05 Octobre 2012 À 18:41
Le Matin : Dans l’ouvrage «Fragments de mémoire» qui relate l’histoire de la CDG, M’fadel Lahlou (directeur général de la CDG de 1974 à 1995), rappelle l’histoire du Régime collectif d’allocation de retraite (RCAR) qui fut, dit-il, sa grande fierté. Il vous rend un hommage appuyé en rappelant que vous avez été «le grand maître de ce régime». Pourriez-vous nous rappeler la genèse de la création du RCAR et ses objectifs ?
Mustapha Mechaouri : Après 4 années comme chef du service du Portefeuille mobilier de la Caisse, j’ai été nommé, en 1975, Responsable de la Caisse nationale de retraites et d’assurances (CNRA) qui, à cette date, ne gérait qu’une douzaine de milliers de dossiers d’accidents du travail avec une quinzaine d’agents et un chiffre d’affaires annuel ne dépassant pas les 5 millions de dirhams.En me confiant cette responsabilité, M. Lahlou m’avait fortement sensibilisé à l’importance d’entreprendre un travail relationnel pour que le Régime collectif d’allocation de retraire (RCAR), en le comparant à la CNSS et à la CMR, soit considéré, par l’enquête lancée par le gouvernement auprès des établissements publics, comme la solution fiable et avantageuse. Cette enquête, dont les premiers travaux avaient été entamés par MM. Tazi et Triqui, était menée par les ministères des Finances et du Travail sous la supervision de feu Belkhayate, alors secrétaire d’État aux Affaires économiques.Il fait reconnaître que si le travail entrepris avec la collaboration de certains cadres de la CNRA (je pense notamment à MM. Alami, Belghazi, Doghmi et feu Tahraoui) a énormément contribué à la création du RCAR, l’appui des responsables de la Direction des Assurances (MM. Kanouni et Sekkat) a été un atout majeur en faveur du choix du RCAR comme système de retraire non seulement pour les établissements publics, mais aussi, par extension, pour les agents non titulaires (journaliers, occasionnels, temporaires et contractuels) de l’État et des Collectivités locales. Par la suite, les choses sont allées très vite et les projets des textes juridiques, dont la première version remonte au début des années 60, ont été revus et adaptés avec les responsables de la fonction publique (MM. Jenane et Haddad) et approuvés par le gouvernement de M. Osman en octobre 1977 et, en l’absence du Parlement, publiés immédiatement en tant que Dahir portant loi.Lors de l’enquête et de la mise au point des textes, l’objectif recherché était, certes, la concrétisation du projet dont pourrait bénéficier plus de 300 000 agents et employés dont ceux de la CDG, mais aussi, et surtout, la possibilité de créer auprès de l’institution un pool de prévoyance social offrant des prestations avantageuses et variées et canalisant une épargne à long terme, à l’image de la Caisse des Dépôts française avec ses organismes gérés : la Caisse nationale de prévoyance (CNP) et l’Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’État et des Collectivités locales (IRCANTEC).
Vous avez opté pour la mise en place de la première plateforme informatique pour une caisse de retraite au Maroc. Pourquoi ce choix de l’informatisation à un moment où cela n’était pas évident ?Quand les textes ont été publiés dans le BO du 14 octobre 1977, c’était, pour la direction générale, mes collègues et moi-même, une source de grande satisfaction, mais aussi la source de beaucoup d’appréhensions et de doutes, notamment sur la faisabilité de traduire et décliner des textes juridiques complexes et lourds en organisations et procédures administratives, comptables et financières. Un dossier trouvé dans les archives, œuvre d’un actuaire belge (M. François), qui avait travaillé sur ces aspects, avait estimé à 500 employés le nombre d’agents à recruter pour assurer l’exécution manuelle de toutes les procédures administratives, financières et comptables du RCAR. En présentant les conclusions de ce dossier à la direction générale de la CDG, je me rappellerais toujours la réaction de M. Lahlou qui s’est demandé comment recruter autant de personnes, où les installer, comment les former quand on sait, qu’à cette époque, tout le personnel de la CDG, y compris la CNRA et le FEC (Fonds d’équipement communal), ne dépassait pas les 80 employés.Fort d’une petite expérience de la mécanisation (saisie des données sur cartes perforées et exécution des travaux en batch) des rentes accidents du travail, et après plusieurs réunions pour apprécier l’importance et la complexité de la création des structures du RCAR, j’ai proposé, dés le départ, l’adoption d’une solution informatique pour la gestion de toutes les organisations et procédures du RCAR.À cette époque, plusieurs ingénieurs informaticiens marocains, qui exerçaient auprès d’un grand constructeur international, avaient décidé de quitter leur emploi et de créer une société marocaine (IMEG) ayant pour objet d’aider les PME à adopter l’outil informatique comme une solution technique fiable et intéressante financièrement pour gérer leurs activités. IMEG, qui était dirigée par M. Belmokhtar, ex-ministre et ex-président d’Al Akhawayne, s’était engagée à apporter tous les moyens pour nous accompagner dans la création du RCAR, en mettant à notre disposition un ingénieur de grande compétence, M. Ghaouti. Si le choix de l’outil informatique était arrêté, les relations avec IMEG ont connu quelques difficultés, ce qui a poussé la direction générale de la CDG, sur ma proposition, à créer ses propres structures informatiques et à prendre en charge directement ses besoins et particulièrement ceux du RCAR.
Vous avez œuvré, avec votre équipe, pour garantir l’indépendance financière et managériale de la CNRA et du RCAR par rapport à la CDG. Pourquoi un tel choix ?Permettez-moi de vous faire une confidence : lors de la mise au point de la version finale des textes, certains responsables gouvernementaux m’avaient demandé de faire du RCAR un organisme autonome et donc totalement indépendant de la CDG. J’y ai répondu à moitié, tout en maintenant la relation avec la CDG, et c’est ce qui explique que la gestion du RCAR ait été confiée directement à la CNRA et qu’il dispose de son propre univers d’investissement. Il faut rappeler qu’à la date de préparation de la dernière version des textes du RCAR, les deux caisses de retraite existantes, en l’occurrence le CNSS et la CMR, déposaient la totalité de leurs fonds auprès de la CDG. Forte de cet état de fait, la direction générale de la CDG me rappelait, à chaque occasion, ses instructions de modifier le projet de loi du RCAR et d’aligner les dispositions sur le placement de ses fonds sur celles appliquées pour la CNSS et la CMR. Estimant que dans le cas du RCAR, la CDG, qui en assume la tutelle administrative et financière, ne pouvait être à la fois juge et partie. J’ai défendu jusqu’à la fin la nécessité pour le RCAR, à l’instar de la CNRA, d’avoir une certaine marge de manœuvre et une autonomie dans la gestion de ses fonds.Quant à la gestion administrative ou managériale, certains responsables de la CDG n’arrivaient pas à comprendre et, à fortiori, à admettre qu’un jeune organisme en pleine croissance nécessitait des procédures plus souples et plus rapides et des moyens plus adéquats que ceux appliqués pour la CDG. Ces arguments exposés avec persévérance ont fini par convaincre la direction générale qui m’avait délégué ses pouvoirs administratifs et financiers pour la gestion de la CNRA et du RCAR.
En quoi ces nouveaux métiers créés ex nihilo se sont-ils avérés des plus complexes ?Je pense que c’est justement la complexité de tout métier, qu’il soit nouveau ou ancien, qui permet à tout manager et à ses équipes de relever des défis. Je suis licencié en sciences économiques, promotion 1970, et je n’ai étudié ni l’actuariat, ni l’informatique, ni la comptabilité, ni l’assurance. Mais en tant que manager, j’étais accompagné par des collaborateurs compétents, consciencieux, entiers et avec qui j’ai partagé beaucoup de réussites (RCAR, RECORE, FRAM, CRAC, Rentes accidents de circulation, Caisse de retraite des parlementaires, mise en place de nouveaux systèmes informatiques, réorganisation de la CNSS du Congo Brazzaville, etc.), mais aussi quelques échecs (les produits Addamane : Al Hirafi, Al Bahri, Al Filahi, Al Madrassi). Ces expériences, quelles aient été des réussites ou des échecs, nous ont permis de répondre à des besoins nationaux en termes de retraite et d’accompagner le Maroc dans la mise en place de son système de retraire.
Il y a eu cette dernière décennie la poursuite du processus d’intégration des caisses de retraite internes de grandes entreprises publiques et le développement de nouveaux produits. Quelle en a été la valeur ajoutée ?Heureusement que les responsables de certains établissements publics concernés (OCP, ONCF, ONE, LYDEC…) ont fini par comprendre que la gestion des caisses internes, souvent diluée dans leurs comptes comptables, devait être externalisée. Il est vrai aussi que la CNRA et le RCAR sont aujourd’hui des modèles de gestion technique et administrative reconnus nationalement et internationalement, comme en témoignent les prix reçus, comme celui des Nations unies en 2012. L’appartenance à un grand groupe, la qualité des gestionnaires et l’attractivité des produits d’appoint, je pense notamment à RECORE, ont fini par convaincre de la nécessité du transfert de ces caisses internes.
«Si le RCAR est un grand projet, on a fait beaucoup plus au niveau de la CNRA, car on a diversifié ses activités». De quelles activités parlez-vous ?Les textes de 1959, tout en permettant à la CNRA de bénéficier de la garantie étatique pour ses activités, lui donnaient également la possibilité de créer presque tous les produits d’assurance vie et d’assumer la gestion spéciale de toutes les rentes. Ces dispositions ont été exploitées dès la fin des années 80 pour créer RECORE, le Fonds de retraite des avocats du Maroc (FRAM) et Addamane Al Hirafi, assurer la gestion de la Caisse de retraite des avocats de Casablanca (CRAC) et le Caisse de retraite des parlementaires, prendre en charge la gestion spéciale des rentes accidents de circulation et, bientôt, celle de tous les accidents du travail.Aujourd’hui, le législateur a souhaité que ces dispositions soient mieux encadrées et c’est dans ce contexte que le Conseil du gouvernement a examiné le 27 septembre 2012 un projet de loi redéfinissant le périmètre d’intervention de la CNRA ainsi que les règles et procédures à suivre pour la gestion de ses activités actuelles ou à venir, introduisant certains contrôles et limitant, dans une certaine mesure, les souplesses dont a bénéficié cette Caisse jusqu’à présent.
Le RCAR se positionne pour jouer un rôle dans le cadre de la réforme des retraites. Quel rôle pourrait-il jouer et dans quels scénarii de réforme ?La première étude actuarielle menée en interne par les services du RCAR, à la fin des années 80, concluait que l’équilibre du régime serait assuré jusqu’en 2050, et ce, grâce aux taux de cotisation assez élevés (18%), aux taux de remplacement assez moyens (60% pour le régime général et 30% pour le complémentaire), au système mixte (capitalisation et répartition) adopté et au rendement financier correct des placements. J’ai suivi avec intérêt les différents scénarios proposés par la commission technique ad hoc constituée à cet effet. Je partage l’option d’un système de prévoyance à trois niveaux : CNSS et CMR comme régimes de base, respectivement pour le secteur privé et l’État, les collectivités locales et les établissements publics ; le RCAR comme système complémentaire pour l’État, les collectivités locales et les établissements publics et la CIMR pour le secteur privé, et enfin les produits d’assurances vie pour le troisième étage.Sur le papier, cette solution paraît possible, mais je pense que sa mise en œuvre sera plus difficile et plus compliquée, techniquement d’abord, mais aussi eu égard aux positions des responsables des différentes caisses qui voudront, le moment venu, que soit privilégié leur organisme au détriment des autres. Il demeure effectivement que si cette option est choisie, l’impact sera surtout au niveau du RCAR qui perdra la gestion du régime de base et la centaine de milliards de réserves techniques qu’il détient aujourd’hui.