Casablanca. Il est 21h passées de quelques minutes. Une autre longue nuit d'hiver de ce mois de décembre. Des jeunes déambulent à proximité de l'hôpital Moulay Youssef. Ils sont onze personnes dont trois filles, âgées entre 16 et 21 ans. Leurs vêtements sales et leurs visages noircis en disent long sur leur misère.
Près de 24% des populations (SDF) se regroupent dans les préfectures de Sidi Moumen (13%) et Moulay Rachid (11%) comprenant les quartiers périphériques et des sites propices (Marché de gros, bidonvilles).
LE MATIN
08 Janvier 2011
À 14:33
Certains sniffent de la colle et d'autres dissimulent des bouteilles de diluant pour vernis dans leurs poches. Ces jeunes brisent le silence qui règne en maître dans le coin. Ils crient, chantent et rigolent ensemble. Tout à coup, une camionnette d'une équipe mobile des soins urgents du Samu social passe à côté d'eux et s'arrête. Les jeunes ne s'enfuient pas. Au contraire, ils se dirigent un par un vers le chauffeur. Ce dernier n'est pas seul, il est accompagné par deux autres personnes, un secouriste et animateur social. Les trois forment une équipe mobile du Samu social de Casablanca. La bande des jeunes est bien connue par cette équipe. Les salutations sont cordiales, sourires, poignées de mains, les jeunes sont tous connus des membres du centre. A ce qu'il paraît, ces jeunes sont contents de voir ces derniers. Personne d'entre eux ne semble découvrir l'équipe mobile du Samu social pour la première fois. Celle-ci leur propose des sandwiches et du café au lait.
Les jeunes sans abris ne se bousculent pas. Tant mieux. Ils savent bien qu'il y a de quoi casser la croute pour tout le monde. «On ne te voit pas récemment au Samu social?», demande un membre de l'équipe mobile à un jeune garçon. Ayoub répond en haussant ses épaules d'une voix à peine audible: « J'étais chez des amis loin de la ville blanche». La misère se lit sur son visage. Ayoub est à son 21 hivers mais son corps est trop maigre. Il semble en avoir 15 ou 16 ans. «T'es malade ou quoi», renchérit le membre de la Samu social. La réponse est négative. Le travailleur social (occupation avec laquelle il s'est présenté) lui demande de passer aux locaux du Samu pour recevoir les soins nécessaires. Les autres jeunes discutent avec les membres de l'équipe mobile. L'animateur social Abdelghani, le secouriste Younes et le chauffeur Mohamed ont déjà tissé des liens de confiance avec les jeunes de ce groupe. Ils se connaissent. Ils papotent et parlent de tout et de rien.
«Notre misssion consiste à faire une tournée dans les quartiers de la ville en véhicule et à pied, effectuant des arrêts sur des sites identifiés afin de prodiguer des soins d'urgence aux jeunes de la rue et donner un peu de nourriture», explique le travailleur social Abdelghani. Et d'ajouter: «Nous avons un planning pour chaque nuit. Il y a des points repérés par nos services où les jeunes SDF se cachent et passent leurs nuits». En effet, il s'agit généralement de lieux isolés squattés par les jeunes sans-abris. Ils vivent en groupe dans des maisons abandonnées de la ville blanche. Changement de décor. L'équipe mobile continue sa maraude. Sa camionnette s'arrête devant une villa délabrée, entourée d'un mur d'environ deux mètres de hauteur, qui se trouve au boulevard Zerktouni en se dirigeant vers la corniche. Il y a un trou au milieu du mur. Un adulte robuste peut s'y infiltrer. Les membres de la maraude pénètre un par un dans cet endroit. Ce lieu est sombre.
On n'y voit presque rien. Abdelghani et ses compagnons de nuit utilisent des torchons pour éclairer leur chemin. Les herbes ont poussées n'importe comment dans le jardin de cette villa. Il y a des ordures partout, on peut dire qu'il s'agit d'une véritable décharge. Une décharge qui abrite une dizaine de sans-abris, souligne les maraudeurs. Dans ce recoin encastré, quelques cartons jonchent le sol des chambres. Précisément, ce qui reste des chambres d'une maison abandonnée depuis des années. Mais il n'y a pas âme qui vive. Des noms et des dessins sur les murs, d'autres cartons et une légère couverture couverte de trous, qui ne peut guère réchauffer le corps d'un enfant, sont laissés dans ce coin. «Il n'y a personne ici, on change de direction», dit Abdelghani aux autres membres de l'équipe.
Le groupe met le cap vers le fameux boulevard d'Anfa. Il y a un autre site repéré par l'équipe mobile. Une autre villa délabrée à proximité de la commune municipale de Sidi Belyout. C'est là où un SDF a été poignardé il y à peine quelques mois. Un des membres de l'équipe mobile a escaladé le mur en mettant ses doigts dans les fissures. Il arrive à se tenir et commence à appeler les jeunes SDF. Quelques secondes après son appel, les jeunes apparaissent. En reconnaissant la voix de Abdelghani, ils sortent tous un par un. La présence régulière de l'équipe mobile renforce les liens de confiance avec les jeunes. Cela facilite le contact avec eux. Ils étaient environ 13 jeunes dont une seule fille. Ces sans-abris escaladent les murs de cette bâtisse abandonnée depuis belle lurette pour y passer la nuit. Ils préparent à manger. Il paraît qu'ils fêtent un événement. Sofiane raconte qu'une amie est présente avec eux ce soir. Son prénom est Assia. Elle a à peine 17 ans. Avec son regard triste et sa ''voix profonde'', elle discutait tranquillement avec un garçon de 14 ans dans une autre pièce de cette villa. Elle est bien identifiée par les membres de l'équipe. Selon les propos de l'équipe, Assia quitte régulièrement la maison parentale. «Nous ignorons la vraie raison de ses fugues répétées. Nous avons déjà proposé notre assistance psychologique et sociale à la jeune Assia.
Nous avons même appelé ses parents pour la récupérer, mais en vain», avance un membre de la maraude. Et d'enchainer sur le même ton : «Nous avons essayé avec elle, mais elle récidive sa fuite. Elle refuse de vivre avec sa famille, c'est la triste réalité». La jeune confirme ses dires : «Je ne me sens pas chez moi avec mon frère et ma mère. Depuis que j'ai quitté la maison parentale pour la première fois, les liens se sont partiellement dissouts», dit Assia. Elle a peine 17 ans. Mais, elle est habituée à vivre avec les SDF. Sa mère vient la récupérer chaque matin, ajoute-t-elle. Son frère le bâtait sans cesse. Est-ce un choix de mode de vie ou une contrainte? A cet instant, personne ne peut fournir les véritables causes de sa fuite. Cependant, un membre de l'équipe rédige un rapport sur ceux qui séjournent dans ce site et note ses propres remarques.
Chacun a son histoire et chacun sa version L'heure affiche 22h14. Les jeunes rencontrés sur ce lieu se sentent en confiance. Certains d'entre eux n'ont pas la force pour parler car ils se tiennent debout avec difficulté. «Je vis dans la rue depuis plus de deux ans», marmonne Brahim, 17 ans, avec une voix à peine audible. Ses phrases sont coupées. Son nez est rouge et ses lèvres sont bleues. Il sniffe la colle sans arrêt et demande des cigarettes. «J'ai quitté la maison parentale très tôt et je suis devenu vagabond», ajoute-t-il, les yeux rivés sur le vide. Il ne se rappelle même pas comment il est devenu SDF. Youssef, 15 ans, est son acolyte, a quitté sa famille depuis plus de trois ans. pris la main dans le sac de sa mère. Il cherchait, ce jour là, des pièces sonnantes pour se procurer de quoi acheter du hachisch. Son père la grondé après son forfait. Ensuite, ne supportant plus l'humiliation, selon ses propos, il a quitté sa famille. Depuis, Il vagabonde et ne veut pas lâcher sa bouteille de ''Dolio''. «Je veux vraiment arrêter cette mauvaise habitude mais je n'arrive pas à le faire», lâche-t-il. Youssef a été déjà suivi par le Samu social. Il souhaite revenir au centre. Malheureusement, Youssef ne peut pas lâcher le chiffon de ''Dolio'', drogue interdite aux locaux du Samu. Les membres de l'équipe lui proposent de s'y rendre le lendemain au bon matin. Les discussions courtoises entre les membres de l'équipe et les jeunes de ce groupe se prolongent. Ils s'enquièrent de l'état de santé de chacun.
«Nous essayons d'estimer leurs besoins et tentons de convaincre les moins de 17 ans de venir passer la nuit au centre», souligne un membre de la maraude. Il a précisé que le centre propose pour les SDF de moins de 17 ans une prise en charge lors des tournées. « Les enfants sont accueillis au centre d'hébergement d'urgence pour une durée limitée afin de les mettre en hors état de danger», précise-t-il. Ainsi, selon ses dires, l'équipe mobile offre une aide aux jeunes. Elle établit le contact avec eux, reconnaissent leurs attentes, identifient leurs besoins et proposent une assistance médicale et psychologique, et une orientation, accompagnement de toute personne en situation de détresse dans la rue. «Les personnes non hébergées peuvent bénéficier des prestations des services de centre (espace hygiène, douche, vêtements, repas…). Nous proposons même un suivi et nous dirigeons les personnes vers des structures spécialisées», souligne El Miloudi El Bouazzaoui, un responsable au sein du Samu social. Des prestations jugées insuffisantes par les jeunes SDF. « Je refuse d'y aller car ce qu'ils proposent au centre ne m'intéresse pas. Par exemple, le seul repas proposé ne peut satisfaire un ventre affamé. Ils ne nous donnent pas de vêtements. Une chemise et c'est tout.
Ils nous donnent chaque fois du spaghetti. Et encore leurs douches sont froides», fustige un jeune (SDF). En guise de réponse à ses propos, El Miloudi El Bouazzaoui, précise que les repas donnés varient selon la nourriture disponible en abondance au centre. « S'il y a une abondance en viandes, poulets et légumes, pourquoi nous allons s'abstenir à leur en donner?», s'interroge-t-il. Concernant les vêtements, les jeunes ne veulent pas de chemises et de pantalons en tissu fin. «Ils souhaitent avoir des jeans et des vêtements plus à la mode», répond-t-il. Et d'ajouter davantage : « A noter que les douches ne sont pas froides. L'eau chaude ne peut pas être disponible toute la matinée.
Ceux qui arrivent tôt, au moment de l'ouverture des douches peuvent bénéficier de l'eau chaude. Mais ceux qui arrivent vers 10h30 ou 11h, ils ne trouvent plus d'eau chaude. Et c'est normal». Les réponses de ce responsable semblent tenir la route. Il est clair que les prestations du centre ne sont guère suffisantes. Un repas par jour ne peut pratiquement pas motiver les jeunes sans-abris à faire le déplacement vers les locaux du centre. Dans la mesure où ils peuvent mendier et se payer un sandwich mieux que le repas proposé au centre.
Attentes des jeunes SDF...
Certaines données exhaustives sur les problèmes de jeunes ont révélé que les jeunes SDF veulent s'en sortir de cette situation précaire. Certains d'entre eux veulent travailler, confirme El Miloudi El Bouazzaoui. Ils arrivent dans la rue après un drame familial, personnel ou financier. Il y a certains d'entre eux qui rendent visite régulièrement à leurs familles. Mais ils ne peuvent pas vivre avec eux. La pauvreté et la précarité sont pointées du doigt, dit-il. « Ils nous demandent de chercher un travail pour eux. Nous avons des programmes de réinsertion de ces jeunes dans les milieux du travail. Mais cela s'avère une mission impossible. Les gens refusent d'embaucher les enfants de la rue à cause des stéréotypes véhiculés autour d'eux», dit-il. En attendant, les SDF bricolent par nécessité et mendient. Mais pas seulement, ces jeunes cherchent à améliorer leurs conditions d'existence instables et frustrantes, en déployant leurs propres ressources d'imagination et d'innovation. Ils sont obligés de vivre au jour le jour, et doivent faire face aux imprévus du quotidien. Même s'ils agissent souvent seuls, certains d'entre eux échangent des conseils et des « tuyaux » avec d'autres sans-abris. Chacun gère sa vie à sa façon. Ils méritent bien une autre chance et une véritable politique sociale. Parmi eux, il y a de farouches supporters des deux géants clubs de football de Casablanca. Ils trouvent les chemins pour se rendre aux stades pour animer les gradins le jour des rencontres footballistiques.