01 Avril 2012 À 11:30
Le Matin : Pourquoi avez-vous choisi d’appeler votre nouvelle galerie « l’Aimance», nom qui est loin d’être banal ?Nathalie Locatelli : Il n’est effectivement pas banal. L’aimance est une notion philosophique inventée par le grand écrivain marocain Abdelkebir Khatibi qui en donne la définition suivante : l’aimance est une langue d’amour qui affirme une affinité plus active entre les êtres qui puissent donner une forme à leur affection mutuelle et à ses paradoxes, en donnant un espace de liberté entre les partenaires, un lieu de passage et de tolérance, un savoir-vivre ensemble entre genres, sensibilités et cultures diverses... ». La photographie est, parfois, souvent, une langue d’amour... J’ai rencontré en mars 2009 un universitaire marocain, Abdelghani Fennance, dont la thèse portait sur l’œuvre de Khatibi, qui m’a fait découvrir le poète, son œuvre et ce mot... aimance ...et ses possibilités de rapprochement avec la photographie. Abdelkebir Khatibi avait précédemment fait partie des portraits de Gérard Rondeau exposés à la galerie 127. La galerie de l’Aimance se veut ce lieu de passage de sensibilités et de cultures diverses...
Quelle est la vocation de cette nouvelle galerie ?La vocation de cette galerie est d’offrir un lieu d’exposition, de rencontres spécialisées en photographie tant pour les auteurs que pour les amateurs (dans le sens de celui qui aime). Une programmation ouverte à tous les genres photographiques nationaux et internationaux, avec à l’automne l’ouverture d’une librairie spécialisée en ouvrages sur la photographie.
Pourquoi avoir décidé d’ouvrir une galerie d’art à Casablanca alors que vous en avez une autre à Marrakech (la fameuse galerie 127) ?C’est un projet qui murit depuis plusieurs années. Il y a une certaine logique à avoir envie de partager avec le plus grand nombre et Casablanca est une ville dynamique d’un point de vue culturel et artistique. La galerie de l’Aimance vient compléter une proposition déjà bien installée, tout en étant différente. Il fallait aussi que je rencontre le bon partenaire. Sophie Benkirane avec qui je partage la même passion pour la photographie a permis de donner corps à ce projet. Le fait d’être Casablancaise lui a permis de dénicher cet endroit exceptionnel au cœur de la ville et nous l’avons re-inventé ensemble...
Quel genre de connexion aura-t-elle avec celle de Marrakech ?La galerie 127 continue son activité en parallèle avec la galerie de l’Aimance avec certainement, dans l’avenir, des programmations en commun. La clientèle de Marrakech et celle de Casablanca sont différentes et deux galeries spécialisées en photographie au Maroc ne semblent pas de trop, Bruxelles avec son seul million d’habitants en compte 3 !
Comment justifiez-vous le choix du photographe Albert Watson pour ouvrir le bal des expositions ?Cela fait 3 ans que nous sommes en contact avec le studio d’Albert Watson. Certains projets mettent, parfois, du temps à se concrétiser. Je l’avais imaginé pour Marrakech où Albert Watson a d’ailleurs une maison, et c’est finalement Casablanca qui en a la primeur. Par ailleurs, le livre « Maroc » d’Albert Watson est un de mes livres de chevet. Il est à mon sens le plus intéressant de tous les livres qui ont été réalisés au Maroc. C’est d’ailleurs un collector (comme quasiment tous les livres d’Albert Watson !). C’est un magnifique hommage que rend le photographe à ce pays et certainement un des regards les plus aimants qui a été porté sur les Marocains qu’il a croisés tout au long des 39 jours qu’il lui a fallu pour écrire ce carnet de voyages photographiques. Albert Watson a réalisé également un bon nombre de ses images de mode au Maroc, celles de Kate Moss par exemple... C’est la première fois qu’Albert Watson expose au Maroc...
Comment voyez-vous l’évolution de la photographie dans notre pays ?La photographie a besoin d’autres structures que les seules galeries pour la mettre en valeur. Des écoles, des festivals, des institutions spécialisées... des critiques spécialisés... des structures techniques comme les laboratoires de développement... Nous attendons avec impatience l’ouverture prochaine du Musée de la photographie à Marrakech. Mais la photographie au Maroc, ce n’est pas seulement celle réalisée par les photographes « marocains », il y a aussi tous les photographes étrangers qui viennent « travailler » au Maroc et ils sont très nombreux. Je rencontre quasiment 4 ou 5 photographes par mois, venant du monde entier. Ils viennent à la galerie me montrer leurs images... des jeunes et des moins jeunes. C’est formidable de voir à quel point le Maroc est sujet inépuisable. Et il y a aussi les artistes de la diaspora dont le cœur du travail est leur originse marocaine. Je cite Malik Nejmi qui, d’ailleurs, expose à l’IMA (Institut du Monde arabe) à Paris des images de la série El Magreb ou encore Carolle Bnitah qui a fait de son enfance marocaine le sujet de sa série de photographies brodées... Le Maroc et la photographie, c’est encore et longtemps une affaire d’aimance...