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La Baltique n’est pas une «Méditerranée du Nord»

Le 1er juillet 2013, la Lituanie a pris la présidence de l’Union européenne. Le fait appelle l’attention sur la Baltique et ses États riverains. Présentée comme une «Méditerranée du Nord», cette mer est surtout une zone de confrontation.

02 Juillet 2013 À 16:41

Le 1er juillet 2013, la Lituanie a donc pris la présidence tournante de l’Union européenne (UE). La chose appelle l’attention sur la Baltique et les pays qui l’environnent. Lorsque l’UE et l’OTAN ont été élargies à la plupart des pays environnant cette mer, se référer à cet espace comme une «Méditerranée du Nord» était un exercice obligé. Outre le fait que la Baltique n’est pas une «Méditerranée», stricto sensu, ce bassin maritime est de longue date une zone de confrontation.

La fallacieuse référence méditerranéenne

Entre la péninsule scandinave, la Fenno-Scandie et la plaine germano-polonaise, la Baltique est une mer quasi fermée d’une superficie de 450 000 km². Les détroits danois (Skagerrak et Kattégat) commandent le passage avec la mer du Nord et ils ouvrent sur l’Atlantique Nord. Parfois qualifiée de «Méditerranée du Nord», la mer Baltique ne doit pourtant pas être comptée au nombre des «méditerranées». Le géographe Yves Lacoste désigne comme telles des étendues maritimes d’environ 4 000 km de longueur, du deuxième ordre de grandeur donc, à l’instar de la mer Méditerranée, de l’ensemble «golfe du Mexique-mer des Caraïbes» (la «Méditerranée américaine») ou encore de la mer de Chine méridionale (la «Méditerranée asiatique»). La mer Baltique n’est pas de cet ordre de grandeur. Elle s’étend sur 1 500 km, du Sud-Ouest au Nord-Est, et sa surface est près de six fois inférieure à celle de la Méditerranée proprement dite. Par ailleurs, le discours sur la «Méditerranée du Nord» est récent et doit être replacé dans son contexte. Il se développe avec l’entrée de la Suède et de la Finlande dans l’Union européenne, en 1995, puis avec la présidence finlandaise de l’UE, au second semestre 1999. L’expression fonctionne dès lors comme métaphore de paix et de prospérité, ce qui n’a guère à voir avec les réalités du bassin méditerranéen, moins encore de la «plus grande Méditerranée» (Fernand Braudel). De même, l’histoire de la Baltique est faite de rivalités de puissance et de confrontations.

La succession des hégémonies

La mer Baltique est activement pratiquée par les Varègues qui, depuis la Suède actuelle, ont établi position sur la rive opposée. Nombre d’entre eux traversent l’isthme Baltique-mer Noire (l’«axe varègue») pour se louer comme mercenaires à Constantinople. Selon la thèse normaniste, certains de ces hommes du Nord seraient à l’origine de la Rus’kiévienne. Plus tardivement, la Baltique est dominée par la Hanse qui, de Londres à Novgorod, déploie ses réseaux commerciaux et constitue une puissance militaire. L’épée est parfois un argument commercial. Au XVIe siècle, la Hanse s’efface devant la montée en puissance des États territoriaux. La Guerre de Livonie oppose la Russie à une coalition formée du Danemark, de la Suède et de la Pologne (1558-1582). La Guerre de Trente Ans (1618-1648) a aussi d’importants contrecoups et la Suède de Gustave-Adolphe impose un temps sa suprématie, la mer Baltique faisant figue de «lac suédois». À la tête de l’Empire russe, Pierre le Grand fonde en 1703 Saint-Pétersbourg et l’arsenal de Kronstadt, s’assurant ainsi une fenêtre sur la Baltique et l’Europe. À l’issue de la Grande Guerre du Nord qui, de 1720 à 1721, l’oppose à la Suède, la Russie devient la principale puissance en mer Baltique. C’est à partir de son unification, en 1871, que l’Allemagne impose sa prépondérance. Elle la conserve au long des deux guerres mondiales, la Baltique étant alors un «lac allemand».  Au fil de la Guerre froide, la mer Baltique est régie par les «équilibres nordiques» : cet espace hétérogène est géopolitiquement partagé entre l’URSS et ses satellites (Pologne, RDA), les riverains membres de l’OTAN (RFA, Danemark) et les États neutres (Suède, Finlande). Notons que la neutralité de la Finlande est plus subie que choisie (cette option lui a évité la satellisation dans l’après-1945). Quant à la Suède, sa posture s’accommode d’une discrète coopération avec l’OTAN. Dans l’ensemble, la région est dominée par l’URSS. L’OTAN contrôle les détroits danois, mais ses bâtiments ne pénètrent guère en Baltique.

Les nouveaux équilibres nordiques

Avec la fin de la Guerre froide et la dislocation de l’URSS, les configurations géopolitiques sont renouvelées. L’Allemagne est réunifiée, la Pologne recouvre son indépendance et les États baltes réapparaissent comme États souverains. La Russie ne dispose plus que de deux étroites fenêtres sur la mer Baltique : Saint-Pétersbourg et l’enclave de Kaliningrad/Königsberg, entre la Lituanie et la Pologne. Ce phénomène de marginalisation est amplifié par l’entrée des autres pays riverains de la Baltique dans l’Union européenne et dans l’OTAN (la Suède et la Finlande n’appartiennent pas à l’OTAN, mais coopèrent dans le cadre du Partenariat pour la paix). Suite à l’indépendance des États baltes, les autorités russes ont renforcé les infrastructures portuaires du golfe de Finlande, autour de Saint-Pétersbourg (terminaux pétroliers de Primorsk et Vyborg, alimentés depuis la Sibérie occidentale par le Baltic Pipeline System). Les flux au départ de ces infrastructures contournent les ports baltes et la Biélorussie ; ils assurent une liaison directe avec les grands importateurs énergétiques ouest européens (l’Allemagne principalement). Inauguré en 2011, le gazoduc Nord Stream, de Vyborg (Russie) à Greifswald (Allemagne), s’inscrit dans la même logique. L’enclave de Kaliningrad est aussi impliquée dans les difficiles relations de la Russie avec l’OTAN et ses États membres, Moscou menaçant d’y déployer de nouveaux missiles en représailles au projet de bouclier spatial.

Pour développer la coopération entre les riverains de la Baltique, un Conseil des États de la mer Baltique (CEMB) a été instauré en 1992. La Norvège en est membre et la Commission européenne y est représentée (les États-Unis ainsi qu’un certain nombre de pays d’Europe occidentale et centrale ont obtenu un statut d’État observateur). Certains des États riverains de la Baltique participent aussi en tant que structures de coopération couvrant des espaces à géométrie variable et de différentes tailles. Citons le Conseil nordique (Pays scandinaves et Islande), le Conseil euro-arctique de la mer de Barents (Pays scandinaves, Islande, Russie, Commission européenne) ou encore le Conseil arctique (Pays scandinaves, Islande, Russie, États-Unis, Canada).

Le prix de la liberté

Le dense réseau d’organisations qui couvre la Baltique et insère ses États riverains dans des cadres plus larges ne signifie pas que la coopération soit chose aisée. Les enjeux énergétiques interfèrent avec les questions écologiques (la Baltique est réputée être la mer la plus polluée du monde), des différends géopolitiques plus classiques (minorités et frontières) et des rivalités de puissance. Accaparée par la crise de l’euro et les difficultés économiques, l’Europe occidentale tend à négliger ces réalités, l’éloge de la social-démocratie nordique valant échappatoire. Il est vrai que certains de leurs alliés dans la zone privilégient la «sécurité humaine» et les généralités à caractère philanthropique. Pourtant, Baltes et Polonais n’ignorent pas le prix de la liberté ; ils ne sont guère enclins au «méditerranéisme».

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