L'humain au centre de l'action future

«Notre objectif est de reprendre ce qu’ont fait nos Maîtres sans rien y changer (si possible)»

● Enfant, Abderrahmane Kazzoul s’est initié à la cantillation du Coran. Adulte, il découvre la musique de la Renaissance arabe et s’éprend de l’art du «tarab» authentique. De l’amour pour ce genre de musique naquit un orchestre qu’il a baptisé «Takht Attourat» qui se produit depuis quelques années sur les grandes scènes françaises et arabes.
● Les 24 et 25 mars, il sera au Maroc pour deux concerts respectivement à Rabat et à Marrakech.

Abderrahman Kazzoul, membre fondateur et directeur artistique de l’Association du Tarab «Takht Attourat».

21 Mars 2012 À 14:24

Le Matin : Comment vous est venue l’idée de constituer l’orchestre Takht Attourath ?Abderrahman Kazzoul : Il faut dire que j’ai toujours fait de la scène depuis mon jeune âge à Béni Mellal, en participant, notamment, à une pièce théâtrale autour du prophète Youssef, mais aussi en psalmodiant le Coran, devant mes amis lors des récréations, quand j’étais au lycée. Lors de la période Ghiwanienne, j’ai créé, avec mon petit frère, un groupe de musique. Après le bac, je suis venu à Nancy faire les classes préparatoires pour les grandes écoles, et là j’ai acheté un oud et créé un groupe pour chanter Cheikh Imam, sans oublier bien sûr les mouwashahate.

Mais c’est à Paris que vous créez Takht Attourath ?Après l’obtention de mon doctorat en électronique, j’ai rejoint Paris pour travailler à Alcatel et, à ma grande surprise, je découvre Takht Nidaa Abou Mrad avec qui j’ai pris rendez-vous, et là, il est tout de suite tombé amoureux de ma voix, lui le spécialiste de la musique de la Nahda, et de tous les grands chanteurs comme Hamouli, Sayed Safti, Youssef El Manyalawi, qui étaient des psalmodieurs de Coran. Je suis donc passé par la grande porte pour intégrer ce Takht et j’ai eu le plaisir de jouer avec Georges Abiad, qui était un violoniste de Mohamed Abdelwahab. En 1992, Nidaa décide de rentrer chez lui au Liban et là je me suis senti orphelin. D’où l’idée de créer mon propre groupe : Takht Attourath, pour continuer cette belle aventure et, surtout, pour créer un cercle de mélomanes à Paris et, pourquoi pas, dans le monde.

Comment définiriez-vous cet orchestre ?Le mot Takht signifie ensemble de solistes. Le but en est de reprendre ce qu’ont fait nos Maîtres, sans rien y changer (si possible). L’objectif n’étant pas d’améliorer les choses de l’extérieur, mais plutôt de l’intérieur. On y trouve donc le quanoun, le nay, le oud, le violon, le riq, le daf et le violoncelle.

Qu’est-ce qui vous a séduit dans le chant et la musique des «mouwashahate» ?Comme je l’ai dit au début, l’art de l’improvisation dans le «mawal» est similaire aux règles de la cantillation coranique. Chose qu’on retrouve également dans les «mouwashahate». Ajoutez à cela le chant des chœurs qui existe aussi dans les chants sacrés, que je pratiquais depuis mon jeune âge. Au début, je ne connaissais que le chanteur Sabah Fakhri et c’est grâce au musicologue Nidaa Abou Mrad que j’ai découvert la musique de la Nahda (Renaissance). Avec Frédéric Lagrange, j’ai eu accès à beaucoup d’archives de cette musique. Ce qui m’a permis de puiser dans le plus profond des «mouwashahate» et «adwar».

En optant pour le genre musical «tarab», n’aviez-vous pas peur de ne pas pouvoir intéresser un public jeune ?Malheureusement, l’oreille de nos auditeurs (jeune ou pas) est complètement détruite par cette pollution sonore qui existe de nos jours. Un chant composé à 16 h, pour qu’il soit chanté à 20 h, ne peut être que mauvais. Aujourd’hui, j’ai pu intéresser un public large dans notre cercle. C’est un travail fastidieux qui nécessite beaucoup de courage et de pédagogie. Mais on va y arriver. La preuve : les deux prochains concerts seront diffusés à la RTM ultérieurement. Cela montre que les gens, jeunes ou pas, sont à la recherche d’une musique raffinée.

Comment vous organisez-vous pour les répétitions, sachant que l’orchestre est constitué, majoritairement, de gens qui ont d’autres métiers et non de musiciens professionnels dédiés au seul art ?Nos musiciens sont mélangés, on y trouve des professionnels et aussi des personnes qui ont un métier à côté. Le quanouniste est un chef d’entreprise, le luthiste et le violoncelliste sont des ingénieurs, par contre les percussionnistes, le nay et le violoniste sont des professionnels. Tous les solistes et les choristes ont un métier à côté. On y trouve un médecin-chef et la présidente de notre association, Mme Ilham Benharrats, est médecin. Pour garder tout ce monde autour de ce projet, on répète les dimanches après-midi, voire le soir quand les dates des concerts se rapprochent.

Un mot sur le concert qui aura lieu bientôt au Maroc ?Depuis notre passage à 2M avec le chanteur égyptien Mohamed Sarwat, nous sommes sollicités par de grandes voix du monde arabe, déjà pour la qualité de nos musiciens, et aussi pour la qualité vocale de notre chorale. Il ya deux mois, nous avons joué avec Hamam Khairy à Paris deux concerts qui ont été un grand succès. Aujourd’hui, nous avons le plaisir de jouer avec une grande figure d’Alep, un spécialiste des «Koudouds Halabiya», sans oublier bien sûr mon ami Nassim Al Dogom, d’origine palestinienne, et qui interprétera quelques «mawawil» et aussi des «mouwashahate».

Comment voyez-vous l’évolution de votre orchestre ?Aujourd’hui, Takht Attourath passe de la phase de l’interprétation des œuvres existantes à celle de la création, tout en respectant l’art modal arabe. Nous sommes en train de créer une série de chants autour des «Milles et une nuit». J’ai choisi des textes, je les ai donnés à nos musiciens, à des compositeurs comme mon ami Said Chraibi. J’ai également impliqué Hamam Kahiry dans cette aventure. Le résultat est vraiment séduisant et la première représentation aura lieu à l’Institut du Monde arabe en mai 2013.

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