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Grands taxis, gros soucis

Les Casablancais ont souvent recours aux grands taxis blancs en raison de leur bas prix mais également de leur proximité. Toutefois, ces «poids lourds» du transport urbain représentent un véritable danger pour les usagers. Les chauffeurs eux, invoquent des difficultés sociales et financières qui mettent à mal leur profession.

Anarchie et zizanie continuent à régner dans le secteur des grands taxis. Reportage photos A. Saouri

09 Octobre 2011 À 12:28

16h05, en plein centre de ville de Casablanca, les grands taxis sont à l'affût du client à des stations. En face d'hôtels de renom, pas loin de la clinique Badr ou dans des rues déjà encombrées, la foire aux taxis bat son plein et la place est à celui qui crie le plus fort. Dans cette anarchie spacio-temporelle se cache un malaise, celui d'un chauffeur en détresse qui appelle au secours en se vengeant de son mal-être sur de pauvres usagers. En proie à un casse-tête permanent pour gérer son budget, le chauffeur de taxi ne s'en sort plus entre l'assurance, le paiement de l'agrément, la visite technique, les frais généraux, lui laissant à la fin de la journée parfois 50 dirhams à peine pour vivre et faire vivre toute une famille. Selon Ahmed, chauffeur de taxi depuis 20 ans, il ne s'agit même plus d'un problème d'argent : «Le problème qui se pose est la précarité de l'emploi, puisque du jour au lendemain, à la fin de l'agrément, nous pouvons nous retrouver sans travail, même après des années de bons et loyaux services».

Une instabilité qui ne fait que s'accentuer lorsque l'on sait que, depuis 2007, les chauffeurs de taxi n'ont plus ni CNSS et ni CNOPS (Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale). Un constat alarmant pour ces conducteurs qui ne peuvent pas se projeter dans l'avenir. «Je suis chauffeur de taxi depuis 2 ans maintenant», déclare Hicham, 29 ans. «Je n'ai pas de couverture sociale, j'arrive à peine à arrondir mes fins de mois et je suis diabétique, donc j'ai besoin d'un traitement à long terme», explique le jeune conducteur.

«Comment voulez-vous être zen quand vous avez un tel fardeau sur le dos ?» «Zen» est effectivement inapproprié pour décrire ces conducteurs qualifiés de chauffeurs la «mort» qui payent 1 200 dirhams de taxes, entre autres, par an à la commune pour pouvoir bénéficier d'un certain nombre d'avantages, mais dont ils ne voient pas la couleur. Des avantages que le client ne voit pas venir. Pour celui qui emprunte le trajet qui mène du centre-ville à Bernoussi, le parcours prend des allures de traversée du désert en pleine tempête. Klaxons à gogo, insultes toutes les 2 minutes, code de la route piétiné, des piétons ignorés, les ceintures de sécurité oubliées avec des coups de freins bien appuyés, tous les ingrédients sont bons pour passer 45 minutes en enfer. Sâadia, qui fait le trajet tous les jours pour 6 dirhams, s'est presque habituée au manque de confort. «Je n'ai pas le choix, le bus prend trop de temps et surtout je dois changer à deux reprises de véhicule et marcher longtemps pour arriver chez moi, ce qui est différent avec le taxi», explique cette mère de famille qui travaille en ville et habite à Hay Hassani.

Un dilemme auquel est confronté le Casablancais qui considère souvent ce taxi blanc comme «un sauveur», surtout quand les bus ou les petits taxis ne font plus l'affaire. Ceci pousse également les clients à opter pour les chauffeurs clandestins, véritables ennemis du grand taxi. Souvent, dans les rues où les grands taxis n'ont pas accès, les transporteurs clandestins, aux voitures datant parfois des années soixante, sévissent en toute liberté. Selon M. Moustaqui, secrétaire général du Syndicat des taxis, ces conducteurs informels sont même protégés par les autorités.

«Les autorités ne font rien pour les arrêter, alors qu'un simple stationnement en 2e position par un taxi blanc est vite sanctionné», explique ce dernier.
D'ailleurs, en matière de stationnement, une difficulté supplémentaire s'ajoute. De plus en plus, les habitants de Casablanca se retrouvent confrontés à des nouvelles stations de taxis devant leur lieu de résidence. Ali, qui ne réside pas loin de la Clinique Badr, se plaint. «J'habitais un quartier calme et du jour au lendemain, je me retrouve à supporter les cris, les odeurs de diesel et l'anarchie qui accompagne les grands taxis, du matin au soir». Un témoignage communiqué au syndicat qui n'a aucune emprise sur ce genre de situations. «C'est la commune qui nous transfère de quartier en quartier, nous ne décidons de rien du tout», explique M. Moustaqui. «Le problème qui se pose à notre niveau, c'est la société de parking espagnole qui s'accapare progressivement de toutes nos stations et nous refoule ailleurs», expliquent les défenseurs des taxis. Mohammed, chauffeur depuis une quinzaine d'années explique : «Du jour au lendemain, les trottoirs sont repeints, les panneaux sont retirés et nous nous retrouvons sans stations». En effet, la commission qui est responsable de la répartition des places de stationnement ne prendrait pas, semble-t-il, en compte le vécu des chauffeurs de taxi et l'opinion des habitants des quartiers.

De plus, certaines anomalies sont à relever, comme le manque de stations de taxis en face des hôpitaux 20 août ou Averroès, ou encore au niveau du Rond point Shell où la demande est forte, mais rien n'est fait pour pallier ce manque.
Najat, qui est une habituée de l'hôpital ces derniers jours, souffre du manque de transport et n'est pas la seule. «Je me retrouve à attendre des heures parfois un taxi alors que la moindre des choses serait de trouver un taxi à la sortie de l'hôpital». Les usagers comme les chauffeurs souffrent de cette situation. Le minimum requis, en effet, n'est pas attribué aux chauffeurs eux-mêmes.
«Le problème de fond est celui des agréments repartis n'importe comment et les frais engendrés qui ont pour unique conséquence d'enrichir les plus riches et d'appauvrir les plus pauvres». Dans notre cas, les petits chauffeurs des grands taxis.

A grands taxis, gros problèmes mais surtout grandes difficultés. Ces «fous» de la route ne roulent pas sur l'or, mais plutôt sur un terrain miné par les autorités, la commune et les propriétaires des agréments. Lorsque l'on sait que ces Mercedes 240 diesel d'une autre époque transporteraient plus de 100 000 habitants de la ville blanche, il serait judicieux de trouver une solution afin de rendre cette situation plus vivable pour ces chauffeurs remontés et ces clients qui ne peuvent que continuer à monter dans ces taxis.

Garage Allal, une anarchie orchestrée

Le mythique Garage Allal est le point de départ et/ou d'arrivée de tout grand taxi allant dans les villes comme Rabat, Marrakech ou tout autre destination en dehors de Casablanca. Des trajets d'autant plus dangereux que le manque de confort pour ces chauffeurs et leurs clients est bien palpable. Ces stations ne sont même pas munies de toilettes ou d'espace de repos pour ces conducteurs qui ont passé des heures sur la route. Des routes souvent longues et coûteuses puisque l'autoroute n'est pas accessible financièrement à tous. Ce qui les pousserait à emprunter les routes nationales et à accélérer pour gagner du temps, mais souvent aussi à provoquer des accidents mortels et à attenter à leurs vies et à celles de nombreux innocents.
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