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Les enjeux géopolitiques

Par Jean-Sylvestre Mongrenier
Chercheur associé à l’Institut Thomas More, Jean-Sylvestre Mongrenier est titulaire d’une licence d’histoire-géographie, d’une maîtrise de sciences politiques, d’un DEA en géographie-géopolitique.

Bruxelles et Washington ont convenu de négocier un «partenariat global transatlantique sur le commerce et l’investissement».

20 Juillet 2013 À 15:36

Le 8 juillet 2013, les négociations sur un futur «Partenariat global transatlantique sur le commerce et les investissements» ont débuté à Washington. Les enjeux sont économiques, mais aussi géopolitiques. Un tel partenariat renforcerait le «grand espace» euro-atlantique. Il infléchirait les équilibres de puissance et pourrait donner un autre cours à la politique mondiale.C’est à Washington, le 8 juillet 2013, que s’ouvriront les négociations sur la mise place d’une zone de libre-échange transatlantique. À l’évidence, la dimension économique et commerciale d’un projet de cette envergure est très importante.

Une idée qui vient de loin

Pourtant, la problématique d’ensemble est principalement géopolitique. Sont simultanément en jeu, la cohésion du «grand espace» euro-atlantique et les équilibres de pouvoir entre Occidentaux d’une part, et puissances émergentes, de l’autre.Au vrai, la question d’une zone de libre-échange transatlantique n’est pas neuve. Elle a pour toile de fond l’engagement américain en Europe et le processus d’unification engagé pour contenir la «Russie-Soviétie». Depuis que le concert des puissances a failli – voir la nouvelle «guerre de Trente Ans» entre 1914 et 1945 –, les États-Unis jouent en effet le rôle de balancier en Europe et ils réassurent la sécurité de ses États. C’est sous leur direction que le libre-échange, suite à la signature du GATT (1947), est devenu le principe régulateur du Monde libre. La zone euro-atlantique rassemblée autour de l’«océan du milieu» prend une forme plus consistante sur le plan stratégique (voir l’OTAN) comme en économie. Le commerce et la finance ont pour toile de fond la géopolitique et la longue histoire des relations transatlantiques.

En Europe occidentale, la mise en place d’un marché commun dans le cadre de la CEE aboutit bien à la création d’un sous-ensemble commercial, mais ce processus n’est pas conçu pour accoucher d’un espace autocentré. Il s’agit d’une étape sur la voie du libre-échange telle qu’elle est balisée par les cycles de négociation multilatérale (les rounds du GATT). Le 4 juillet 1962, à Philadelphie, John F. Kennedy en appelle à un «partenariat atlantique» destiné à se traduire par une plus grande ouverture des marchés. De 1964 à 1967, les pays signataires du GATT négocient, via le Kennedy Round, de nouvelles baisses des tarifs douaniers. L’exercice concerne au premier chef les États-Unis et les États membres de la CEE. Les cycles de négociation qui suivent – Tokyo Round (1973-1979) et Uruguay Round (1986-1994) – vont dans le même sens. À cette époque, les États-Unis, l’Europe et le Japon représentent entre les deux tiers et les trois quarts de l’économie mondiale.

La fin de la Guerre froide, l’élargissement des instances euro-atlantiques (Union européenne et OTAN) aux pays centre-est européens et l’accélération du processus de globalisation étendent les principes du libre-échange au monde entier. C’est dans ce contexte que l’idée d’une zone de libre-échange transatlantique est réaffirmée. Du côté américain, on craint alors que l’Union européenne ne se transmute en une «forteresse», hypothèse des plus improbables en raison du degré d’ouverture des économies de l’Ancien Monde. Au cours de l’année 1995, plusieurs responsables politiques américains et européens mènent des discussions informelles sur une future «Transatlantic Free Trade Area». La mise en place de l’OMC, le choix du multilatéralisme commercial et l’ouverture du cycle de Doha (2001) reportent sine die le projet.

Imprimer un autre cours à la politique mondiale

L’idée d’une zone de libre-échange transatlantique réapparaît au grand jour en 2007, lorsque George W. Bush, José Manuel Barroso et Angela Merkel signent une déclaration commune (le cycle de Doha est déjà compromis). Un «Conseil économique transatlantique» est rapidement mis sur pied. Cette diplomatie commerciale aboutit à une déclaration États-Unis/Union européenne, en date du 28 novembre 2011, et un «groupe de travail de haut niveau» est installé. Début 2013, Bruxelles et Washington ont convenu de négocier un «partenariat global transatlantique sur le commerce et l’investissement». De part et d’autre, on cherche des leviers de croissance et diverses études montrent qu’une plus grande ouverture des marchés pourrait générer 180 milliards d’euros de richesses supplémentaires en quinze ans. Aux États-Unis comme dans l’Union européenne, les tarifs douaniers sont à de très bas niveaux et c’est l’harmonisation des obstacles non tarifaires qui contribuerait à l’intensification de la croissance économique.

Nonobstant l’argumentaire économique, les tenants et aboutissants de ce projet sont géopolitiques. La croissance chinoise et la promotion des BRICS modifient en profondeur les grands équilibres de richesse. Le «monde des émergents» est en passe de représenter les deux cinquièmes de l’économie globale et les flux sud-sud modifient les circuits commerciaux planétaires. Certes, ces pays sont amenés à rencontrer bien des difficultés et l’on ne voit pas se constituer envers et contre l’Occident un «front des émergents». Pour autant, sauf rupture systémique plongeant le monde entier dans le chaos, il s’agit là d’une tendance lourde. À terme, cette redistribution mondiale des centres de richesse aura sa contrepartie dans les équilibres de puissance. Donner forme à un grand marché transatlantique pesant la moitié de la richesse et le tiers des échanges de la planète imprimerait un autre cours à la politique mondiale.

Une zone de libre-échange dans cet ensemble géo-économique contribuerait à plus de cohérence au sein de ce que l’on nomme la «Communauté euro-atlantique». De fait, cet étroit système de coopération géopolitique ne saurait reposer sur la seule OTAN, indispensable au demeurant comme forum transatlantique et alliance politico-militaire. Bien des questions à aborder avec les États-Unis relèvent de domaines de compétence propres à l’Union européenne notamment sur le plan économique, commercial et monétaire (les États-Unis sont le premier partenaire économique de l’UE et réciproquement). Vis-à-vis des tiers, ce «partenariat global transatlantique» permettrait aux parties prenantes de consolider leur pouvoir normatif et de maintenir la prééminence de l’Occident comme modèle de puissance.

Un «grand espace» à la mesure des enjeux

Expression d’un certain Occident, la Communauté euro-atlantique constitue un «grand espace» à la mesure des enjeux du nouvel âge global. On se souvient que le juriste Carl Schmitt nommait ainsi un nouveau type de grandeur politique, porteur d’une axiologie et de formes d’organisation propres, voué à dépasser par le haut les États territoriaux de l’ère westphalienne.Ce «grand espace» euro-atlantique n’est pas un super-État ; il se caractérise par un certain pluralisme, ce qui induit des formes de compétition et de rivalité en son sein. Pourtant, ce qui rassemble les États relevant de cette grandeur politique s’avère le plus fort. Dans la gigantomachie qui s’ouvre, un partenariat global transatlantique confèrerait aux Occidentaux un nouvel avantage comparatif. 

*Chercheur associé à l’Institut Thomas More, Jean-Sylvestre Mongrenier est titulaire d’une licence d’histoire-géographie, d’une maîtrise de sciences politiques, d’un DEA en géographie-géopolitique. Docteur en géopolitique, il est professeur agrégé d’histoire-géographie et chercheur à l’Institut français de géopolitique (Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis). Il est ancien auditeur de l’IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale, Paris), où il a reçu le Prix scientifique 2007 pour sa thèse sur «Les enjeux géopolitiques du projet français de défense européenne». Officier de réserve de la Marine nationale, il est rattaché au Centre d’enseignement supérieur de la Marine (CESM), à l’École militaire.

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