14 Juin 2012 À 16:57
● Pour l’expert qu’est Zakaria Fahim, «il faut désormais mettre en place des outils de détection de repreneurs en germe, puis les accompagner dans les méandres administratifs, fiscaux et juridiques, étant précisé que la reprise d’une entreprise est avant tout une formidable aventure humaine».
Le Matin : à travers nombre d’articles de presse, on évoque le problème de la transmission des entreprises et la nécessité d’une cartographie de celles qui sont potentiellement transmissibles. Le contexte démographique et économique est il-favorable ?Zakaria Fahim : le contexte actuel se caractérise par un certain nombre d’éléments. Avec le Plan Émergence, des stratégies sectorielles porteuses contribuent à la création de réelles opportunités d’investissement. De plus, on note des conditions favorables avec le développement de mécanismes d’accompagnement des entreprises performantes, tant nationales qu’à l’export, et la recherche de placements de sociétés de capital-investissement et de gestion de fonds. La place prépondérante qu’occupent les entreprises familiales dans le tissu économique et la pérennisation du cycle de vie de celles-ci, en leur assurant une transition réussie, présente également des atouts à considérer, comme l’investissement d’une épargne boursière conséquente dans l’économie réelle, même si la Bourse est actuellement en berne.
Vous avez mené une importante étude sur ce sujet. Quels en ont été les objectifs ?Les objectifs de cette étude sont nombreux. Pour les résumer, je dirais qu’il nous fallait analyser le profil et le parcours des repreneurs et des cédants, détailler la signalétique des entreprises cédées et à céder, étudier l’option de reprise-cession à et par un membre de la famille, recueillir les motivations pour la reprise-cession, déterminer les canaux et moyens utilisés pour trouver le cédant-repreneur, identifier les acteurs privilégiés pour l’accompagnement dans cette démarche, mettre en relief les critères de choix de l’entreprise à céder et du repreneur, analyser l’aspect juridique, fiscal, social, sociétal, financier et marketing. Tout cela doit être fait afin de pouvoir déterminer les points suivants : principales difficultés rencontrées, facteurs-clés de réussite de la reprise-transmission, programmes d’accompagnement adéquats, etc.
Quel a été le périmètre de cette étude ?Le périmètre de cette étude dépasse le cadre des entreprises familiales. La population mère concernée concerne les PME marocaines. Les repreneurs n’étant intéressés que par des success-stories. Nous nous intéresserons donc aux PME les plus performantes sur la base du chiffre d’affaires, selon le classement Essor-Inforisk. Dans ce cadre, nous avons choisi de cibler 102 entreprises parmi les 1 000 du classement Essor, toutes des PME dont au moins 43 sont familiales. Parmi celles-ci, nous avons étudié 50 cas de transmissions avérées.
Un mot sur la démarche globale en termes de vision des dirigeants et de vision des experts.
Concernant la vision des dirigeants, une étude nationale auprès des dirigeants de PME a été réalisée. Elle établit, entre autres, que la cible est constituée de dirigeants de PME, de repreneurs d’entreprise, de cédants d’entreprise et de non-cédants, ce qui implique un marché potentiel. L’étude établit aussi un échantillon composé de 100 dirigeants interrogés, dont 43 patrons d’entreprises familiales et 16 repreneurs. Le mode de recueil des informations a consisté en interviews réalisées entre septembre et octobre 2011, en face à face avec les dirigeants sur leur lieu de travail. Concernant la vision des experts, un benchmark international a été réalisé entre des experts à l’international, une quinzaine 2009 et une vingtaine en 2011. Il y a eu mise à contribution du réseau BDO International de 6 pays en 2009 (France, Égypte, Pays-Bas, Irlande, Turquie et Italie) et 7 pays en 2011 (France, Pays-Bas, Turquie, Italie, Afrique du Sud, Belgique et Mexique). Par ailleurs, 7 experts nationaux ont été approchés, des instances clés de l’économie marocaine comme l’Ordre des experts-comptables, l’Ordre des notaires, la Caisse centrale de garantie, la Confédération générale des entreprises du Maroc et le Centre des jeunes dirigeants. L’étude qualitative a porté sur 9 axes clés dans le processus de transmission d’entreprise : préparation de la transmission, mise en relation cédant-repreneur, fiscalité de la transmission, financement de la reprise, négociation, étape post-négociation, formation, lois spécifiques à la transmission d’entreprise et avantages pour l’acheteur.
Y a-t-il possibilité de convergence entre ces points de vue ?Les dirigeants et les experts s’accordent sur le fait que les chefs d’entreprises ont plutôt recours à des «conseillers de l’ombre», des amis ou des membres de leurs familles. Ils s’accordent également sur la longueur du processus et les difficultés administratives. Ce qui est sûr, c’est l’absence d’une culture de la transmission des entreprises familiales.
Pouvez-vous nous dire à travers les résultats obtenus de l’étude quels sont les motivations, les freins et les appréhensions des dirigeants actuels des entreprises familiales ?En général, les entreprises familiales semblent plus «intégrer» le concept de transmission dans ses options stratégiques. En effet, 46% des dirigeants y sont ouverts contre 39% en 2009. Les raisons incitant les dirigeants d’entreprises familiales à vouloir céder ou transmettre leur entreprise sont de 4 ordres. Quelque 62% des dirigeants d’entreprises familiales invoquent des raisons personnelles (départ à la retraite, raisons de santé, absence de relève, etc.). Environ 23% mettent en avant la morosité de leur secteur et/ou la volonté de changer de secteur. Il y a aussi 24% qui voient la transmission comme une manière de booster l’entreprise ou de la sauver de difficultés. Enfin, 20% d’entre eux considèrent la cession d’entreprise comme une simple opportunité financière. Quant aux freins qui entravent ce genre de transmissions intra-familiales, ils résident dans la volonté du dirigeant de démarrer sa propre activité (29%) ou parce que l’activité ne lui convenait pas (29%). De plus, près d’un quart évoquent également un désaccord et une absence d’opportunités réelles à ce niveau.
En général, quelles sont les options privilégiées ? Rachat, reprise ou transmission familiale ?La vente à un tiers commence à faire son chemin dans l’esprit du dirigeant d’entreprise, même si la transmission familiale continue à être prépondérante. La succession familiale est privilégiée pour assurer l’avenir de la progéniture et sauvegarder une tradition familiale. Ainsi, 6 fois sur 10, le successeur est déjà désigné et travaille au sein de l’entreprise. La vente à un tiers est le plus souvent une alternative à un manque de relève motivée ou compétente. Elle est plutôt privilégiée par les cédants potentiels ou avérés. En effet, près de la moitié d’entre eux (48%) envisage de vendre leur entreprise à l’extérieur du cadre familial.
Dans le processus de transmission, quelles sont les étapes de la négociation et de l’après-négociation ?Préparer sa négociation est l’étape préliminaire. Cela consiste à avoir une vue claire de la situation : connaître son dossier, les acteurs en présence et leur influence… Il faut également entrer dans la psychologie de l’autre : quelles sont ses motivations, veut-il aboutir rapidement, a-t-il des solutions de rechange, de repli ? Il faut savoir exactement ce que l’on veut : jusqu’où est-on prêt à accepter des concessions ? Il faut aussi détailler tous les points qui devront être abordés, hiérarchiser leur importance et identifier le «négociable» du «non négociable», essayer de définir, a priori, quels sont les sujets sur lesquels le consensus existe, ceux pour lesquels une zone de négociation coopérative existe et éventuellement ceux qui peuvent mener la négociation à l’échec. Identifier aussi les facteurs internes et externes pouvant avoir une influence sur la bonne fin de la transaction. Il faut enfin fixer un calendrier idéal et les points à mettre en discussion à chaque étape.
Quels sont, selon vous, les facteurs de réussite d’une négociation ?La création d’un climat propice au consensus et une bonne organisation de la négociation. Il faut aussi garder l’initiative dans les débats, prendre en compte «l’affectif», c’est-à-dire l’attachement du cédant à son entreprise, respecter la partie adverse, prendre le temps et faire preuve de patience, convaincre et amener la partie adverse à penser comme soi... C’est un travail ardu qui nécessite de l’expertise, mais aussi des qualités humaines et parfois l’intervention de conseils spécialisés, et notamment de son expert-comptable, autant d’éléments qui jouent le rôle de fusible si nécessaire en cas de négociations ardues.
Vous nous confiez que la phase post-négociation est tout aussi importante ?La fin de la négociation consiste à profiter du mouvement d’entraînement, voire d’«emballement», qui pousse les deux parties, devenues complices et solidaires, à résoudre les derniers désaccords en essayant de présenter une ultime solution qui se place «au-dessus de la mêlée», puis à rédiger un protocole d’accord. Ce protocole est l’acte juridique le plus important de la procédure de reprise puisqu’il matérialise les accords qui viennent d’aboutir entre le cédant et le repreneur, en reprenant un à un chaque point de la négociation. Lorsque la reprise concerne une société et qu’elle est réalisée par rachat de titres, le protocole est complété par un projet de garantie de l’actif et du passif, qui porte sur la phase qui suit l’acquisition définitive. L’idée est de pouvoir reconstituer, en cas de modification importante - et anormale - de la valeur de certains éléments du bilan, la situation sur laquelle les parties s’étaient mises d’accord. Il faut bien sûr prendre ses précautions, car tout accord engage définitivement le vendeur et l’acheteur même lorsqu’il y a des conditions suspensives.
Quelles sont donc les démarches à accomplir ?Une fois que le document d’engagement est signé, c’est-à-dire que le protocole d’accord, ou la promesse de vente est effectué, le repreneur s’engage définitivement par la signature de l’acte de cession. Avant et après celle-ci, il doit procéder à des formalités administratives diverses : synchroniser les accords des différents financeurs pour obtenir le déblocage des fonds à la date prévue, effectuer les procédures administratives obligatoires comme l’immatriculation, la publicité de l’acte, etc. Ces démarches sont souvent effectuées par le conseiller choisi par le repreneur.