Naissance de SAR Lalla Khadija

Ramadan : hymne à la piété... mais à la panse d'abord !

Le quartier Benjdia se transforme, chaque année, le temps d'un mois, en asile pour d'honnêtes marchands ambulants, mais aussi pour pollueurs, pickpockets, racketteurs…

Figues de barbarie, mangues, avocats et toutes sortes de fruits, «beghrir», «msemmen» dans toutes ses déclinaisons, viennoiserie, jben, poisson frit, poulet… la liste des produits proposés ne risque pas de s'arrêter là.

11 Août 2011 À 18:55

Véritable souk que celui qui élit domicile, chaque ramadan que Dieu fait, à l'entour du marché Al-Houriya (Liberté) de Benjdia. Occupant partiellement plusieurs pâtés de maisons, ce rassemblement de marchands ambulant fait office de haut lieu ramadanesque, étant au Casablancais lambda ce que la fontaine serait au gosier altéré. Toutes classes sociales confondues, les Bidaouis effectuent là une sorte de pèlerinage quotidien, en ce mois de piété et de… banquets imposants à l'heure du ftour !
Ainsi, qu'ils soient à pieds, à vélo ou en moto, en taxi, en petite citadine économique ou en gros et luxueux 4X4, femmes et hommes de tous âges affluent vers ce qui s'apparenterait à une méga kermesse urbaine. Laquelle ayant la latitude de niveler les disparités sociales, puisque toutes les bourses (se valent) se côtoient ici. La «faim» justifierait les moyens, semble-t-il. Car ce souk annuellement improvisé est en fait un hymne aux caprices du palais et à ses plaisirs. Plaisirs à travers lesquels il tient en otage tout Marocain qui se respecte en ce mois de privation, jusqu'à lui faire «commettre» toutes sortes d'emplettes.
À Benjdia, on peut trouver de tout ou, plutôt, on trouve assurément de tout. Le marché Al-Houriya et ce qui s'implante dans ses environs s'avèrent être complémentaires.

À l'extérieur de l'enceinte du marché, on peut mettre la main sur des choses que l'on ne trouverait pas à l'intérieur, et vice versa. Et on y trouve vraiment de tout : figues de barbarie, mangues, avocats et toutes sortes de fruits, «beghrir», «msemmen» dans toutes ses déclinaisons, viennoiserie, jben, poisson frit, poulet… et la liste ne risque pas de s'arrêter là.
Dès que l'on pose les pieds dans l'une des longues ruelles perpendiculaires constituant ce rassemblement dédié au ftour, c'est à une expérience différente qu'on s'apprête à vivre, selon la direction par laquelle on aborde le marché. Chose commune pour toutes les entrées du quartier : les différents sens sont titillés jusqu'à atteindre leur summum de stimulation par moment.
Au-delà de l'ouïe qui trouve submergée par les voix rauques des crieurs, la vue est stimulée par toute une palette de couleurs qui viennent s'échouer sur les rétines à moitié endormies du jeûneur. Mais c'est surtout l'olfactif qui est le plus sollicité en pareil endroit et, de temps à autres, il est même mis à rude épreuve.
En effet, les effluves qui se dégagent de tous ces mets délicieux, notamment l'aspect que ces odeurs revêtent en temps de jeûne, ne peuvent que mettre l'eau à la bouche. Des odeurs que l'on a l'impression de découvrir pour la première fois, hypnotisés que nous sommes par des tripes criant «famine !» Inversement, si l'on prend par l'entrée est (en provenance de la mosquée limitrophe), l'on se retrouve nez à nez avec les bennes à ordures utilisées par l'ensemble des commerçants.

Légumes et fruits pourris, viscères de volailles et de poissons débordant des poubelles ou jetés à même le sol parfois : un décor planté de façon quasi permanente et qui n'est pas sans causer du tort aux passant d'abord, mais surtout aux riverains. «Avec tout ce remue-ménage et la quantité des déchets produits chaque jour, sachant que la collecte des ordures ne se fait qu'en fin d'après-midi, les odeurs font désormais partie intégrante du paysage, de jour comme de nuit, au point que nous avons condamné nos fenêtres et balcons… c'est devenu invivable», se lamente une quinquagénaire habitant à quelques encablures du marché.
Cependant, les maux qui touchent le quartier ne se limitent pas aux actes des hommes peu respectueux de l'hygiène et de l'environnement.

En effet, il y a aussi ces vendeurs qui squattent une partie de la voie publique et qui bloquent la circulation.
Du coup, la fluidité est tellement réduite que seule un semblant de voie demeure ouvert à la circulation.
Parallèlement, toujours en termes de maux, une catégorie d'énergumènes investit journellement le quartier. Ce sont des colosses ayant eu pour la plupart quelques séjours derrière les barreaux.
Des ex-détenus, sans emploi, et qui rackettent les différents marchands ambulants, en échange ils s'engagent à les laisser tranquilles et à ne pas toucher à leur marchandise. L'on n'en doute point, mais ces individus n'hésiteraient aucunement à vous faire les poches ou à voler votre sac à main. Ça aussi, c'est le souk de Benjdia.

L'artisan fromager

Dans le lot des marchands ambulants, Jawad, 36 ans, s'active comme il peut, ne sachant plus où donner de la tête par moments, tellement son commerce cartonne. Depuis 10 ans qu'il exerce ce métier, il a appris bien des choses quant au relationnel, servant cette cliente avec un large sourire, lançant une vanne à cet autre client : ses journées semblent être une réelle partie de plaisir. En revanche, ses nuits le sont moins. Car, comme dit précédemment, Jawad n'est pas qu'un simple revendeur d'un quelconque produit. Sa marchandise, il la fabrique lui-même : il est fabricant et vendeur de jben, ce bon fromage traditionnel qui suscite beaucoup d'intérêt durant cette période. Du coup, la nuit, il doit préparer ses produits qu'il laissera reposer, le temps d'une fermentation d'une durée de 24 heures avant d'investir le marché. «J'ai commencé à apprendre le métier à l'âge de 26 ans.

Aujourd'hui, je maîtrise tout le processus, mais c'est un métier dur quand même, car la préparation prend des heures, sachant que le lendemain, je dois être opérationnel au marché dès 10 heures», explique Jawad. Chaque matin, notre ami débarque à Benjdia, muni de sa charrette et de quelques bassines contenant plus d'une centaine de ces fameux petits paniers en osier dans lesquels le lait caillé a tranquillement fermenté, avant de pouvoir aguicher des yeux à moitié fermés pour cause d'abstinence.
Copyright Groupe le Matin © 2025