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«Rabat et Moscou sont très attachés à la légalité internationale»

La Russie a soutenu la décision du secrétaire général de l’ONU d’envoyer d’urgence en Syrie son adjoint pour les questions humanitaires et la nomination de Kofi Annan en tant qu’envoyé spécial de l’ONU et de la Ligue arabe sur la crise syrienne. C’est ce qu’a fait savoir son Excellence Boris Bolotine dans cet entretien accordé au «Matin».

Boris Bolotine, recevant l’équipe des journalistes du Matin et d’Al Maghribia, conduite par Mohamed Jouahri (au premier plan).tPh. Saouri

26 Février 2012 À 15:29

Le Matin : Les relations du Maroc avec la Russie connaissent une nouvelle dynamique dans tous les volets de la coopération bilatérale tant politique, qu’économique et culturelle. Comment comptez-vous les promouvoir ?Boris Bolotine : Les relations maroco-russes sont excellentes. Cette année, on s’apprête à célébrer le 10e anniversaire de la visite historique en octobre 2002 de S.M. le Roi Mohammed VI à Moscou. On rappelle que la visite royale a été couronnée par la signature de la Déclaration sur le partenariat stratégique entre les deux pays. Nos relations se développent davantage et nous agissons ensemble pour les promouvoir dans le sens de la complémentarité et du respect mutuel. Il est vrai que plusieurs domaines d’activités restent encore à exploiter. Mais nous sommes satisfaits du niveau de dialogue politique engagé par les deux pays. Nous avons une concordance des points de vue sur diverses questions internationales. En tant que membres du Conseil de sécurité de l’ONU, nous sommes attachés ensemble à la légalité internationale. Sur le plan politique, la Russie suit avec une grande attention le processus démocratique engagé au Maroc et les réformes initiées par S.M. le Roi. L’expérience marocaine pourrait servir d’exemple, vu les turbulences vécues par la région. La Russie a salué dans ce cadre le discours royal du 9 mars dernier, l’adoption en juillet dernier de la nouvelle Constitution du Maroc et la tenue dans un climat de la transparence et de la démocratie des élections législatives anticipées du 25 novembre de l’année dernière.

Le volume des échanges commerciaux entre les deux pays reste en deçà des aspirations des deux peuples. Comment envisagez-vous de booster ces échanges ?Le Maroc reste un partenaire stratégique sur le plan commercial. Le volume des échanges commerciaux entre les deux pays a atteint plus de deux milliards de dollars en 2011, confirmant ainsi la place du Maroc parmi les premiers partenaires commerciaux de la Russie sur le plan arabe et africain. La Russie est le premier importateur des agrumes marocains au niveau mondial. Entre les deux pays, le partenariat est en train de prendre forme, visant à élargir et à renforcer davantage le champ de coopération dans plusieurs domaines, notamment ceux de l’agriculture, l’industrie, les pêches maritimes, l’infrastructure, l’espace, la recherche scientifique et la formation professionnelle, les transports aérien et maritime, l’énergie, les mines, les finances et la promotion des investissements. La Russie a participé à la réalisation d’un certain nombre de centrales électriques et de barrages au Maroc. Des compagnies russes s’intéressent la participation aux projets des énergies renouvelables. Dans le domaine de l’agriculture, la Russie sera présente cette année au Salon international de l’agriculture de Meknès et aura son propre stand. Pour ce qui est du tourisme, nous travaillons ensemble en vue de promouvoir la destination Maroc dans l’ensemble et également répartir le nombre de touristes russes entre Agadir et les villes impériales comme Marrakech et Fès. Les touristes en provenance de l’Europe de l’Est et notamment les Russes représentent de nouveaux défis pour le secteur au Maroc. Dans le domaine de la pêche, notre coopération est mutuellement avantageuse, surtout dans le volet réservé à la formation des cadres et à la recherche scientifique.

Quel bilan faites-vous des travaux réguliers de la commission mixte intergouvernementale maroco-russe ?La commission mixte intergouvernementale maroco-russe, qui se réunit régulièrement, tous les 2 ans, à Rabat et à Moscou, s’est avérée un instrument utile dans la coopération économique et commerciale entre les deux pays. Pour cette année, la réunion de la commission mixte n’est pas encore fixée, vu les changements opérés dans les deux pays. Ce mécanisme est appelé à être activé davantage, notamment dans le sens de la fréquence des prises de contact entre les investisseurs marocains et russes. À cet égard, le Conseil d’affaires maroco-russe, lui aussi, est appelé à jouer un rôle de moteur. L’année dernière, nous avons tenu plusieurs réunions de part et d’autre au niveau des hommes d’affaires. Au cours de l’une d’elles, l’homme d’affaires Albert Bakov a été élu, en septembre à Moscou, nouveau coprésident du Conseil d’affaires russo-marocain. Aussi, la dixième session jubilaire du Conseil d’affaires russo-arabe s’est tenue durant le mois de mai dernier dans la capitale économique marocaine Casablanca. En même temps, nous sommes sur le point de conclure un partenariat avec le Groupement professionnel des banques du Maroc (GPBM).

Comment évaluez-vous la coopération culturelle et scientifique entre les deux pays ?Le volet culturel est très important dans les relations avec le Maroc. La coopération culturelle et scientifique entre le Maroc et la Russie contribue à renforcer les relations historiques entre les deux pays. Il existe aussi un échange très actif dans le domaine artistique. Dernièrement, la troupe du ballet classique de Moscou qui s’est produite avec l’orchestre symphonique royal a fait sensation auprès du public marocain lors de son passage au théâtre Mohammed V de Rabat. Cette année, nous préparons le programme des journées culturelles russes qui auront lieu à une date qui reste à déterminer lors de ma prochaine rencontre avec M. Sbihi, ministre marocain de la Culture.

Comment se passe l’intégration des Marocains diplômés d’instituts russes et des étudiants marocains qui font actuellement leurs études en Russie ?Des centaines de Marocains continuent leurs études dans les universités russes. En général, leur intégration se passe bien. Nous sommes contents que les diplômés des universités russes travaillent avec succès dans plusieurs branches de l’administration, de l’économie, de l’enseignement, etc.

Dernièrement, la Russie et la Chine ont opposé leur véto au plan de paix arabe, présenté par le Maroc devant les membres du Conseil de sécurité de l’ONU pour le règlement de la crise syrienne. Comment Moscou justifie-t-elle son véto ?Malheureusement, dans certains mass media internationaux et régionaux, nous constatons une interprétation unilatérale et incorrecte de la ligne de la Russie. Depuis le début de la crise syrienne, la Russie n’a cessé d’agir en faveur de la solution politique et des réformes démocratiques en Syrie. Nous sommes résolument pour l’arrêt de la violence d’où qu’elle vienne. Mais nous sommes contre l’intervention étrangère, tout en respectant la souveraineté de la Syrie. On a pu souvent entendre dire que la Russie bloquait l’action de l’ONU, mais l’on oublie que la Russie avait aussi présenté son propre plan de règlement de la crise syrienne. Notre projet de résolution reste toujours sur la table du Conseil de sécurité. Son contenu était rédigé sur la base des propositions faites le 2 novembre 2011 par la Ligue arabe, qui préconisaient l’arrêt immédiat des violences, le lancement du dialogue inclusif entre les autorités syriennes et l’opposition et l’envoi sur place des observateurs arabes. Nous regrettons le fait qu’il n’y ait pas eu de consensus jusqu’à présent au sein du Conseil de sécurité. L’appel au cessez-le-feu doit être adressé à toutes les parties en conflit, à savoir les autorités syriennes et l’opposition armée. La Russie a demandé deux à trois jours supplémentaires pour finaliser le projet parrainé par certains pays arabes et occidentaux. Mais malheureusement, nos partenaires au Conseil de sécurité ont préféré faire le forcing en soumettant le projet au vote.

Ne croyez-vous pas qu’on s’achemine vers un scénario libyen pour la Syrie, sachant que la Russie était auparavant opposée à une intervention étrangère en Libye avant de laisser faire les forces de la coalition, ce qui a précipité la chute du régime de Kadhafi ?Dans le cas syrien justement nous voulons éviter la répétition du scénario libyen, cela veut dire une intervention extérieure militaire dans le conflit interne. C’est pourquoi nous encourageons le dialogue entre toutes les composantes de la société civile syrienne. Ce n’est pas aux forces étrangères de dicter la formule du règlement de la crise. C’est aux Syriens de choisir le régime et les réformes qu’ils veulent. Ce que nous défendons, c’est la légalité internationale. Il ne s’agit pas seulement de la situation syrienne, qui est grave, mais des fondements du droit international.

Pourquoi la Russie a-t-elle refusé de se réunir à Tunis avec le groupe des amis de la Syrie ?S’agissant du refus de la Russie de participer à la réunion de vendredi à Tunis du groupe des amis de la Syrie, le représentant de notre ministère des Affaires étrangères a expliqué que l’ordre du jour et la liste des participants n’ont pas été communiqués aux responsables russes. Aussi, les objectifs d’une telle réunion n’ont pas été clarifiés. En outre, les représentants du gouvernement syrien n’étaient pas invités. Ce qui veut dire qu’une grande partie de la population syrienne qui soutient le régime en place n’était pas représentée. Ensuite, nous avons l’impression que la réunion avait pour but de créer en quelque sorte une coalition internationale similaire au cas libyen, afin de soutenir une partie contre l’autre dans le conflit interne. Nous sommes très préoccupés de la situation humanitaire en Syrie. C’est pourquoi la Russie a proposé que le secrétaire général de l’ONU envoie en Syrie son représentant spécial pour discuter avec toutes les parties la question de l’acheminement sécurisé des aides humanitaires. Dans ce contexte, la Russie a soutenu la décision du secrétaire général de l’ONU d’envoyer d’urgence en Syrie son adjoint pour les questions humanitaires et la nomination de Kofi Annan en tant qu’envoyé spécial de l’ONU et de la Ligue arabe sur la crise syrienne. Nous sommes toujours prêts à travailler ensemble au sein du Conseil de sécurité pour aider à une solution politique en Syrie. Tout en appelant à cesser immédiatement la violence, nous pensons qu’il serait très dangereux d’attiser la confrontation armée avec le risque d’une guerre civile généralisée et des conséquences néfastes pour la Syrie et toute la région.

Le rôle de la Russie dans la crise syrienne est palpable, alors que celle-ci est quasi absente lorsqu’il s’agit de la Palestine, sachant que Moscou est membre du Quartet et membre permanent du Conseil de sécurité. Pourquoi avoir deux poids, deux mesures ?Pour la Palestine, il est malheureux que le processus politique de négociation soit gelé pour des raisons bien connues. Mais la Russie ne reste pas passive au sein du Quartet et dans nos contacts bilatéraux avec les parties. Récemment, en janvier, le Président Abbas a été reçu à Moscou par les plus hauts responsables russes. La Russie œuvre toujours pour sortir le processus de paix de l’impasse.

Quelle sera la réaction de la Russie si Israël exécute ses menaces de frappes aériennes contre les installations nucléaires iraniennes ?Nous sommes contre l’option militaire. Nous avons toujours privilégié la voie politique et diplomatique, notamment à travers le dialogue de Téhéran avec le groupe des six dans la résolution de l’affaire du programme nucléaire iranien. C’est pourquoi nous mettons en garde contre des tentatives éventuelles de recours à la force qui aurait des conséquences catastrophiques.

Bientôt se dérouleront les élections présidentielles en Russie. D’après vous, Vladimir Poutine succèdera-t-il au Président sortant Medvedev ?Le premier ministre Poutine est candidat et il est largement en tête des sondages réalisés à la veille des élections présidentielles du 4 mars. La campagne électorale se déroule dans la transparence totale avec la participation de quatre autres candidats, toutes tendances confondues, qui exposent librement leurs programmes sur les chaînes de télévision et en organisant des meetings populaires. Au Maroc, des bureaux de vote seront mis en place à notre ambassade à Rabat et au Consulat général de Russie à Casablanca pour que nos compatriotes puissent exercer leur devoir national, celui de voter. 

Entretien réalisé par Mohamed Jouahri, El Mahjoub Rouane et Hamid Semmouni.

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