Spécial Marche verte

Le passé qui ne passe pas

Entre ceux qui tolèrent qu'une femme ait eu des aventures avant de se marier et ceux qui le refusent catégoriquement, les avis des hommes divergent.

29 Janvier 2012 À 12:02

Adil et Karim, deux jeunes amis trentenaires célibataires sont en train de discuter, depuis plus deux heures, dans un café branché de la métropole. Il parlent de tout et de rien : travail, famille… jusqu'à ce qu'ils tombent sur le sujet des femmes et en particulier s'ils accepteraient ou pas que leur future épouse ait vécu des aventures amoureuses avant le mariage. Karim trouve qu'il n'y a aucun mal à épouser une femme qui a un passé. Pour lui, cela reste du passé. Il ne la jugera que pour le présent et le futur.
«Révolu le temps où l'homme cherchait une femme pour laquelle il sera le premier et l'unique dans sa vie afin de l'épouser. Aujourd'hui, nous autres hommes, entretenons des relations amoureuses avec les femmes depuis notre plus jeune âge. C'est une réalité que l'on ne peut nier. Il est quasiment impossible de trouver cette perle rare.

Personnellement, je cherche plutôt une femme avec qui je m'entendrais bien toute une vie. Je la jugerai pour sa personnalité, pour son caractère, pour ce qu'elle est… mais pas pour ce qu'elle a vécu avant que je la connaisse», confie Karim.
Adil, lui n'est pas du tout de l'avis de son ami. «Il est hors de question d'accepter d'épouser une femme qui a connu d'autres hommes avant moi. Un jour, je suis sorti avec une fille qui m'a avoué, sans gêne, qu'elle a eu des relations intimes avec d'autres hommes. J'ai essayé d'être compréhensif parce que je l'aimais, mais cela a été plus fort que moi. L'imaginer avec d'autres que moi me rendait fou de rage, cela envenimait notre vie de couple et nous avions décidé de rompre. Si vraiment trouver une fille «bien» est devenu une mission impossible, je préfère ne rien savoir sur le passé de ma future femme ou rester carrément célibataire», affirme Adil.

Adil et Karim reflètent un peu la situation de l'homme marocain qui ne sait pas s'il doit rester attaché aux mœurs, à son éducation et son égo ou bien chercher tout simplement la femme de sa vie en faisant fi de passé.
Abdelkrim Belhaj, psychosociologue, dit qu'il s'agit d'un problème dans lequel s'entrecroisent différents facteurs subjectifs propres à la personne. Par conséquent, ce n'est pas seulement une question de mentalité, qui peut changer d'une génération à une autre.

«Le changement ne se cultive pas par une simple équation de compréhension ou en tenant compte des modes d'éducation ou de socialisation tels qu'ils sont encore opérés dans la société. La situation veut que le lien une fois établi entre les deux partenaires à l'occasion d'un mariage ou de fiançailles, souvent lorsque les bases manquent de solidité ou face à une crise, les antécédents de l'un ou l'autre peuvent revenir en force pour en envenimer les relations. Dans ce cadre, la dimension relative à la confiance lorsqu'elle est fragile, le risque de volte-face du passé reste posé», explique-t-il.

Et d'ajouter : «Le changement peut être apprécié chez ceux qui s'engagent dans leur relation avec la femme en la considérant et l'appréciant pour sa personne, dans son présent et le futur à constituer en commun, tout en respectant son passé qui reste une affaire privée et un patrimoine strictement personnel. Certes, cette option est en train de se frayer un chemin dans la pratique de la vie de couple, mais timidement et non au point de confirmer l'état des lieux et en faire l'objet d'un changement».

En effet, si beaucoup d'hommes, jeunes et moins jeunes, commencent à considérer le passé amoureux de la femme comme étant une réalité inévitable et préfèrent l'oublier pour vivre en paix, une grande partie de la gent masculine continue à penser de façon machiste et fait de la chasteté de la femme un capital très important et une condition pour le mariage, selon les témoignages et les commentaires dans les forums de discussion nationaux.

C'est d'ailleurs pourquoi certains spécialistes recommandent aux deux partenaires, et particulièrement aux femmes de nier en bloc. «Il est déconseillé que la femme raconte les détails de son passé à son mari. C'est un sujet très délicat qui peut nuire à une relation conjugale, surtout si l'homme souffre de paranoïa. Donc même si l'époux pose la question à sa femme, il est préférable qu'elle nie tout», explique Mohcine Benyachou, psychiatre, sexologue.

L'homme n'est jamais jugé

Bien qu'il ait vécu plusieurs relations amoureuses avant le mariage, l'homme n'est jamais jugé pour son passé.
Contrairement à la femme, un homme qui collectionne les aventures est considéré comme viril. «Il faut dire que la femme reste la plus exposée à ce genre de situation, c'est-à-dire qu'elle est interpellée pour rendre compte de son passé. Car ce passé est considéré comme un celui de son corps et de son âme, voire qui n'est pas perçu dans l'unité composante de sa personne et l'autonomie qui la caractérise, mais dans ce que celle-ci en a disposé ou consommé au fil des expériences de la vie antérieure», indique Abdelkrim Belhaj.
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