04 Mai 2013 À 16:12
Les micros et petites entreprises (MPE) créées et/ou gérées par les jeunes constituent une base essentielle du tissu productif national. Elles occupent une place de choix dans l’économie en contribuant de manière significative à la croissance économique, à l’emploi, et au développement local et régional.Numériquement très importante, leur contribution socio-économique reste cependant largement en deçà des potentialités que peuvent faire valoir ce genre d’entreprises. En effet, beaucoup de contraintes se dressent toujours devant la promotion et le dynamisme de ces entreprises en raison notamment de la fragilité de leurs structures et de la faiblesse de leurs moyens humains, techniques et financiers. Ce qui se traduit par une insuffisance de leurs performances, une érosion de leur compétitivité et par leur taux de mortalité élevé. Il faut dire qu’au Maroc, l’entrepreneuriat des jeunes a connu un certain développement au cours des dernières décennies qui ont été marquées par l’ajustement structurel, le ralentissement économique, l’augmentation du chômage et de la pauvreté. Son essor relatif a participé à la création d’emplois, à la croissance et à la lutte contre la pauvreté et la précarité.
La création de MPE par les jeunes est devenue depuis plus de deux décennies une stratégie privilégiée du Maroc pour non seulement surmonter les difficultés d’insertion des diplômés dans la vie professionnelle, mais également afin de contribuer positivement au développement socioéconomique du pays. En effet, l’accroissement du nombre de jeunes diplômés sans emploi, la réduction des opportunités dans l’emploi public ainsi que la nécessité de relever les défis de la compétitivité du Maroc ont amené les autorités nationales à s’intéresser davantage à la promotion des entreprises de petite dimension.Cependant, le poids économique et social essentiel de cette population d’entreprises et les grandes contraintes auxquelles elles sont confrontées ont poussé l’État à mettre en place une stratégie globale de soutien et d’accompagnement et cela dès le début des années 70. En effet, la création de MPE pose, souvent, beaucoup d’obstacles aux jeunes diplômés. Ces contraintes sont liées d’un côté, à l’environnement externe hostile à la création comme le financement, la lourdeur et la complexité des procédures administratives, la réglementation non adaptée, etc., et de l’autre côté, les contraintes internes inhérentes aux capacités managériales en raison principalement du manque de formation tant à l’esprit d’entreprise qu’à la gestion et à l’absence d’accompagnement en termes de conseil, d’assistance…
Avec l’aggravation du chômage et de la pauvreté suite à la mise en application du Programme d’ajustement structurel (PAS) au début des années 80, la politique de l’État s’est orientée de plus en plus vers la création et le développement des MPE par les jeunes à travers une stratégie publique de promotion de l’auto emploi afin de faire face aux énormes déséquilibres sociaux engendrés par la politique d’austérité initiée au début des années quatre-vingt du siècle précédant. Ainsi, par exemple, dès 1987, les pouvoirs publics ont mis en place une nouvelle modalité de financement appelée «crédits jeunes promoteurs» concrétisée par la loi n° 36 /87, puis par la loi 13 /94, ce qui a permis la mise en œuvre d’un Fonds spécial d’un milliard de DH pour la promotion de la création de MPE par de jeunes diplômés chômeurs. D’autres mécanismes ont été ensuite émis en œuvre par l’État afin de promouvoir l’entrepreneuriat des jeunes Au terme de plusieurs années de mise à l’épreuve, les résultats obtenus par ces mécanismes financiers apparaissent extrêmement faibles. Ceci peut s’expliquer par plusieurs facteurs : lenteur et complexité des formalités des crédits, les réticences manifestées par les banques, les difficultés de faire d’un diplômé un créateur d’entreprise…
Tirant les leçons de ces expériences, les pouvoirs publics ont lancé depuis le 1er juillet 2006, le programme Moukawalati. Il s’agit d’un programme national d’appui à la création et à la gestion de 30 000 micros et petites entreprises. Ce qui pourrait générer entre 60 000 et 90 000 emplois (soit 2 à 3 emplois par MPE). Ce programme cible les diplômés lauréats de la formation professionnelle ainsi que les chômeurs diplômés de l’enseignement supérieur ou ayant leur baccalauréat. Ceci a été élargi aux non-diplômés par la suite.En plus de sa dimension financière, il est prévu un accompagnement des jeunes tout au long des phases cruciales de création et de développement de leur petite entreprise. De même, le parcours entrepreneurial est simplifié puisque désormais, il suffit de se rendre à l’un des centres Moukawalati en vue d’une présélection avant de soumettre le dossier du candidat à la commission régionale, présidée par le wali de la région. L’inscription au programme se fait auprès d’un seul guichet d’accueil, choisi par le porteur de projet. Ce guichet devient alors son unique interlocuteur. Quand la sélection est définitive, elle est soumise à une procédure d’accompagnement du porteur de projet sous forme de formation managériale, administrative et financière, de simulation du Business Plan pour améliorer les capacités de communication du candidat avant la présentation du dossier au financement bancaire...
Entre 2007 et 2011, le programme Moukawalati a permis la création de quelque 2 050 entreprises, soit une moyenne de 410 entreprises par an. Ce qui représente un taux de réalisation de 6,8% par rapport à l’objectif initial qui était de 30 000 entreprises entre 2007 et 2010. On peut donc affirmer que ce programme a largement échoué sur ce plan.Il faut remarquer à ce niveau, que le nombre d’entreprises crées n’a cessé de régresser d’une année à l’autre en passant de 612 en 2007 à 430 en 2009 et à seulement 232 en 2011. Ce qui est difficile à expliquer dans la mesure où le rythme de création devrait normalement s’accroître au fil des années. Il faut dire que le financement bancaire du programme s’est quasiment arrêté depuis la fin de 2010.
Parallèlement, le nombre d’entreprises crées ayant bénéficié d’un financement bancaire n’a été que de 918 projets entre 2007 et 2011. Ce qui ne représente que 44,8% de l’ensemble des entreprises créées dans le cadre de ce programme. Or, Moukawalati est venu justement pour faciliter le financement bancaire des MPE qui sont créées par les jeunes diplômés chômeurs. Sur ce plan également, il faut noter que les projets bancairisés ont connu une baisse continue et importante d’une année à l’autre en se limitant à 122 en 2011 contre 241 en 2007. Ce qui ne fait que confirmer les critiques et les griefs formulés par les jeunes promoteurs envers les banques dont la méfiance ne fait que s’accroître vis-à-vis des jeunes entrepreneurs avec l’avancement du programme dans le temps. L’expérience du «crédit jeunes promoteurs» est toujours présente à l’esprit.La même tendance est exactement observée quant au volume total des crédits octroyés par les banques qui ont enregistré une chute très importante entre 2007 et 2011 en s’établissant à quelque 1 254 millions de DH en 2007 contre 312 millions de DH en 2011. Globalement, le montant des crédits bancaires accordés aux jeunes promoteurs dans le cadre du programme Moukawalati n’a même pas atteint 4 millions de dirhams, soit une moyenne annuelle de 790 millions de DH.
Concernant le volet emploi, le programme Moukawalati a permis la création d’un peu plus de 6 180 emplois directs entre 2007 et 2011, soit une moyenne annuelle de 1236 emplois. Ce qui représente trois emplois pour chaque entreprise créée. Il faut rappeler que lors de son lancement, le programme Moukawalati visait la création de 30 000 MPE en trois ans qui doivent générer 90 000 emplois. Le nombre d’emplois créés ne représente ainsi que 6,7% des objectifs initiaux du programme dans ce domaine.Cinq années après, force est de constater que les résultats obtenus sont très faibles et largement en deçà des objectifs fixés au départ. L’échec du programme est tout à fait consommé dès les premières années de sa mise en œuvre. En effet, l’approche qui a été adoptée et qui consiste à susciter voire à «vouloir créer artificiellement» un esprit d’entreprise chez les jeunes qui sont souvent au chômage ainsi que la volonté des pouvoirs publics de s’appuyer sur un système bancaire oligopolistique très concentré et fortement mercantile est complètement dépassée et tout à fait inefficace.
Plusieurs années après sa mise en œuvre, les résultats du programme Moukawalati demeurent extrêmement faibles. Il faut dire que trois principales contraintes se dressent devant ce programme et qui doivent être dépassées afin de lui donner une nouvelle impulsion et lui garantir une certaine réussite.- La première contrainte est liée à la lourdeur des procédures et des démarches en raison tout d’abord de la multiplication des intervenants : Centres régionaux d’investissement (CRI), Agence nationale pour la promotion de l’emploi et des compétences (ANAPEC), banques… Chaque intervenant à sa logique propre et une démarche qui lui est particulière. D’où les grandes difficultés à accélérer l’étude des dossiers, à améliorer les procédures et à harmoniser les approches. Ensuite, la lenteur du traitement des dossiers qui doivent passer par plusieurs étapes : présélection, examen devant le comité régional, étude du dossier par la banque… De longs délais apparaissent nécessaires pour une étude approfondie des projets avant de débloquer les fonds. Ce schéma complexe s’apparente en fait à un véritable parcours du combattant. La bureaucratie a largement contribué à faire échouer cet important programme.
- La seconde contrainte est relative à l’environnement général et en particulier financier de la MPE. Par exemple, malgré les mécanismes publics de garantie des crédits, les banques demeurent très réticentes et ne jouent pas tout à fait le jeu comme en témoigne le rythme de traitement des dossiers et de déblocage des fonds. Elles continuent de favoriser une pure logique de rentabilité financière au détriment de l’approche du programme Moukawalati qui est d’essence sociale. Ceci est d’autant plus préoccupant que la gestion de la garantie est déléguée aux banques elles-mêmes. Pour ces dernières, il s’agit de projets ordinaires auxquels il faudrait appliquer les règles standards de prudence financière, de viabilité économique et d’efficacité technique. Il faut dire aussi que les banques ont bien assimilé l’expérience malheureuse du «crédit jeunes promoteurs».
- La troisième contrainte est le manque d’expérience des porteurs de projets et des jeunes entrepreneurs qui s’avère souvent pénalisante. Cette inexpérience constitue une importante source de l’échec des programmes de ce genre. De même l’absence ou du moins la faiblesse d’une certaine culture d’entreprise et d’idées innovantes représente de grands handicaps à la réussite du programme. Il faut dire que le profil des porteurs de projets est essentiel dans ce domaine. Certes, un accompagnement pré et post création a été prévu en termes d’élaboration du Business Plan, de formation…, mais il reste insuffisant et plus ou moins inadapté. De plus, les associations de micro crédit chargées de cette opération fondamentale tout au long du processus de création et de gestion des MPE par les jeunes ne semblent pas bien outiller et n’ont pas suffisamment d’expérience dans ce domaine stratégique pour garantir la survie et la pérennité des projets réalisés. Ceci est d’autant plus problématique que ce programme a avant tout un caractère politique, que l’approche des associations de micros crédits est davantage sociale alors que la démarche entrepreneuriale doit être purement économique et financière. Faire fi d’un minimum de règles entrepreneuriales risque de nous faire revivre la grande déception du «crédit jeunes promoteurs». *Résumé d’une étude sur ce programme financé par Trust Africa