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Recyclage des déchets ménagers : un gisement de 400 MDH peu exploité

Bien que lancé il y a quelques années de cela, le plan pour une meilleure valorisation des déchets ménagers tarde à se concrétiser. Malgré les mesures incitatives du ministère de tutelle, le poids de l’informel pèse encore sur le secteur de la récupération des déchets. D’où un énorme manque à gagner. Enquête.

Dans certaines décharges, les chiffonniers vivent avec leur famille. Les enfants, aussi, prennent part à la récupération.

08 Août 2012 À 16:10

Ils passent leurs journées les mains plongées dans les poubelles. Ils farfouillent dans les 11 000 tonnes de déchets rejetés chaque jour, soit 0,75 kg par habitant (chiffre avancé par le département de l’Environnement), cherchant tout ce qui pourrait faire objet de négoce : papier, verre, fer, plastique, carton… «Ils», ce sont les spécialistes de la récupération qui travaillent sur les décharges publiques. Les déchets produits au Maroc ont ceci de particulier (et cela n’est pas pour déplaire à ceux pour qui l’argent n’a pas d’odeur) qu’ils sont constitués essentiellement de matière organique (50 à 70%).

Donc récupérables. Toujours selon le département de l’Environnement, la composition standard d’une poubelle est la suivante : papier (50 à 70%), plastique (6 à 8%), carton (5 à 10%), métal (1 à 4%), verre (1 à 2%). Ces déchets se concentrent dans une proportion de 75% environ en milieu urbain (chiffre de la GTZ, agence allemande de coopération technique). D’où la prolifération de ces «chineurs» dans les villes, essentiellement à Casablanca, à Rabat et à Kénitra, mais aucune statistique n’est en mesure d’en donner le nombre précis. Qu’ils poussent leur charrette à la force de leurs bras ou qu’ils confient cette tâche à une bête de somme, les «mikhalas», comme on les appelle couramment, ont un trait commun : leur apparence extérieure qui porte les stigmates de la profession.

À force de bras, ces récupérateurs de déchets représentent l’essentiel d’une activité dont le chiffre d’affaires peut atteindre, selon la GIZ, 400 millions de DH.À 35 ans, cet originaire de Kalaat Sraghna, père de deux enfants, paraît en avoir déjà 50. Il raconte : «Je fais ce travail depuis 1980, faute de trouver autre chose. Je commence ma journée à Derb Lengliz, dans la vieille médina de Casablanca, puis je vais à Romandie en passant par le boulevard Gandhi et, enfin, retour à Derb Lengliz. C’est dans ce quartier que je revends à un grossiste ce que j’ai ramassé dans la journée». Entre deux tris à mains nues, la tête dans les poubelles, cet autre récupérateur, père de trois enfants, explique qu’il cède le papier et le carton à 0,20 DH le kg, le plastique à 0,50 DH et les produits en cellophane à 0,40 DH.

10 km à pied, ça use les mains !

S’il est établi qu’en général un marcheur à cadence normale parcourt 10 km en deux heures, quelle serait donc la distance couverte par cet autre «chineur», rencontré sur le boulevard Gandhi, qui dit prendre son service à 9 h pour ne finir qu’à 18 h ? En tenant en compte de la charge qu’il pousse et des temps d’arrêt, dire qu’il effectue une dizaine de kilomètres par jour serait une approximation raisonnable. En plus de ce qu’écoulent ses homologues, ce marcheur au long cours vend la ferraille à 2 DH le kg, la bouteille en plastique à 0,30 DH l’unité… Une journée entière peut ne rapporter, au final, qu’entre 50 et 70 DH.Dans une étude publiée en 2005 déjà et intitulée «Développement du secteur du recyclage des déchets ménagers au Maroc», initiée par le ministère de l’Environnement et le Mediterranean Environmental Technical Assistance Program, on apprend que : «d’emblée, il faut souligner que le secteur de recyclage des déchets au Maroc souffre d’une absence totale de reconnaissance tant au niveau institutionnel, que juridique et réglementaire. Il évolue d’une manière autonome en marge du système, comme une activité commerciale artisanale tolérée et régie par la seule loi de l’offre et de la demande».

Sept années après le lancement de ce projet, sous la supervision de la Banque mondiale et financé par la Commission européenne, la situation n’a que peu évolué : «Ce qui est nouveau, c’est qu’au sein du ministère de tutelle, la récupération et le recyclage sont prioritaires dans le programme d’actions. Les lois existent désormais, mais les décrets d’application n’ont pas encore été publiés», assure-t-on à la direction générale du département Déchets, au ministère de l’Énergie, des mines, de l’eau et de l’environnement. En attendant, les déchets se ramassent à la main en dehors de tout encadrement administratif.

Un gisement très peu exploité

Les chiffres disponibles de différentes sources indiquent que le gisement, dans cette filière des déchets, est à peine exploité. «Actuellement, le taux de récupération avoisine les 10% que nous comptons porter à 20% d’ici à 2020», assure-t-on à la direction du département Déchets du ministère de l’Énergie, des mines, de l’eau et de l’environnement. Pour preuve que la situation n’évolue que lentement, cette explication de l’agence allemande GTZ : «on récupérerait chaque année environ 62 000 tonnes pour le papier et carton, 43 000 tonnes pour le verre, 30 000 à 40 000 tonnes de plastique et 142 000 tonnes de ferraille. C’est en deçà du potentiel réel de produits récupérables. Rien que pour le papier et le carton, on n’en est encore qu’à 18% du gisement récupérable».

Si l’informel est présent dans l’ensemble du tissu économique national, il semble être en vedette dans le business de la récupération. À ce propos, Hind Baddag, directrice Activité traitement de déchets au sein d’Ecoval (filiale du cimentier Holcim Maroc), est formelle : «ce qu’il faut noter, c’est que l’informel est prédominant dans le secteur du recyclage». Même son de cloche à la Société marocaine de récupération et de recyclage où l’on explique que : «ce secteur se présente telle une pyramide dont la base est constituée des “mikhalas” et le sommet par les usines de transformation». Et ce n’est pas le département Déchets qui dira le contraire : «l’informel est à la base du secteur de la récupération».

Cependant, entre la base et le sommet de la pyramide, il y a un gros milieu constitué de grossistes. Une virée à la rue des Anglais, à la médina de Casablanca (c’est le Derb Lengliz des chiffonniers), permet de constater que l’informel a des tentacules extensibles à merci. Dans ces venelles, la vieille règle selon laquelle «rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme» trouve sa totale signification. Au cœur de cette médina, qui n’est pas l’unique point de la vente en gros, tout est objet de commerce, jusqu’aux débris de vaisselle. En guise de «boutiques», ce sont en réalité des terrains vagues abrités par des murs derrière lesquels s’entasse tout un bric-à-brac de rebuts : «nos fournisseurs sont les “mikhalas” et nos clients sont d’autres grossistes. Ici, il n’y a pas d’entreprise qui tienne, tout se passe de main à main…», assure un des rares grossistes qui a accepté de témoigner. Mais chercher à savoir à quels tarifs ils écoulent leurs marchandises et combien il y a d’intermédiaires avant l’arrivée à l’usine, c’est comme espérer une journée sans klaxon à Casablanca ! Les prix pratiqués par les chiffonniers sont à ce point bas que leur marchandise passe par plusieurs mains avant de finir dans le four incinérateur des usines de recyclage.

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