Naissance de SAR Lalla Khadija

La magnifique Kasbah de Boulaâouane en train de dépérir!

Située sur la rive gauche de l'oued Oum Rebia, la Kasbah de Boulaâouane appelle les bonnes volontés pour une sauvegarde plus qu'urgente.

25 Janvier 2012 À 13:30

La Kasbah de Boulaâouane risque de pâtir de l'abandon et de l'oubli si aucun effort de restauration et de sauvegarde n'est pas déployé dans les meilleurs délais pour la protéger. À mi-chemin entre Settat et El-Jadida, ce monument historique fait partie des 76 forteresses construites par Moulay Ismaïl. Un château fort situé au sommet culminant d'un mont rocheux, au bord d'un magnifique méandre du fleuve Oum Rebia. La Kasbah abritait une demeure royale, des maisons de notables, une mosquée et des entrepôts. L'accès se fait par une porte monumentale. Orientée sud-sud-ouest, un portail imposant, caractérisé par trois arcs dans un encadrement rectangulaire, elle porte au fronton une inscription lisible et fort bien conservée, dont voici une partie de texte traduit : « Kasbah édifiée sous le règne du victorieux, puissant, conquérant seigneur Ismaïl, le héros de la guerre sainte, que Dieu lui accorde aide et victoire… »

Dès qu'on franchit la porte et le porche inférieur, on aperçoit de chaque côté des réduits pour les gardes et à droite les ruines de la demeure du Sultan Moulay Ismaïl, vaste maison carrée, à grandes et élégantes colonnades et une cour intérieur desservant quatre pièces. Ensuite, passés l'entrée principale et le vestibule, on trouve ce qui fut la maison du Sultan, de configuration classique, avec sa cour intérieure et ses quatre grandes salles de chaque côté. Là aussi, on voit des vestiges de mosaïques multicolores et de belles arabesques sur plâtre. Sur le sol gisent des morceaux de colonnes en marbre. Celles-ci proviendraient du palais saâdien El Badii de Marrakech. Les annexes et un petit hammam précèdent la maison que devait occuper le seigneur des lieux. Accolée et communiquant par une seule porte avec la cour intérieure de cette maison, une grande tour d'environ 10 à 12 mètres, fissurée de haut en bas, domine la Kasbah et ses environs. L'escalier intérieur, délabré et effondré en partie, ne permet plus malheureusement d'atteindre le sommet de cette tour, d'où l'on devait jouir, naguère, d'une vue splendide sur la région.

En face de la maison, le long des remparts, il ya six grands magasins souterrains (silos). Dans l'angle opposé de l'enceinte s'élève une mosquée dont la toiture effondrée a malheureusement été refaite avec une dalle de béton qui ne rappelle en rien le décor ni les matériaux originels et dont les voûtes sont supportées par 18 colonnes. Dans l'une des cours de cette mosquée, on voit la petite Koubba et le tombeau de Sidi El Mansar. Au nord de la Kasbah, une porte, qui n'existait pas à l'origine, a été ouverte en 1949 par un colon qui exploitait des terres aux alentours.

Selon une hypothèse séduisante, mais non vérifiée, le nom de Boulaâouane tirerait son origine de « bilaouane », épithète berbère signifiant « boyaux ». Abou Al Hassan Al Ouazzane, dit Léon l'Africain, parle dans son œuvre « Description de l'Afrique », de la région de Boulaâouane au 15e siècle comme étant une zone marécageuse à vocation agricole, riche en forêts, et si abondante en poissons que les hommes pouvaient les pêcher à l'aide de leurs simples vêtements ! La région était, en quelque sorte, comme aujourd'hui encore avec la Chaouia, le grenier du Maroc. Mieux : le site de la Kasbah, qui bénéficie d'un microclimat exceptionnel, à la fois continental et océanique, forme un ensemble étonnant dans la continuité de la plaine des Doukkala avec celle de la Chaouia.

Selon l'historien Michaux-Bellaire, « la Kasbah de Boulaâouane se distingue des autres monuments de ce genre par son dispositif de défense : l'emplacement choisi pour son édification, la présence d'un donjon, d'une poterne, d'une barbacane, d'une rampe couverte accédant au fleuve et de tours de flanquement judicieusement disposées, paraît indiquer que le plan de cette forteresse a été dressé par une personne possédant quelques notions d'architecture militaire ».

La somptueuse et vieille Kasbah de Boulaâouane est en train d'agoniser, même si, de l'avis de tous, le dépaysement est toujours garanti dans cette paisible région des Doukkala. La menace est davantage persistante en raison de la négligence et de l'intervention néfaste de l'homme, sans parler des facteurs naturels qui dégradent de jour en jour l'état de cette bâtisse. Le constat est affligeant ! Le site continue ainsi d'être saccagé. De la mosaïque et des gravures ont été détruites ou pillées. Une hémorragie qui a débuté depuis fort longtemps déjà... Le saccage affecte les silos, les tours et même les murs ! Le motif : la recherche d'éventuels trésors enfouis sous terre...

Compte tenu de l'importance de ce site, tant sur le plan historique que par la place qu'il occupe dans le tissu des Doukkala, la réhabilitation des vestiges architecturaux de la Kasbah, la restructuration des espaces intérieurs et la construction éventuelle de nouveaux équipements apparaissent utiles, voire nécessaires, pour en faire un pôle d'accueil touristique de haut niveau. En 1994, un haut responsable avait annoncé qu'on était prêt à restaurer la Kasbah de Boulaâouane, mais à condition qu'elle fasse partie d'une autre province. Mais, comme les Doukkalis ne voulaient guère qu'on les prive de ce legs précieux, le projet de restauration est tombé à l'eau. C'est vrai aussi qu'un plan d'action pour la sauvegarde de la Kasbah a été établi par les services provinciaux, il ya quelques années. Mais rien n'a été entrepris. Si rien n'est fait, la Kasbah risque bien de se transformer en une grande carrière de pierres... et devenir un vestige de plus.

Un témoignage vivant

La responsabilité de la préservation de ce monument historique est collective et doit s'inscrire parmi les priorités. Protéger ce site est avant tout un acte de sauvegarde de notre mémoire collective et de tout un pan de trois siècles de l'histoire nationale.
Selon la Charte de Venise, adoptée en 1965, les œuvres monumentales des peuples, chargées d'un message spirituel du passé, demeurent dans la vie présente le témoignage vivant de leurs traditions séculaires. L'humanité, qui prend chaque jour conscience de l'unité des valeurs humaines, les considère comme un patrimoine commun et, vis-à-vis des générations futures, se reconnaît solidairement responsable de leur sauvegarde. Elle se doit de les transmettre dans toute la richesse de leur authenticité!
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