26 Août 2012 À 11:59
Sans puiser dans la complaisance ni dans un tapage cru, le discours de S.M. a été plein de messages, francs, sincères et raisonnables, aussi bien à la classe politique qu’à Monsieur Tout-le-Monde, tout en appelant les choses par leur nom, sans détour ni circonlocutions. Les difficultés et maux de tête que connaît notre jeunesse sont multiples, surtout ceux liés au système éducatif : un gouffre qui se creuse jour après jour, et cela, au détriment de notre avenir et histoire de demain. Et d’après l’analyse claire, juste et pleine de bon sens, sans toutefois se bercer d’illusions : «C’est l’affaire de toute la société, et des solutions doivent être trouvées à tous les problèmes que connaît la jeunesse.» Et l’un des problèmes majeurs qu’on peut déceler se rapportant étroitement à l’éducation nationale est l’impact de la langue d’enseignement. Jusqu’à présent, tous les partis politiques de toutes obédiences, modernistes ou traditionalistes, les uns par manque de courage, les autres par paresse, préfèrent se défiler et prendre le large pour ne pas devoir prendre une décision. La langue d’enseignement des écoles et lycées publics, même parfois de certains établissements privés, n’a guère délaissé le seuil ni su se délester du cordon ombilical du «Msid».
L’arôme enivrant du «smekh» des écoles coraniques, encre à base de laine de mouton, brûlée et mélangée à l’eau, jouit toujours d’une bonne santé et d’une grande faveur auprès de nos stratèges de l’Éducation nationale, qui s’est emparée jalousement de tous leurs sens. Et là le diagnostic nuancé et rigoureux de Sa Majesté est sans équivoque : «Il s’agit aussi de faire passer l’école d’un espace organisé autour d’une logique axée essentiellement sur le stockage en mémoire et l’accumulation des connaissances, à un lieu où prévaut une logique vouée à la formation de l’esprit critique et à la stimulation de l’intelligence, pour une insertion assurée au sein de la société de la connaissance et de la communication.» D’après mes expériences en Allemagne, pendant plus de 30 ans, «la société de la connaissance et de la communication» ne peut se faire que dans une langue vivante, langue de proximité, du quotidien et du vécu, des sentiments, des petites et grandes douleurs ; et la langue qui nous unit toutes et tous est bel et bien la langue marocaine, la darija, que nous soyons Arabes, Amazighs, Juifs ou Africains qui ne sont point des esclaves ni leurs descendants, car ils vivent dans leur pays et sur leur sol qui est un sol africain (Nord de l’Afrique) de premier choix.
Toutefois, cela ne veut pas dire qu’il faille exclure l’arabe ou l’amazigh, au contraire il faudrait qu’ils soient enseignés à l’école et à l’université. Toutefois, la langue d’apprentissage, de la science et de la connaissance devra être la langue marocaine, la Darija, clé du développement, de l’innovation et du progrès. Car toutes les nations qui ont su choisir la langue du quotidien, du dynamisme en tant que véhicule d’essor économique ont réussi leur pari : Corée du Sud, Turquie, Chine, USA, Grande-Bretagne, Allemagne, Suisse, Espagne, Italie, etc. Mon avis personnel, qui n’engage personne, sinon moi-même, est qu’une fois que nous nous serions débarrassés du sentiment de honte et du complexe d’infériorité qu’on éprouve aussi bien envers l’Orient que l’Occident et qu’on serait en état de mettre en valeur notre patrimoine riche et varié, notre langue maternelle et nationale (melhoun, proverbes, contes, chants, pièces de théâtre, blagues, romans, nouvelles, etc.), on avancera à grands pas et on verra apparaître des savants, des penseurs, des créateurs et des innovateurs marocains à l’envergure internationale, puisant leur sève dans le génie de nos populations plurielles et ouvertes sur l’autre. Dans ce cas-là, on parlerait bien d’une révolution culturelle sereine, calme et digne de nos attentes, et on procéderait à une réelle réhabilitation de l’école publique, tout en nous inspirant d’autres modèles de pays modernes et de leaders mondiaux, aussi bien sur le plan de la recherche que de la connaissance, tout en sauvegardant les acquis et les avancées réalisées grâce à la langue, la culture et la science de langue françaises et en nous ouvrant sur d’autres expériences réussies dans le cadre d’une complémentarité avisée et idoine qui irait de pair avec nos attentes et aspirations légitimes et réalistes.
L’Allemagne, par exemple, a bien su apporter une approche raisonnable et rigoureuse à la crise financière internationale. De plus, il s’agit du leader économique de nos pays voisins au Nord (PIB : 3 652 milliards USD, premier exportateur mondial : 951 milliards d’euros), la langue allemande est la deuxième langue scientifique et le système éducatif est l’un des plus performants. Alors, pourquoi ne pas profiter de cette expérience afin de remédier à nos maux ? Et nos enfants ne doivent pas tous avoir leur baccalauréat, vu qu’il y a un examen d’aptitude avant d’accéder au lycée allemand, seuls les élèves les plus méritants pourraient poursuivre leurs études au lycée. Les autres, ceux qui ne seraient pas aptes, seraient orientés vers des professions pratiques : plombiers, chef de cuisine, menuisiers, coiffeurs, etc. Car il faut admettre qu’il est impossible que tout le monde devienne astronaute, chercheur, savant, universitaire, ingénieur, médecin, etc. Il faut savoir reconnaître ses propres limites, les limites de sa progéniture et arrêter de vivre dans l’illusion. Toutefois, la méritocratie pure et dure, la transparence, l’égalité des chances et la bonne gouvernance sont les ingrédients indispensables de la réelle démocratie.
Quant à la formation professionnelle, il faudrait instaurer un «Duales System», un système éducatif qui a pour vocation de former des jeunes dans des écoles professionnelles tout en leur donnant la possibilité d’exercer leur métier dans des entreprises pour une durée de 2 à 3 ans afin d’en faire des travailleurs qualifiés, dotés d’une haute technicité. Les entreprises prennent l’apprenti en charge et lui versent une rémunération. Dans ce cas-là, nous aurions en effet un enseignement de qualité, adapté aux temps modernes, une nouvelle méthode et approche qui garantirait l’épanouissement et le sens de la responsabilité de nos jeunes. Il faut être clair, certes, il y a des exceptions, toutefois notre système éducatif ne produit aujourd’hui, en grande partie, que des analphabètes lettrés, une contestation forcenée, un chômage indocile, un futur sans avenir, des diplômes erronés, des tensions sociales, susceptibles d’éclater à tout moment et de se propager comme un feu de paille, une insécurité tenace, une inégalité des chances des plus coriaces, une précarité systématique, une exclusion effrontée, à tel point que la plupart de nos compatriotes n’ont pas le sentiment d’être heureux et de vivre dans un beau pays, plein de charme et accueillant.
Le Royaume du Maroc a bien mérité une refonte ambitieuse et moderne de son système éducatif, autrement, toute tentative de progrès ou d’essor économique serait vouée à l’échec. Sans une profonde restructuration, une réhabilitation de l’école marocaine, un enseignement de qualité, dispensé dans notre langue nationale, je ne vois comment on pourrait rejoindre la locomotive des pays développés. Quand est-ce qu’on va se concentrer sur soi-même, sur ses forces vives et ses compétences locales ? Comme c’est le cas en Corée du Sud ou en l’Allemagne. Personne n’a reconstruit l’Allemagne lorsque les forces alliées ont réduit le pays en cendres. Personne n’a aidé les Allemands. Ils n’ont pas non plus commencé à pleurnicher sur leur sort, non, ils ont craché dans leurs mains et sont repartis de zéro. Tant que nous n’aurons pas mobilisé tout notre capital humain, dans notre langue maternelle qu’est la langue marocaine, afin de devenir un pays industriel, producteur et non importateur, consommateur à outrance, nous serons toujours à la merci des subventions, des aléas et des priorités de l’autre. Quant au ministre de la Culture, il doit revoir ses priorités et réserver une place de choix à la création en langue marocaine, sans exclusion ni adoption de la politique des proches et du copinage, tout en créant des prix qui récompensent la pure création marocaine et promouvoir ainsi le rayonnement d’une culture marocaine plurielle et diversifiée.