Fête du Trône 2006

Libéralisation du transport maritime et aérien : quels premiers constats et quelles solutions ?

La dernière décennie, force est de le constater, a permis un «bond en avant» dans le développement des infrastructures de transport : autoroutes, aéroports, ports, chemins de fer… et dans le processus de libéralisation et d’introduction de la concurrence dans les modes de transport terrestre, maritime, aérien et portuaire.

Hassania Cherkaoui,

18 Novembre 2012 À 15:48

 Quels premiers bilan et évaluation peut-on faire de cette politique de libéralisation ? C’est l’objet d’une première rencontre de l’Association marocaine de droit maritime et aérien, l’AMDMA, créée en avril 2012 et animée par des experts reconnus. L’objectif de l’Association est de promouvoir le transport maritime et aérien ainsi que son organisation et son rayonnement. Il s’agit en fait de doter le Maroc de l’outil de prospective maritime et portuaire qui lui fait défaut depuis 50 ans. Un outil qui aurait sans doute permis d’anticiper la dérive du secteur maritime qui a vu la flotte marchande nationale réduite en une peau de chagrin. En 1980, le Maroc disposait d’une flotte de 66 navires avec une capacité de chargement de 660 000 tonnes. Aujourd’hui, elle n’en compte que 12, avec une capacité de 110 000 tonnes ! De son côté, la RAM a fortement souffert de l’arrivée des compagnies low cost ! Entretien.L’AMDMA, l’association que vous présidez, procède à une première évaluation de la politique relative à «la libéralisation du transport maritime et aérien», une occasion peu-être de faire le point sur les accords Open Sky et Open Sea signés par le Maroc ?Dans le domaine maritime, le Maroc a entrepris de libérer le secteur du transport pour répondre aux exigences des accords internationaux qui l’engagent en tant que membre de l’OMC. Il se trouve ainsi automatiquement lié par l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) et aussi par l’Accord d’association avec l’Union européenne datant du 26 février 1996, qui prévoit à son article 31 l’engagement de coopération entre les parties en fonction des résultats des négociations menées au sein de l’OMC. Le but de ces engagements pour le Maroc est de lui permettre, par l’ouverture de ses relations extérieures, d’améliorer les services de transport au profit du commerce extérieur marocain. Ce processus a consisté à faire passer dans le champ de l’économie de marché des activités qui étaient auparavant exercées par l’État ou par un monopole public.

Porté par une dynamique, semble-t-il, incontournable, celle de la libre concurrence ?Oui, tout à fait, la libre concurrence maritime, volet commercial de la liberté des mers, paraît inéluctable. Contrairement au transport aérien, soumis aux contraintes techniques des états de relâche, les flottes de commerce, libres d’aller où le profit les appelle, n’ont de compte à rendre à personne. Cependant, faute de régulation nationale, cette liberté laisse place à un simple rapport de forces. Aux détenteurs de la puissance économique en mer, revient le pouvoir sur les activités portuaires auxiliaires, techniques comme commerciales, manutention comme courtage. Les nouvelles technologies nées de la conteneurisation, transport combiné, porte à porte, facilitent l’infiltration de cette prééminence armoriale au cœur de l’activité commerciale nationale. Mais la libéralisation du transport maritime a été insuffisamment préparée et surtout improvisée. L’«Open sea» s’est fait sur la base d’une simple circulaire alors qu’il aurait dû faire l’objet d’une vaste consultation avec évaluation de l’impact sur le pavillon national, ce qui a eu pour conséquence de faire perdre au Maroc son indépendance maritime en termes de flotte de sécurité. Pour ce qui est de l’«open sky», signé à Bruxelles le 12 décembre 2006, relatif aux services aériens entre la Communauté européenne et le Maroc, il prévoyait un octroi conditionnel de la cinquième liberté aux parties contractantes. Au préalable, le Maroc devait intégrer toutes les dispositions de la législation communautaire relatives au transport aérien dans sa législation. Un comité mixte était en charge de valider cette décision dans un délai maximum de deux ans. L’analyse de cet Accord permet de faire apparaître certaines ambiguïtés.

L’approche comparative pourrait-elle aider dans cette analyse ?Oui, il est intéressant de faire le parallèle avec l’accord «open sky» entre les États-Unis d’Amérique et l’Union européenne. Il semblerait, selon le Pr Grard ,qui va intervenir à la conférence, que «l’ouverture à la concurrence n’est pas totale et que des questions demeurent irrésolues : alors que certaines compagnies américaines, sur la base de la cinquième liberté, sont à même de relier deux points dans l’UE, l’équivalent sur le territoire américain (cabotage) n’est pas admis». C’est cette situation que nous vivons au Maroc par rapport à l’accord que nos autorités ont signé avec l’UE. En fait, ce que font les USA à l’Europe, l’Europe le fait subir au Maroc. C’est encore un rapport de forces qui s’installe faute de régulation nationale. La libéralisation du transport maritime et aérien a des conséquences graves sur l’économie de ces transports parce qu’elle a été insuffisamment préparée. Dans le domaine maritime, la situation est plus alarmante que dans le domaine aérien. Mais le Maroc est en mesure de faire face à cette situation, car les solutions existent et la volonté de notre gouvernement est clairement établie pour y remédier. Il s’agit de tirer la sonnette d’alarme en démontrant les conséquences de la dépendance maritime dans laquelle se trouve actuellement le Maroc et de proposer quelques mesures de précautions à prendre.Vous êtes professeur de droit maritime et aérien et dans vos travaux et recherches vous mettez l’accent sur le retard législatif de ce secteur. Qu’en est-il réellement ?Le problème de la législation maritime date de 1982, quand notre pays a commencé à s’intéresser à celle-ci. Ce volet a été confié à des collègues étrangers qui n’ont pas pris en considération l’intérêt économique marocain, et c’est normal, car il s’agit d’une matière délicate qui touche l’économie et la politique dans les rapports internationaux. Le tort c’est que l’on a confondu cette matière internationale avec des matières de droit terrestre qui s’applique dans la limite du territoire marocain et entre marocains. Heureusement que ce projet, qui a été refait 6 fois, et dont la dernière mouture date de 2007, n’a pas été soumis au Parlement. En effet, dans son ensemble, il est très confus. Le plus souvent, ses règles sont erronées, voire contradictoires. Des dispositions de conventions internationales diamétralement opposées y sont introduites, certaines professions maritimes sont mélangées ou sont inexistantes au Maroc. Le plus étonnant est qu’il exclut de la navigation maritime les navires de pêche, confondant le produit de la pêche et le navire qui pratique la navigation, alors que celui-ci se trouve juridiquement soumis aux mêmes règles que le navire de commerce concernant, notamment, l’armement, la saisie, les événements de mer, la responsabilité, la construction et la vente de navire, les privilèges et hypothèques maritimes, l’assurance et sa relation juridique avec les ports et les autorités portuaires.Le monde bouge, s’internationalise, les modèles et législations se reconstruisent, mais, semble-t-il, nous sommes restés arc-boutés au dernier siècle ? Quelle est votre analyse sur ce point précis de la législation ?Pour la législation maritime, le Maroc est toujours régi par le dahir de 1919. Or la politique économique dans le domaine maritime est en perpétuel changement sur le plan international et les responsabilités deviennent de plus en plus lourdes. Elles sont de plus en plus pénales, notamment, en matière de pollution maritime. Le Maroc ne retire pas les ressources que peut procurer ce secteur à cause de l’archaïsme et de l’état de délabrement avancé du code de 1919. Cette loi maritime doit être remplacée de manière urgente par une codification cohérente qui soit en concordance avec les réglementations internationales en vigueur ainsi qu’avec les pratiques commerciales. L’évolution permanente des techniques commerciales et des réglementations juridiques internationales rend nos textes de plus en plus inutilisables. Notre législateur tarde à adopter certaines conventions internationales économiquement importantes pour le Maroc. La plus importante est celle concernant la responsabilité de l’armateur en matière de créances maritimes de Londres de 1976 et de son protocole de 1996. Il perd ainsi l’occasion de se procurer des ressources financières, pourtant consacrées sur le plan international. Dans un domaine où la réciprocité est la règle, cela devient inadmissible. Lorsque le droit n’est plus adapté, il devient un outil au service du sous-développement. S’agissant d’un droit international, le minimum que l’on puisse garantir est une législation sérieuse, équitable et juste. Autre point, le Maroc tarde à mettre en application la plupart des conventions qu’il a ratifiées et promulguées dans le domaine pénal notamment. Il n’existe juridiquement aucune pénalité pour les infractions commises contre l’environnement marin prévues par les Conventions Solas, Marpol, de Bâle, de Londres, d’Izmir et de Barcelone, qu’il a pourtant ratifiées.Qu’en est-il en droit aérien ? En droit aérien, la convention de Montréal de 1999 est enfin mise en vigueur au Maroc par sa ratification et sa promulgation au BO le 5 octobre 2012. Cette convention prévoit une indemnité raisonnable en cas de décès ou de lésions du passager pendant le transport international. Toujours dans le domaine aérien, un projet de code de l’aviation civile a été également rédigé. Certaines de ses dispositions sont erronées, car elles sont en contradiction avec les conventions ratifiées par le Maroc. Ce projet devrait être refait dans son entier par des spécialistes du droit aérien. L’étude des projets de code maritime et aérien fera l’objet d’une autre conférence de l’AMDMA prévue pour le mois d’avril 2013.L’actualité, ce sont ces multiples et importantes pénalités délivrées par le Conseil de la concurrence espagnol que devront payer les compagnies maritimes marocaines opérant dans le détroit, pour entente sur les prix et d’autres comportements illégaux. Votre analyse et réaction ?Votre question montre à quel point nous sommes absents. En effet, ce sont nos nationaux vivant à l’étranger qui ont été victimes de ce monopole sur les tarifs pratiqués dans le détroit par des compagnies espagnoles et allemandes, sur lesquelles les tarifs marocains se sont alignés.  L’UE n’a pas de loi antitrust comme les USA, qui, dans ce cas particulier, auraient retiré la compagnie du trafic maritime. Le Conseil de la concurrence dans un État de l’UE autorise le monopole, mais le sanctionne en cas d’abus. Et là, il s’agissait bien d’un abus subi par le consommateur. Cependant, il est regrettable que le Maroc soit absent et ne prévoit pas de contrôle de la décision espagnole. En effet, on ne connaît pas la procédure engagée et la compétence du Conseil de concurrence espagnol : nous savons qu’avant toute sanction il y a une procédure pendant laquelle les présumés coupables sont prévenus. Nous savons aussi que ce n’est pas au Conseil de la concurrence de prendre des sanctions avec amendes, mais à l’autorité judiciaire, pour laisser aux présumés coupables le droit de la défense, qui est d’ordre public. Ce sera le rôle d’une institution au Maroc, instrument qui serait chargé de limiter ce genre d’abus des autorités espagnoles. La mission d’une telle institution n’est prévue par aucun texte organisant les autorités portuaires existantes actuellement. Nous aurons l’occasion de donner quelques exemples des missions que peut remplir cette institution de conseils lors de la conférence de l’AMDMA. L’actualité c’est aussi le tragique échouement du Costa Concordia survenu en début d’année. Qu’en est-il des réparations des préjudices ?C’est une question de fond : on se demande : comment peut-on continuer à priver les victimes d’une réparation raisonnable en cas de préjudice causé par le transport maritime ? Heureusement que l’UE s’en est chargée, évidemment sans savoir qu’elle nous a accordé sa protection à nous Marocains qui empruntons ses navires. En effet, «tout transport effectué sur un navire battant le pavillon d’un État membre (ou immatriculé dans celui-ci), comme aux contrats de transport conclus dans un État membre ou aux transports où le lieu de départ ou de destination se trouve dans un État membre». Les précisions sont dans mon article paru dans un journal de la place. Dans ce système, les textes ont institué un régime d’assurance obligatoire, ce qui protège dorénavant le consommateur contre la liquidation de la compagnie. Le droit marocain dans ce domaine est toujours soumis aux règles de la convention de Bruxelles de 1961 sur le plan international (transport entre l’Europe et le Maroc) et du dahir de 1919 sur le plan interne (transport entre Casablanca et Agadir par exemple). Ces textes sont largement dépassés sur le plan international. L’effort du Maroc devrait s’exercer dans le sens d’une harmonisation des textes internationaux, sinon ses nationaux déserteront le pavillon marocain, qui demeurera, toutefois, soumis au Règlement du 23 avril 2009 vis-à-vis du passager européen, en vertu des règles de compétences prévues par la Convention du 10 mai 1952 sur la compétence civile en matière d’abordage.

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