadre de la constitution de 1962. Cette période a toutefois été caractérisée par la prééminence des représentants du pouvoir central sur les élus locaux. Durant l'année 1976, sous l'impulsion de feu Sa Majesté le Roi Hassan II une réforme structurelle a été mise en place. Elle a élargi les pouvoirs des élus locaux.
Les pouvoirs publics allaient en outre, durant la décennie 1980, décider :
- en 1986, du transfert au profit des collectivités territoriales d'au moins 30% du produit de la TVA
- et en 1989, de la réforme de la loi relative à la fiscalité locale.
Cet élan de décentralisation a été couronné par la consécration de la région comme collectivité locale dans la constitution révisée de 1992, confirmée dans la constitution de 1996. En 2002, le Maroc a adopté une nouvelle charte communale et une nouvelle loi sur l'organisation des collectivités préfectorales et provinciales consacrant l'unité de la ville qui marque plus de cohérence dans la gestion locale. Ainsi, Sa Majesté le Roi Mohammed VI, dans son discours d'Agadir en 2006, avait tenu «à ce que l'on procède à une révision en profondeur du cadre juridique régissant les collectivités, les préfectures et les provinces».
Il a par ailleurs insisté sur la réforme du système fiscal, financier et comptable, des collectivités territoriales. A ce sujet, une nouvelle loi sur la fiscalité locale a été promulguée en 2007. Elle a :
- supprimé les taxes à faible rendement ou faisant double emploi avec la fiscalité de l'Etat ;
- uniformisé les procédures et le mode de recouvrement des différentes taxes locales ;
- institué un système déclaratif à l'instar de la fiscalité nationale.
La gestion financière et comptable du secteur public local a été également réformée durant les années 2009 et 2010 en procédant à la suppression des contrôles préalables des actes budgétaires exercés par le ministère des Finances.
Cette suppression a toutefois généré sur le terrain un besoin important en termes de conseil et d'assistance des services gestionnaires. A ce titre, la Trésorerie générale du Royaume joue un rôle fondamental de conseil et d'assistance des ordonnateurs locaux, à l'instar de l'appui qu'elle apporte en cette matière aux ordonnateurs de l'Etat.
Que conclure de l'évolution chiffrée des finances locales durant les dix dernières années ?
La Trésorerie Générale du Royaume tient les comptes de l'Etat et des collectivités territoriales. A cet égard, l'analyse de l'évolution chiffrée des finances locales durant la période 2002 à 2010 nous permet de remarquer :
- une augmentation d'environ 108% des recettes globales et un accroissement des dépenses totales de 131%. Globalement, les ressources des collectivités territoriales ont toujours été supérieures à leurs dépenses.
- une prédominance des ressources transférées par l'Etat qui ont constitué en moyenne 55% des ressources des collectivités territoriales entre 2002 et 2010. Les recettes transférées par l'Etat aux collectivités territoriales se composent de 30% du produit de la TVA et de 1% du produit de l'impôt sur les sociétés et de l'Impôt sur le revenu.
- une dépendance des budgets des collectivités territoriales vis-à-vis des transferts de l'Etat qui varie selon le type de collectivité.
Il en ressort que les transferts de l'Etat ne représentent que :
- 35% des ressources des communes urbaines,
- 58% pour les communes rurales
- et 83% pour les préfectures et provinces.
- les communes urbaines ont bénéficié de la part la plus importante des ressources des collectivités territoriales.
- la faiblesse du recours des collectivités territoriales à l'emprunt comme source de financement, malgré l'augmentation de 102% de l'encours de leur endettement entre 2002 et 2010.
- les excédents de trésorerie des collectivités territoriales on atteint 23,6 MMDH en 2010 contre 12,4 MMDH en 2002.
- une prééminence des dépenses de fonctionnement qui ont représenté en moyenne 62% des dépenses globales durant la période 2002 à 2010.
- les dépenses de fonctionnement se composent à hauteur de 61% en moyenne de salaires du personnel sachant que pour l'Etat, les dépenses de personnel représentent 50% en moyenne des dépenses de fonctionnement, pour la même période.
- les dépenses d'investissement des collectivités territoriales ont atteint 10 MMDH en 2010, constituées à raison de 51% en moyenne des travaux neufs et grosses réparations.
- les dépenses d'investissement en matière de santé, d'enseignement, de formation professionnelle, de culture et de sport n'ont bénéficié que de 5% seulement des investissements locaux. Il faut dire que pour ces actions, l'intervention des collectivités territoriales n'est qu'accessoire à celle de l'Etat comme en témoigne la faiblesse des dépenses y afférentes.

Commentaires de la Cour des comptes et de la Commission consultative sur la régionalisation relatifs à la gestion des finances locales
La Cour des comptes et la Commission consultative sur la régionalisation confirment :
- Au niveau des ressources :
- une forte dépendance des ressources transférées par l'Etat ;
- l'absence d'un système adéquat de répartition des ressources transférées par l'Etat et d'un dispositif de péréquation et de solidarité entre les communes ;
- une insuffisance des ressources propres par rapport au potentiel mobilisable;
- un faible recours à l'emprunt (l'encours de la dette n'a atteint que 9,9 MMDH en 2010).
- Au niveau des dépenses :
- le poids prépondérant des dépenses de personnel ;
- des besoins en infrastructures et en services locaux persistants, malgré l'accroissement des excédents de trésorerie ;
- les irrégularités et les retards dans l'exécution des marchés des collectivités territoriales.
- Au niveau de la capacité de gestion :
- une faiblesse de la capacité de gestion des projets ;
- l'inexistence de planification stratégique et de programmation efficiente des crédits budgétaires. D'ailleurs, les communes n'ont pas encore adopté leurs plans de développement, qui est pourtant une obligation légale de par la charte communale de 2009 ;
- l'absence de bases de données pour la programmation annuelle des projets. En plus, les outils de gestion moderne ne sont pas mis en place pour assurer le suivi de l'exécution budgétaire ;
- les budgets communaux ne reflètent pas l'équilibre réel entre les recettes et les dépenses, en ce sens que de nombreux décalages sont enregistrés entre les prévisions et les réalisations, tel qu'ils ressortent des différents comptes administratifs ;
- l'insuffisance de formation des élus et du personnel notamment en matière de marchés publics ;
-la faible maîtrise des règles d'exécution des dépenses.
Face à ces dysfonctionnements, la Commission consultative sur la régionalisation préconise notamment la mise à niveau des administrations des collectivités territoriales et des modes de gestion ; elle préconise également la création d'une agence d'exécution des projets auprès des conseils régionaux et l'extension aux collectivités territoriales des systèmes d'information mis en place au niveau de l'Etat.
A ce titre, les projets informatiques entrepris par la Trésorerie Générale
du Royaume, notamment la Gestion Intégrée des Dépenses (GID) et la
Gestion Intégrée des Recettes (GIR) devront être d'un apport considérable pour lesdites collectivités.

Pour une meilleure cohérence entre les finances locales et les finances de l'Etat
L'article 146 de la Constitution a édicté les principes et règles qui vont faire l'objet d'une loi organique. Ainsi, la Constitution a consacré les principes de libre administration des collectivités territoriales dans le cadre des clauses de compétence générale qui leur sont dévolues.
Elle a déterminé les règles de contrôle de la gestion des fonds et programmes, d'évaluation des actions et de reddition des comptes. L'objectif étant de mettre en place un cadre de gouvernance financière et comptable des collectivités territoriales en harmonie avec les finances de l'Etat.
Quelles sont les voies de modernisation ?

1. Une adéquation entre le transfert de compétences et le transfert des ressources.
Consacré par la nouvelle constitution dans son article 141, il comprend également le transfert des ressources humaines.Ce transfert doit prendre en compte le principe de subsidiarité. Il doit obéir à une démarche de progressivité et de pragmatisme. Il est conditionné par la nécessité de coordination et d'équilibre des pouvoirs au niveau local entre l'élu de la collectivité territoriale, tirant sa légitimité du suffrage universel, et le représentant de l'Etat désigné par le pouvoir central.

2. Une meilleure harmonisation entre la fiscalité locale et la fiscalité de l'Etat.
La convergence entre le système fiscal de l'Etat et celui des collectivités territoriales doit prendre en compte la nécessité de veiller à un niveau de pression fiscale globale soutenable pour les contribuables et favorisant le climat des affaires et le déploiement territorial équilibré des investissements. L'un des schémas possibles pour assurer une telle synergie a été préconisé par la Commission consultative sur la régionalisation, qui a précisé que «pour toute recette fiscale ou parafiscale, la détermination et le contrôle de l'assiette, la liquidation et le recouvrement seront confiés contractuellement aux services spécialisés de l'Etat, contre une juste rémunération des charges qui en résultent».

3. Un système rénové de solidarité interrégionale et de mise à niveau sociale.
A ce titre, l'article 142 de la Constitution prévoit la création d'«un Fonds de solidarité interrégionale visant une répartition équitable des ressources, en vue de réduire les disparités entre les régions». Elle prévoit en outre, la création «pour une période déterminée, au profit des régions, d'un Fonds de mise à niveau sociale destiné à la résorption des déficits en matière de développement humain, d'infrastructures et d'équipement».
A ce sujet, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a clairement annoncé dans son discours à l'occasion du 20 août 2011 qu'«il faudra accélérer le processus d'opérationnalisation du Fonds de mise à niveau sociale et du Fonds de solidarité interrégionale, de manière à renforcer les programmes de l'Initiative Nationale pour le Développement humain visant à combattre la pauvreté, la marginalisation et l'exclusion sociale, par le biais de projets et d'activités générateurs de revenus et d'emplois, surtout pour les jeunes ».

4. Une maîtrise de l'endettement des collectivités territoriales.
Il est fondamental de veiller à la pérennité de l'équilibre budgétaire et financier du secteur public local, par le renforcement des normes et règles prudentielles de gestion budgétaire et financière locale.A cet effet, l'emprunt des collectivités territoriales comme moyen de financement doit être suffisamment bien encadré pour s'inscrire dans le cadre de la politique de soutenabilité de l'endettement du secteur public.

5. Une application adaptée de la nouvelle approche budgétaire axée sur la satisfaction des besoins des citoyens
La gouvernance financière des collectivités territoriales doit :
- reposer sur une convergence avec les finances de l'Etat en matière de programmation budgétaire axée sur les résultats et la performance ;
- intégrer en l'adaptant à leur réalité, le cadre des dépenses à moyen terme ;
- adopter les mécanismes de globalisation, de fongibilité des crédits, de contractualisation et de partenariat avec les autres acteurs locaux.
L'atteinte de cet objectif ne peut trouver sa traduction que dans la mesure où les résultats s'entendent de la satisfaction des besoins réels des citoyens, finalité de toute politique publique.

6. Un contrôle allégé en contrepartie du renforcement de la responsabilité et de la reddition des comptes.
Il doit reposer sur les principes suivants :
- un dosage équilibré entre les marges de manoeuvre de la gestion locale et les impératifs de responsabilisation et de reddition des comptes ;
- la déconcentration des services financiers et comptables de l'Etat au service de la décentralisation ;
- le renforcement du partenariat entre ces services et les collectivités territoriales en matière de conseil financier, d'assistance juridique et de mise à niveau des capacités de gestion;
- l'harmonisation du contrôle des finances publiques (Etat, établissements et entreprises publiques, collectivités territoriales) ;
- le développement des contrôles budgétaires exercés par les Cours régionales des comptes, en leur conférant un pouvoir de décision et non un simple avis comme c'est le cas actuellement ;
- la certification des comptes des collectivités territoriales par les Cours régionales des comptes, comme c'est le cas dans certaines expériences étrangères tel que le Canada et la Suisse.

7. Une convergence des normes de gestion des marchés publics, de la comptabilité et de la production de l'information financière
L'articulation entre les finances locales et le budget de l'Etat nécessite :
- l'harmonisation des règles et des procédures d'achat public entre l'Etat, les établissements et les entreprises publics et les collectivités territoriales. Un projet de texte unifié est d'ailleurs en cours d'adoption ;
- la convergence des dispositifs comptables et des systèmes d'information financière entre l'Etat, les établissements et les entreprises publics et les collectivités territoriales, qui devrait faciliter la consolidation des comptes de tout le secteur public.
La cohérence budgétaire, la convergence comptable et la mise en harmonie des décisions financières entre les finances de l'Etat et les finances locales nous interpellent quant à la nécessité de la consécration de ces principes dans la loi organique des finances.
Et ce, pour les raisons ci-après :
Premièrement : Les transferts financiers de l'Etat aux collectivités territoriales demeurent tellement importants et le seront davantage à l'avenir ;
Deuxièmement : En sa qualité d'« assureur en dernier recours », l'Etat est toujours là pour financer les charges que les collectivités territoriales auraient généré et que les budgets locaux ne peuvent supporter.
Troisièmement : L'approche budgétaire axée sur les résultats doit intégrer les indicateurs de performance des politiques publiques territoriales.

Quatrièmement : En tant que garant du bon ordre financier et comptable, l'Etat est tenu d'élaborer le compte consolidé du secteur public, dont les collectivités territoriales font partie intégrante.
En parallèle à la nécessité de cohérence budgétaire et de convergence comptable, le développement des territoires intègre nécessairement les dimensions politique, sociale, économique et financière. Il doit être mené en étroite association entre les experts et les politiques et avoir systématiquement le citoyen comme point de départ et d'arrivée. C'est justement l'approche initiée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI dans le cadre de la conduite des chantiers structurants, notamment l'élaboration de la nouvelle constitution et le processus de régionalisation avancée. Ces deux réformes d'envergure ont bénéficié d'un appui politique fort accompagné d'un apport substantiel des experts, ce qui préfigure une nouvelle vision et un nouveau style de management public, associant la vision stratégique du politique et le savoir-faire des experts au bénéfice et au service du citoyen. Après l'adoption des lois organiques prévues par la nouvelle Constitution et des textes législatifs relatifs à la régionalisation avancée, les pouvoirs publics sont appelés à focaliser leurs efforts sur la mise en œuvre des différentes réformes découlant de ces textes. Sa Majesté le Roi Mohammed VI a, à cet effet, rappelé dans son discours du Trône du 30 juillet 2011 que les institutions «quelle qu'en soit l'efficacité, risquent de demeurer purement formelles tant que leur action ne produira pas ses effets sur la Patrie, […..], et tant qu'elle n'aura pas d'impact sur les citoyens, en leur assurant liberté, dignité et justice sociale». Il a surtout insisté sur le fait qu'il est important que les partis politiques «donnent leur chance aux jeunes et aux femmes pour favoriser l'émergence d'élites qualifiées, à même d'apporter du sang neuf à la vie politique et aux institutions constitutionnelles». Aussi est-il est nécessaire de procéder rapidement aux réformes relatives à la loi organique des finances, à la loi organique relative aux collectivités territoriales, aux marchés publics, au contrôle et à la comptabilité publique qui devraient être adaptées au contexte politique, économique et social actuel, pour donner du contenu à la volonté politique de responsabilisation, de contrôle, de transparence et de reddition des comptes. Toutes ces réformes et leur mise en œuvre exigent qu'elles soient menées dans le cadre d'un véritable esprit d'équipe et de coordination permanente, qui devrait transcender l'action individuelle.
La multiplicité des acteurs au niveau local peut s'avérer un atout majeur à condition, toutefois, que l'on fasse notre, le proverbe africain qui dit : «tout seul, on va plus vite, ensemble, on va plus loin ».

Trésorier général du Royaume
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