L'humain au centre de l'action future

«Les funérailles du lait»

Intense et touchant, tel est le conte que nous narre Mahi Binebine avec l’habileté et le savoir-faire qu’on connait à ce magicien des mots. Mamaya, personnage principal du roman, nous entraîne dans les méandres d’une aventure intérieure tourmentée par la douleur. Au bout du chemin, le deuil.

14 Septembre 2012 À 15:47

«Les Funérailles du lait» est un roman sur la douleur et le déchirement. Le tourment du personnage principal face à la cruauté d’une société, qui lui a confisqué ses droits de mère, n’a d’égale que la détermination d’une mère courage qui cherche le salut par la mémoire. À l’automne de sa vie, Mamaya est une femme meurtrie par le chagrin et rongée par une maladie qui ne lui laisse pas de répit. À la douleur corporelle constante s’ajoute celle de la perte des êtres chers qu’elle a aimés. Désormais, elle ne vit que sur des souvenirs qui reviennent de très loin. Cloitrée dans sa chambre et prisonnière d’un corps mutilée (la vieille dame a subi une ablation du sein), son existence est hantée par les fantômes du passé.Entourée de son chat (Minouch) et de sa fidèle servante Johara, elle passe le plus clair de son temps à ruminer ses vieux souvenirs et à repasser les images de sa vie. Celle de son fils aîné ne la quitte plus désormais.

Cet «Absent», qu’on a confisqué au giron maternel pour avoir «mal pensé», est parti trop tôt en laissant derrière lui des points d’interrogation qui broient les os de cette mère sans nouvelles de lui. Aux interrogations succèdent les actes. Mamaya décide, en effet, d’entreprendre un ultime voyage au tombeau familial pour apaiser sa douleur et offrir au grand absent ses «funérailles du lait».Du haut de sa souffrance, Mamaya, escortée par Johara et accompagnée par un fonctionnaire qui lui sert de chauffeur, part en campagne pour une mission secrète et des plus importantes, pour enfin offrir le repos éternel à son fils. Chemin faisant, les personnes qui ont peuplé sa vie reviennent hanter sa mémoire. Un flash-back qui met toute la lumière sur l’existence intense et sereine d’une dame de caractère. Attachante et fascinante, Mamaya éblouit le lecteur par sa personnalité et surtout par son humanité et la force de sa sagesse.

Pour atténuer la gravité du thème du roman, Mahi Binebine nous gratifie, comme à son habitude, d’un récit coloré et captivant loin de tout misérabilisme réducteur. Le souvenir cède le pas à la complainte et la sérénité au désespoir. Quand le fonctionnaire, ne comprenant rien à la démarche de la vieille femme, se moque de son geste, elle lui répond : «Voyez-vous, mon garçon, je ne fais que rendre en main propre ce bout de chair à Celui qui a bien voulu me le confier. Tant de choses nous échappent ! Et la mémoire est si fragile. Même en ouvrant nos cœurs, c’est à peine si nous découvrons l’ombre d’un sentiment, les traces d’un souvenir. C’est-à-dire, rien. Pourtant, les cendres de mon bonheur, moi je sais qu’elles sont là, dans cette mamelle fauchée. Pour les autres, la douleur creuse les rides, blanchit les cheveux, ternit les yeux ; pour moi, elle est comme un cocon que l’éternité tisse autour de nous... De la chair pourrie, monsieur le fonctionnaire ? Non, mon garçon ; de la douleur».

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