«Le Souffle de Musc Ellil», souffle de la vie
LE MATIN
25 Février 2011
À 16:02
A l'entrée de l'espace Le Scribe l'Harmattan à Paris, une foule constituée majoritairement de femmes se bousculait pour accéder à l'intérieur de la bâtisse. La petite salle bondée de personnes, proches et amis de Chérifa Yamini ou tout simplement d'invités venus découvrir cette femme, allait abriter une rencontre autour de l'œuvre romanesque d'une battante et d'une femme authentique qui croque la vie à pleine dents sans jamais renoncer à ses rêves et à ses ambitions.
L'auteur du roman autobiographique « Les secrets de la Mayda », publié en 2004, allait également présenter son second ouvrage « Le souffle de Musc Ellil». Chérifa Yamini, un petit bout de femme, qui déborde d'énergie et à l'élégance impeccable, se prête alors à un jeu de questions-réponses, avec gaité de cœur. Arborant un sourire qui illumine son visage et qui ne la quitte jamais, elle égrène, devant un public avide et désireux de tout savoir de cette femme exceptionnelle, des épisodes de sa vie avec légèreté et désinvolture. Aussitôt, le public s'accroche et suit cette magicienne du verbe dans ses pérégrinations.
Conteuse chevronnée, elle effectue un retour en arrière pour remonter aux premières années de son existence quand elle vivait encore à Fouka, un petit patelin d'Algérie. Dans cette Algérie coloniale des années 40, sa mère travaillait comme bonne chez une famille de colons français. La petite fille qui a goûté aux affres de la misère et de la privation rêve d'études, de voyages et de lumières. Sans jamais céder à la précarité de sa situation, ses aspirations et sa détermination à s'en sortir ne faisaient que se renforcer sous le coup de l'infortune.
A une époque où les Algériens étaient de simples bougnoules ou, au mieux, considérés comme des indigènes, Chérifa s'accrochait à son identité et à sa liberté au grand dam des siens d'abord et des colons ensuite. Et son salut, c'est grâce à son diplôme en couture et à son talent d'artiste qu'il est arrivé quoiqu'avant, c'est en blouse blanche qu'elle se voyait à soigner les malades. Mais le destin en décide autrement, et la jeune fille doit se contenter d'un certificat en couture. Son CAP en poche, elle commence à nourrir le rêve de partir à Paris, ville des lumières de haute couture.
Pour la jeune femme, impossible n'est pas algérien puisqu'elle se permettait d'espérer une vie meilleure alors que rien ne l'y prédestinait.
Détermination, force et liberté. Forte de ces atouts, elle décide de braver les tabous de la société. Elle refuse de porter le voile et de se marier avec un homme qu'elle n'a jamais vu comme il était d'usage à l'époque. Celui qu'elle accepte de prendre, alors, comme époux fut beau et vivait à Paris. Ce faisant, c'est la ville des lumières qu'elle épousait.
Une fois en France, la lutte était loin de prendre fin. Un autre combat commençait, celui de l'affirmation de son identité dans un pays qui considérait toutes les Arabes comme des « Fatima » soumises et sans personnalité. Avec son intelligence, son savoir-faire, son talent et sa force de caractère, elle parvient à percer dans le monde rude et scabreux de la haute couture. Les ateliers parisiens d'Yves Saint-Laurent ne tardent pas à lui ouvrir leurs bras grand ouverts. La petite dame gravit petit à petit les échelons pour occuper des postes de responsabilité au sein des grandes maisons de haute couture.
Ce parcours époustouflant, Chérifa Yamini décide un jour de le coucher sur du papier sous la pression de ses petits enfants auxquels elle ne cessait de raconter sa vie. « Un projet, s'il est dans ma tête, il faut qu'il aboutisse », affirme la dame. Aussitôt, muri dans sa tête, elle demande un crédit et publie son premier roman et puis ce dernier. Un troisième serait en gestation.
Espérer, encore et toujours
Née en 1938 à Fouka en Algérie, Chérifa Yamini a immigré à Paris en 1957. Elle vit toujours dans la même rue parisienne depuis plus de 50 ans. « Mes souvenirs fleurissent, comme Musc Ellil dont l'odeur délicieuse embaumait, le soir à Fouka, les promenades d'amoureux. J'entends la voix de Boualem ! Mon cher mari. Toute ma vie, j'ai fait des robes. Avec mon CAP, pour les colons. Puis, midinette à Paris, première main Haute Couture, enfin chef de production… pour Monsieur Dior et Yves Saint-Laurent. L'Algérie naissait dans la souffrance. Cendrillon est déjà au bal, elle a des projets de jeune femme : voyage, carrière… amours et vacances à la mer. Le grain des jours s'estompe, le souffle de Musc Ellil faiblit… j'en ferais un livre plus tard !», affirme-t-elle.