Spécial Marche verte

Des aliments presque aussi addictifs que les drogues

Les faits : Selon une récente étude américaine, un biscuit au chocolat fourré de crème vanille, très connu pour rendre rapidement accro, aurait justement le même effet addictif que la cocaïne.

C'est l'enquête sur des biscuits au chocolat qui a lancé le débat sur les aliments addictifs.

02 Novembre 2013 À 17:37

D’après des chercheurs de l’Université du Connecticut (États-Unis), de célèbres biscuits au chocolat provoqueraient dans le cerveau des rats une réaction semblable à celle de la cocaïne et de l'héroïne. «Notre enquête confirme la théorie selon laquelle les aliments à haute teneur en sucre et en gras stimulent le cerveau de la même manière que la drogue», affirme Joseph Schroeder, professeur associé et directeur du Programme de neurosciences comportementales. Avant d’ajouter : «Cela peut expliquer pourquoi certaines personnes ne peuvent y résister, bien que ce soit mauvais pour elles».

La tendance est à la méfiance

Une des étudiantes ayant travaillé sur l'étude souligne que «Même si la prise de substances comme la cocaïne et la morphine présente des risques importants pour la santé, les aliments riches en graisses et en sucres peuvent être encore plus dangereux en raison de leur accessibilité et de leur caractère abordable». Contactée par «Le Matin», l’entreprise qui fabrique ces biscuits au chocolat ne s’est pas exprimée sur le sujet. Elle est restée injoignable. Depuis la publication de cette étude, un débat sur les aliments addictifs enfle chez les spécialistes. «Il est compréhensible que les scientifiques s’intéressent au potentiel addictif des aliments, ne serait-ce que pour mieux lutter contre l’obésité», indique le médecin généraliste Amine Joundy. Et de continuer : «Mais pour ce qui est du grand public, je pense que le problème ne se limite pas à savoir si tel aliment peut ou non provoquer une addiction.

Le problème est bien plus étendu. En réalité, il porte sur la confiance, ou plutôt le manque de confiance des citoyens envers l’industrie agroalimentaire», révèle le spécialiste avant d’ajouter : «Le problème est que la plupart des gens consomment principalement des aliments transformés de manière industrielle. Or, les scandales qui se succèdent année après année ont déclenché la méfiance du public envers les industriels qu’ils soupçonnent de vouloir s’enrichir au détriment de la santé de la population. Il est donc compréhensible que le public s’interroge sur la possibilité qu’un groupe industriel peu scrupuleux additionne ses aliments d’une substance addictive afin de pousser à la consommation», souligne le Dr Joundy. Suite à ces débats, on se pose la question : doit-on considérer les boulimiques ou les personnes en surpoids comme des toxicomanes alimentaires ? D’après les propos du Dr Amine Joundy, «la boulimie se rapproche d’une toxicomanie sur bien des aspects». On en distingue cinq : - la compulsivité, c’est-à-dire le besoin irrépressible et obsédant (en l’occurrence le fait de manger) - le sentiment de manque ou de vide lorsque ce besoin n’est pas assouvi - la substitution d’une dépendance à un objet humain par une dépendance à un objet externe inanimé, disponible et manipulable - la dimension dépressive sous-jacente - le maintien masochiste de la conduite en dépit des conséquences négatives C’est pourquoi, à cause de ces cinq aspects, «de nombreux spécialistes considèrent cette maladie qu’est la boulimie comme une authentique forme de toxicomanie, d’où le nom d’addiction alimentaire» indique le médecin généraliste. Pour ce qui est de l’obésité, les choses sont moins claires, rapporte le Dr. Joundy. Il est vrai que la compulsion alimentaire est indiscutable de même que le maintien du comportement malgré les conséquences néfastes pour la santé, mais il n’y a pas de phénomène de manque ou de sevrage vis-à-vis des aliments dans l’obésité, il n’y a pas non plus de fragilité psychologique systématique. On ne peut donc pas vraiment parler de toxicomanie dans le cas de l’obésité. 


Questions à Amine Joundy, médecin généraliste

«Les troubles de conduites alimentaires sont la boulimie et l’anorexie mentale»

L’addiction alimentaire est-elle un mythe inventé pour susciter des débats ou bien est-ce une réalité scientifiquement prouvée ?En ce qui concerne les addictions, en dehors des dépendances à certaines substances chimiques reconnues comme étant des drogues (alcool, tabac, cannabis, cocaïne…), le débat est ouvert au sein de la communauté scientifique en ce qui concerne les comportements compulsifs vis-à-vis d’autres «produits» ou «objets» comme l’addiction aux jeux d’argent, l’addiction au sexe, les achats compulsifs, l’addiction au virtuel (internet, jeux vidéos, télévision) ou encore les addictions alimentaires. En ce qui concerne les addictions alimentaires, elles existent bel et bien, mais il faut préciser qu’il s’agit en réalité de l’autre nom que l’on donne aux troubles de conduites alimentaires (TCA) que sont la boulimie et l’anorexie mentale. À mon sens, il est essentiel pour le grand publique de les distinguer des addictions aux drogues, car les drogues ont un pouvoir addictogène intrinsèque capable de provoquer une addiction même chez une personne dite «normale», c'est-à-dire non fragilisée psychologiquement, alors que les aliments n’ont pas de capacité propre à créer une addiction, sauf chez une personne mentalement prédisposée.

Existe-t-il des aliments reconnus comme étant réellement addictifs ?Non, il n’existe à l’heure actuelle aucun aliment qui soit considéré par le monde médical comme étant addictif. Il est évidemment possible de fabriquer des préparations alimentaires à laquelle on rajoute des drogues comme c’est le cas des «Space cake» aussi appelés «Maajoune» qui sont des gâteaux auxquels on ajoute du cannabis, mais je ne pense pas que l’on puisse parler d’aliment addictif. Il s’agit simplement d’une autre manière de consommer une drogue connue.

Comment expliquez-vous que l’on a parfois l’impression de ne pas pouvoir réfréner l’envie de consommer un aliment une fois que l’on a commencé à le manger ?Il s’agit là d’un problème de vocabulaire. Le phénomène que vous décrivez est simplement un très fort désir pour un aliment donné, à la limite de la compulsion passagère, mais il ne s’agit pas d’une addiction, car qui dit addiction, dit forcément souffrance ou du moins conséquences néfastes sur le fonctionnement normal de l’individu. Or dans le cas d’une «fringale», il n’est question que de plaisir, pas de souffrance. Par ailleurs, lorsqu’on parle de dépendance, cela sous-entend également une perte de contrôle de soi prolongée dans le temps, ce qui n’est pas du tout le cas dans une «fringale» qui est, par définition, éphémère.

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