06 Juin 2013 À 15:42
Nos aînés nous le diront «à l’époque», les jeunes, même en pleine crise d’adolescence montraient davantage de respect envers l’autorité parentale. Alors, comment expliquer qu’ils deviennent de plus en plus arrogants ? Entre psychologues et professeurs les avis divergent. Pour Hicham Et-Taig, professeur de français dans un collège de Sidi Hajaj (Settat), les parents en seraient la cause : «Les élèves sont de plus en plus insolents et violents. À mon sens, ce comportement déviant est la conséquence directe de l’affaiblissement de l’autorité parentale et de l’ébranlement des rapports sociaux au sein de la famille». Notre psychologue, Bernard Corbel, accuse un phénomène de société : «Ce n’est pas parce que le conflit s’exprime davantage de génération en génération qu’il est mauvais. S’il existe une dérive vulgaire, c’est parce que la société est en retard en terme de progrès et d’actualisation. Il y a quelques années, les agressions à l’encontre des femmes dans la rue étaient rares, les vols et autres agressions moins nombreux (si l’on en croit les témoignages). Les adolescents avaient alors une crise moins tumultueuse».
Critiquer, répondre et insulter : c’est ça être ado. C’est une manière pour lui d’exprimer son indépendance. Il cherche ainsi à creuser le fossé entre lui et ses parents, pour exprimer son besoin d’autonomie et se préparer petit à petit à quitter le nid familial. «Sa personnalité doit devenir adulte et il se cherche. Comme un oisillon brise la coquille de l’œuf», intervient le psychologue.L’utilisation de termes grossiers est une façon de tester l’adulte sur les valeurs précédemment inculquées. Le langage et le choix des mots marquent le signe d’une appartenance à un groupe. C’est sa façon à lui de se sentir exister en dehors de ses parents et de communiquer avec ses amis en utilisant des codes dont la signification échappe totalement aux adultes.L’adolescent utilise bien souvent l’agressivité parce qu’il ne trouve pas les mots et les arguments pour défendre son point de vue face à ses parents. L’insolence et la grossièreté sont alors pour lui la meilleure solution. Ce sont les explications qui reviennent souvent dans la bouche des spécialistes. Ce n’est pas seulement l’affaire des parentsSi à la maison c’est déjà l’enfer, il n’est pas rare que ce soit aussi le cas à l’école. «Un jour, un de mes élèves m’a interrompu : “Monsieur, je veux me reposer un peu, hier j’ai assisté au mariage de ma sœur, donc ne me dérangez pas avec vos questions !”», raconte le professeur de français. Et il n’est pas rare non plus que les parents couvent leur progéniture : «La plupart des parents prennent le parti de leurs enfants. Cette attitude, d’après mon expérience, est très fréquente dans la zone urbaine et plutôt rare en milieu rural. Je pense que les parents qui réagissent de la sorte ont été, soit victimes de la violence physique ou verbale d’un professeur étant ados, soit cherchent inconsciemment à affaiblir le pouvoir de l’enseignant.»Selon Hicham Et-Taig l’éducation n’est pas uniquement l’affaire des parents, mais également celle des professeurs : «L’éducation des élèves n’est pas seulement l’affaire de la famille, mais elle est également l’une des responsabilités capitales des professeurs. Comment peut-on donc véhiculer des apprentissages sans garantir les conditions favorables d’un bon enseignement-apprentissage ? Ainsi, le respect mutuel au sein de la classe doit être la première exigence de tous les acteurs éducatifs». C’est pourquoi il est préférable que leurs deux méthodes d’enseignement aillent plus ou moins dans le même sens.
Car où serait le repère de l’enfant si l’un est plus strict que l’autre. «Donc, au lieu de remettre tout de suite en cause les méthodes de l’enseignant, il sera primordial de discuter avec l’ado et de s’interroger sur l’origine de son agressivité. La source du problème peut être liée à un malaise au sein de la famille qui le fait souffrir. Si la discussion ne vous permet pas de lever le voile sur son comportement, il s’agit peut-être d’un malentendu avec l’enseignant, prenez un rendez-vous et conviez-y le jeune», propose une responsable pédagogique d’un groupe scolaire.Si malgré tous vos efforts, l’enfant refuse de coopérer, il ne faut pas hésiter à sévir. Lui apprendre à respecter les autres, c’est lui transmettre les règles de base de la vie en société. Car, plus tard l’enfant risque de rencontrer des problèmes relationnels, notamment dans le milieu professionnel.
Témoignage : Rachida, 54 ans, mère de Mouna 14 ans
«Ma fille et moi-même vivons seules depuis le décès de mon mari, il y a maintenant deux ans. Ma fille a toujours été un peu rebelle, mais de simples remontrances de son père suffisaient à l’époque à la ramener dans le droit chemin. Mais depuis que mon mari est décédé, j’ai l’impression qu’elle n’en fait qu’à sa tête et n’obéit à personne. Je pense qu’il faisait figure d’autorité et que sans lui, elle se permet de faire ce que bon lui chante. Étant sévèrement malade depuis plus de dix ans, lorsque je m’énerve et lui crie dessus, j’ai vite besoin de faire une pause, au risque de faire une crise. Et quand je la menace de la priver de sortie à cause de son comportement, elle claque la porte et fugue. D’ailleurs, ses professeurs m’ont déjà alertée qu’elle ne se présentait parfois pas en cours, alors qu’elle quitte chaque jour le domicile. Elle me ment, invente des histoires… Je suis complètement dépassée et ne sais plus quoi faire.»
Explications : Bernard Corbel, psychologue à Casablanca
Si le mot «adolescence» existe, c’est bien pour signifier quelque chose, habituellement il faut de plus y ajouter le mot «crise»... Être adolescent c’est être engagé dans un processus de maturation. C’est le point de passage entre l’état d’enfant et l’état d’adulte. Il y a crise parce que la transformation est rapide et puissante au cours d’un moment particulier où le jeune doit quitter ses attaches infantiles et commencer à projeter sur le monde extérieur ses désirs et ambitions. Sa personnalité doit devenir adulte et il se cherche. Comme un oisillon brise la coquille de l’œuf, le jeune brise son passé familial d’enfant et cherche à se trouver une place à l’extérieur. Le modèle d’autorité de «parents vers enfant» ne convient plus et l’adolescent cherche à le transformer, c’est normal. La crise est aussi du côté des parents qui ne parviennent pas à accepter le changement. C’est le printemps arabe à la maison...❶Pourquoi le père arrive-t-il plus souvent à imposer son autorité que la mère ?Nous vivons dans des sociétés éminemment patriarcales, c’est-à-dire que le pouvoir économique et l’autorité, en société ou à la maison, sont confiés aux pères et aux hommes. Dans ces conditions, ceux-ci sont davantage enclins à jouer le rôle qui leur échoit simplement en se conformant aux stéréotypes transmis. Dès qu’un homme devient «un chef de famille», voici que sa personnalité change et qu’il se montre autoritaire, d’abord avec sa femme, puis avec ses enfants. Ces derniers vont de la même manière jouer le rôle complémentaire, la soumission. L’adolescent tente de se sortir de la soumission et se confronte alors à l’autorité et c’est la crise.
❷Avec le temps, les ados deviennent de plus en plus impertinents et irrespectueux, pourquoi ? Ce n’est pas parce que le conflit s’exprime davantage de génération en génération qu’il est mauvais. S’il existe une dérive vulgaire, c’est parce que la société est en retard (voire en régression) en terme de progrès et d’actualisation, et qu’alors c’est le peuple le plus inférieur qui gronde et fait entendre sa voix et de plus en plus de violence apparaît. L’adolescent dans sa contestation rejoint inconsciemment celui-ci et il en emprunte les tics. «Il y a quelques années», la société était peut-être plus moderne et plus libérée et les retours de refoulé donc moins forts. Il y a quelques années (une génération), par exemple, les agressions des femmes dans la rue étaient rares, les vols et autres agressions moins nombreux (si l’on en croit les témoignages). Les adolescents avaient alors une crise moins tumultueuse.❸Comment retrouver la sérénité au sein du foyer et obtenir la paix entre parents-ados ?En la matière, il n’y a pas de solution de facilité. La crise est d’abord une crise intérieure et il convient de patienter pour aller vers des accalmies. L’escalade d’autorité visant à essayer de briser le mouvement de revendication peut créer des dérives pathologiques internes et comportementales chez le jeune. Le mieux est de garder l’écoute, quelles que soient les bêtises supposées ou avérées. Il ne faut pas perdre le contact, donc il faut se montrer empathique et bon, ça n’empêche pas d’être ferme, on peut inciter l’adolescent à patienter tout en lui lâchant un peu plus d’autonomie.