30 Mai 2013 À 15:47
De l’autre côté de l’Atlantique, ils l’appellent le «family bed» – traduisez le «lit familial» – ou parlent de «cosleeping» : ceux qui dorment ensemble. Le principe n’est pas bien compliqué : laisser son enfant dormir à ses côtés depuis sa naissance et jusqu’à ce qu’il décide, généralement vers 6 ans, d’aller dormir ailleurs… Ce ne sont pas les parents qui décident du moment où l’enfant quitte le lit conjugal, mais bien leur bambin qui décidera du moment voulu pour revendiquer lui-même son autonomie. Pourquoi les parents choisissent-ils de faire dormir leur enfant dans le lit conjugal ? Parce qu’il y a ceux qui choisissent la facilité quand leur enfant pleure, cauchemarde ou est malade. «Mon enfant ne voulait plus dormir dans son lit et j’appréhendais le coucher : une longue série de pleurs interminables. Notre pédiatre nous a conseillé de le laisser pleurer, mais mon mari ne le supportait pas. Alors nous avons cédé», confie Rachida, 43 ans.Il y a ceux qui se cachent derrière leur enfant pour prétexter ne pas pouvoir avoir de relations sexuelles. La présence de leur enfant est alors leur plus puissant alibi. Et puis il y a ceux, plus rares, qui le font par plaisir. En effet, il arrive qu’un enfant partage le lit parental parce qu’il y est invité : son père est en déplacement et lui a «confié» sa mère qui n’aime pas dormir seule par exemple…
Mais un couple, c’est deux personnes. Alors comment vivre une nuit à trois ? Comment préserver l’intimité des parents quand l’enfant «squatte» le lit conjugal ? «Cela fait 6 mois que notre fils dort avec sa mère. Il n’y a plus de place pour trois. Entre les coups de pieds, les coups de poing, mon sommeil est perturbé. J’ai préféré aller dormir sur le canapé. Mais c’est tout de même moins confortable que le lit et je commence à avoir mal au dos», se plaint Fouad, 32 ans. «Pour remédier à ces petits désagréments, une seule solution : faire retourner le bébé dans son lit. Pour ce faire, expliquez-lui que sa place n’est pas dans votre lit, mais dans le sien et que vous n’êtes pas très loin en cas de problèmes. S’il cauchemarde, allez dans sa chambre et étendez-vous près de lui jusqu’à ce qu’il s’endorme puis repartez. Pour que la transition se passe pour le mieux, rien ne vaut la lecture d’une petite histoire au coucher», conseille Houda Hjiej, pédopsychiatre.
Mais laisser son enfant dormir avec soi est-il vraiment si mauvais ? Quand cela reste exceptionnel ou ne perdure pas dans le temps, pas de soucis. Prendre son enfant dans son lit pour le petit câlin du dimanche matin non plus. En revanche, le prendre avec soi durant de longs mois, voire plusieurs années, c’est prendre le risque que l’enfant ne veuille plus retourner dans son lit quand vous-même vous n’en pourrez plus. En dormant avec nous, il peut prendre des positions farfelues et nous donner des coups ce qui provoque notre réveil instantané. S’en suit alors une longue série de nuits entrecoupées. Au réveil, on a mal dormi. Nos nerfs sont mis à vif. Et cela se ressent bien évidemment sur notre vie de couple. En envoyant papa dormir ailleurs bébé peut, à son insu, considérer cela «comme une victoire sur son père, une victoire d’avoir réussi à prendre sa place ou, au contraire, se rendre coupable de séparer ses parents», explique la pédopsychiatre. Dans des cas, certes rarissimes, des nouveau-nés posés contre la mère endormie sont décédés par apnée obstructive. Il n’est donc pas recommandé de s’endormir avec un tout-petit dans un lit.
Explications : Houda Hjiej, pédopsychiatre
❶D’où vient ce phénomène ?On peut dire que le désir des enfants de dormir dans le lit des parents est un désir naturel dont les motivations, souvent inconscientes, vont beaucoup dépendre de la maturité psycho-affective de l’enfant. Tous petits, ce désir peut tout simplement refléter l’attachement des enfants à leurs géniteurs et le plaisir naturel éprouvé par tout enfant dans le fait de maintenir un contact physique avec ses parents. Pour les enfants plus grands, ce désir de partager le lit parental peut rentrer dans le cadre d’un désir œdipien de contrôle de la relation entre les deux parents et notamment de façon inconsciente le côté affectif ou peut-on même dire sexuel de ce qui se passe entre les parents. Cette phase est aussi une phase de curiosité sexuelle pour l’enfant où il découvre son corps à travers aussi la découverte du corps de ses parents, découverte qui peut passer par le contact corporel et le besoin d’abolir la distance physique.❷Pourquoi l’enfant s’accroche-t-il au lit parental ?Ce plaisir trouvé dans la proximité corporelle où parfois juste dans la présence du parent dans le même espace n’est en fait pas juste le désir de l’enfant, mais aussi des parents qui même en étant conscients de la nécessité d’aider l’enfant à se séparer, peuvent être tentés eux même par le plaisir de le garder à leur côté.❸Faut-il céder ? Même de temps en temps ?Comme pour toutes les phases du développement psycho-affectif de l’enfant, il faut que les exigences des parents soient adaptées aux capacités de développement de l’enfant ; mais il est aussi important que les parents soient prêts eux même à cette séparation. Un enfant se sentant sécurisé par l’attitude ferme, mais en même temps rassurante des parents accepte alors de se séparer sans difficulté. L’hésitation des parents est souvent témoin qu’eux-mêmes ne sont pas prêts. ❹Quels sont les risques à laisser l’enfant dormir avec soi ? Dormir seul est témoin d’une maturité psycho-affective de l’enfant, mais aussi de la capacité des parents à aider l’enfant à se séparer. Laisser l’enfant dormir avec ses parents peut confirmer chez lui le sentiment qu’il a, que sans ses parents il ne peut pas être en sécurité.Durant la phase œdipienne le fait d’être dans l’illusion de contrôler la sexualité des parents ou de se substituer à l’un d’eux en prenant sa place peut être angoissant pour l’enfant qui a besoin d’intérioriser en lui une image parentale saine, chacun à sa place.❺En général, c’est papa qui se retrouve sur le canapé... Cela se ressent-il sur la vie de couple ?Cela se ressent sur la vie de couple et peut se vivre par l’enfant à son insu comme une victoire culpabilisante sur son père. Dans d’autres cas, l’enfant peut en même temps qu’il éprouve du plaisir à être dans les bras de sa mère, se sentir coupable de séparer le couple parental. Le fait de prendre la place réelle, mais par là aussi symbolique du père, a une représentation différente chez la fille et le garçon, mais reste chargée de signifiants à valeur symbolique très forte pour l’enfant quelque soit son sexe.
Témoignage :
Malika, maman de Mehdi, 3 ans
«C’est vraiment infernal !»
«J’ai pris l’habitude de dormir avec mon fils depuis qu’il est tout petit. J’étais tellement épuisée que je préférais l’avoir avec nous et qu’il dorme plutôt que de l’entendre pleurer. Mais moi et mon mari dormions très mal. Nous avons donc pris la ferme résolution de le faire retourner dans son lit. Mais, cela n’a pas été facile : il n’arrêtait pas de hurler. J’ai consulté ma pédiatre qui m’a conseillé de le laisser pleurer jusqu’à ce qu’il s’arrête et pour faciliter la séparation, de lui acheter un doudou et/ou de lui laisser une veilleuse. Ça a marché quelques temps, mais depuis, il s’est remis à hurler et il nous est insupportable de le laisser pleurer, alors que nous-mêmes avons besoin de dormir ! Nous n’avions donc plus d’autre choix que de le reprendre. J’appréhende maintenant le jour ou il devra dormir ailleurs, chez ses grands-parents par exemple, si nous devions partir un moment sans lui… C’est vraiment infernal !»