Spécial Marche verte

Les «usuriers», de plus en plus sollicités

Quand il est difficile d’obtenir un crédit de la banque ou d’une société de crédit, les prêts entre particuliers sont l’unique solution. Seulement, certaines personnes profitent de la détresse des autres pour s’enrichir davantage.

Même si les prêteurs particuliers exigent souvent des taux d’intérêt trop élevés, beaucoup de personnes désespérées se retrouvent obligées d’accepter toutes leurs conditions.

27 Décembre 2012 À 18:36

Révolu le temps où l’on épargnait pour faire face aux aléas de l’avenir. Fini aussi le temps où l’on évitait de s’endetter par peur de surcharger le budget familial. Aujourd’hui, les Marocains, les citadins en particulier, ont tendance à consommer plus. Et, pour financer cette consommation, souvent excessive, ils font appel au crédit dans ses formules les plus variées. Conscientes de cela, les banques rivalisent de produits financiers et les sociétés de crédit à la consommation pullulent dans le marché. Seulement, parfois, contracter un crédit auprès d’une banque ou d’une société de crédit s’avère difficile, voire impossible, quand on ne remplit pas toutes les conditions requises. Du coup, les personnes qui ne réussissent pas à obtenir un crédit auprès d’un organisme financier ne trouvent d’autres solutions que de s’adresser à leurs connaissances, familles, amis… pour emprunter la somme d’argent souhaitée. Si certains ont la chance de tomber sur une personne qui accepte de leur prêter de l’argent sans complications, beaucoup sont obligés d’accepter les conditions parfois sévères des prêteurs. «Ma mère est gravement malade. Selon son médecin traitant, elle doit subir une opération chirurgicale dans les plus brefs délais. Malheureusement, nos moyens financiers sont très limités. Nous arrivons difficilement à boucler nos fins de mois. Et comme je suis sa fille unique et que je la prends en charge, je dois trouver un moyen pour payer les frais de l’opération. La seule solution est de contracter un crédit», confie Hasnae, 25 ans, secrétaire dans un cabinet de notariat. «Je me suis rendue à plusieurs organismes financiers, mais aucun n’a accepté de m’accorder un crédit. On m’a dit que certaines personnes “aisées” octroient des prêts à ceux qui en ont besoin, mais ils exigent en contrepartie un taux d’intérêt parfois élevé. Je suis allée voir plusieurs d’entre eux et je me suis finalement mise d’accord avec un monsieur qui a accepté de me prêter 10 000 DH pour 15 000 DH. C’était la meilleure offre que j’ai pu trouver. Je lui ai signé un chèque de garantie et une déclaration sur l’honneur. Il m’a accordé un délai d’un an pour le rembourser», poursuit-elle. Même si les prêteurs particuliers exigent souvent des taux d’intérêt trop élevés, beaucoup de personnes désespérées, comme c’est le cas de Hasnâa, se retrouvent obligées d’accepter toutes leurs conditions.

Pour avoir plus de «clients», certains vont même jusqu’à déposer des annonces sur Internet. Seulement ces annonces peuvent être des arnaques. Des escrocs, généralement situés dans des pays africains, profitent de la faiblesse de personnes en situations financière et morale difficiles afin de leur soutirer de l’argent et d’usurper leur identité, pour escroquer d’autres personnes. Le prêt entre particuliers est devenu une alternative qui remplace le crédit bancaire et qui a beaucoup de succès. Conscients de cela, ces débiteurs particuliers n’hésitent pas à profiter du besoin des autres pour s’enrichir davantage. Ils peuvent même aller jusqu’à exiger 100% de la valeur du prêt, voire plus. «Je ne vois aucun mal à demander des intérêts à une personne à qui on a prêté de l’argent. Pourquoi ne rouspète-t-on pas quand il s’agit du crédit d’un organisme financier qui exige un taux d’intérêt très élevé ? Il faut au contraire être reconnaissant. C’est tout de même un service que je rends aux gens qui ont besoin d’argent», lance un prêteur particulier. Même si cette pratique est devenue monnaie courante, il ne faut pas oublier que d’un point de vue religieux c’est interdit. «Profiter du besoin de l’autre en lui demandant des intérêts exorbitants sur un prêt d’argent est totalement “haram”. C’est de l’usure “arriba” or Dieu a permis la vente et a interdit l’usure.

C’est donc un péché extrêmement grave qu’il faut fuir», explique l’imam Brahim Taoufik. Cette pratique est également interdite juridiquement. «Selon l’article 870 du Code des obligations et des contrats, la stipulation d’intérêts entre musulmans est nulle, et rend nul le contrat, qu’elle soit expresse, ou qu’elle prenne la forme d’un présent ou autre avantage fait au prêteur ou à toute autre personne interposée. Ce qui veut dire qu’une personne qui a payé des intérêts à son emprunteur a parfaitement le droit de le poursuivre et de se faire rembourser», indique Mohamed Segame, avocat. Et d’ajouter que : «le Code des obligations et des contrats insiste sur le fait que celui qui, abusant des besoins, de la faiblesse d’esprit ou de l’inexpérience d’une autre personne, se fait promettre, pour consentir un prêt ou le renouveler à l’échéance, des intérêts ou autres avantages qui excèdent, notablement, le taux normal de l’intérêt et la valeur du service rendu, selon les lieux et les circonstances de l’affaire, peut être l’objet de poursuites pénales». En effet, si une personne est surprise en flagrant délit, elle peut le payer cher. Pas plus loin que la semaine dernière, les éléments de la Sûreté nationale de Taza ont arrêté une personne présumée coupable d’attribution de crédits à des taux d’intérêt ne répondant pas aux exigences légales et acceptation de chèques à titre de garantie, suite à une plainte portant sur la question. Les services de la Sûreté nationale ont ainsi saisi, dans la demeure de cet accusé, plus d’un million de dirhams, un total de 150 chèques postdatés ainsi qu’un fusil de chasse non autorisé.

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