Fête du Trône 2006

«Il n’est pas facile d’évaluer la diplomatie parlementaire»

Le président de la Chambre des conseillers, Mohamed Cheikh Biadillah, défend l’action de la diplomatie parlementaire tout en reconnaissant ses insuffisances. Il estime que les parlementaires sont appelés à être convaincants et proactifs en s’appropriant et en maitrisant davantage les dossiers de la diplomatie marocaine. S’agissant du dossier du Sahara marocain, qui vient en tête des priorités de la politique extérieure, M. Biadillah insiste sur la nécessité de le défendre suivant une approche novatrice qui englobe ses différentes implications : économique, politique, sécuritaire...

Mohamed Cheikh Biadillah, président de la Chambre des conseillers

07 Novembre 2013 À 16:15

Le Matin : La diplomatie parlementaire est toujours accusée de faiblesse. Estimez-vous que cette accusation soit justifiée ?Mohamed Cheikh Biadillah : Après le discours inaugural de Sa Majesté le Roi Mohammed VI à l’ouverture de la première session de l’année législative 2013-14, la diplomatie parlementaire est plus que jamais à l’ordre du jour. Elle fait partie intégrante de la diplomatie marocaine. Elle agit dans un terrain bien balisé par les Hautes Orientations royales et le rayonnement de Sa Majesté à l’échelle internationale. La diplomatie parlementaire est un des «intrants» de la diplomatie en général, mais c’est l’intrant le moins cher. Elle s’avère, à moyen et long terme, très intéressante, voire primordiale. Elle repose sur les relations nouées par les parlementaires avec leurs homologues, sur leur action dans les forums internationaux et sur leur connaissance des grands dossiers. Désormais, la diplomatie parlementaire est structurelle. Le Parlement marocain est maintenant partie prenante de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE). Nos parlementaires y siègent, interviennent, amendent, s’opposent… mais ne votent pas. Elle l’est aussi au Parlement européen à travers la commission parlementaire mixte Maroc-UE, co-présidée par un parlementaire marocain et qui travaille de manière permanente.Nous faisons également partie de l’Union interparlementaire (UIP), de l’Union parlementaire méditerranéenne, de l’Union des Parlements arabes, de l’Union des Parlements africains, de l’Association des Shoura et Conseils consultatifs arabo-africains (ASCCAA)… Ce sont des organismes dans lesquels le Maroc est un acteur primordial, actif, crédible, sérieux et écouté.La diplomatie parlementaire est, par ailleurs, active à travers les groupes d’amitié ou encore à travers les nouveaux instruments récemment mis en place, notamment les Forums parlementaires. Celui organisé avec les Espagnols, qui s’est déjà réuni deux fois, alors que celui organisé avec les Français aura lieu en décembre prochain. Quoique difficile à évaluer, cette diplomatie constitue un affluent indispensable de la diplomatie globale.

On reproche souvent à la diplomatie officielle sa faiblesse, comment expliquez-vous cela ?Ce n’est pas infondé de dire que la diplomatie parlementaire est encore empreinte de faiblesse. Mais à côté des «défaillances» qu’il faut absolument et rapidement corriger, Sa Majesté le Roi a relevé également des «initiatives sérieuses qui demeurent malgré tout insuffisantes» et que nous devons promouvoir au bénéfice notre cause nationale et nos intérêts stratégiques. Dans ce cadre, Sa Majesté le Roi nous appelle à «anticiper les événements et en y répondant de manière positive», notamment en ce qui concerne le dossier du Sahara qui traverse une période critique. Le Discours royal souligne que «rien n’est encore tranché». Nous devons, tous ensemble, redoubler d’efforts pour maitriser davantage les grands dossiers de la diplomatie marocaine.

Vous voulez dire que ce n’est pas le cas actuellement ?Il faut faire la distinction entre les dossiers. Celui du Sahara qui a fait l’objet du Warning lancé par Sa Majesté le Roi mérite une attention particulière. Le plan d’autonomie jugé par le Conseil de sécurité de l’ONU comme «sérieux et crédible» doit être maîtrisé par tout un chacun. En ce qui concerne les dernières tractations autour du rapport de Tannock, je pense que le résultat est mitigé.

Pourtant, le Maroc s’est félicité du contenu du Rapport Tannock…Le rapport Tannock confond le Sahel et le Sahara. La question de nos provinces du Sud ne devait pas être présentée avec le Sahel. L’impact du terrorisme et du crime organisé sur le Maroc est certain. Il en est de même pour la zone euro-méditerranéenne. Mais le fait de mettre le Sahara et le Sahel dans le même panier constitue un non-sens. Une injustice envers notre pays ! Un acharnement toujours renouvelé !

Les Parlementaires avaient-ils à votre avis une marge de manœuvre sur ce dossier ?Les parlementaires doivent aménager cette marge de manœuvre pour convaincre leurs homologues afin de présenter le dossier autrement, clarifier la situation et faire du lobbying. Je pense qu’ils ont fait le maximum en la matière, épaulés en cela par les amis du Maroc. C’est pour cette raison que le rapport adopté présente un moindre mal. Je dois d’ailleurs préciser que le terrain est déjà balisé par la diplomatie officielle.

Plusieurs eurodéputés sont hostiles au Maroc. Comment arrive-t-on à garder l’équilibre ?Certains nous demeurent hostiles, mais il faut se féliciter des voix objectives, crédibles et de plus en plus audibles qui appuient avec conviction nos positions. Ce qui n’était pas le cas auparavant. Aux côtés des eurodéputés qui travaillent dans la sérénité, connaissent bien le dossier et comprennent les enjeux pour la région et l’Europe, il y a ceux qui sont hostiles à notre pays et nous devons les approcher en vue de leur présenter nos thèses et nos arguments. Ils peuvent changer d’avis s’ils se donnent la peine de nous écouter.

Les groupes d’amitié sont-ils efficaces à ce niveau ?Ceux que nous connaissons sont convaincus que le Maroc est dans son droit et que la proposition marocaine est de nature à régler le problème de manière définitive dans un cadre approprié où il n’y a ni vainqueur ni vaincu. Ils pensent que cette approche est aussi dans l’intérêt de la population du Sahara, notamment les séquestrés de Tindouf. Nous ne demandons pas à nos partenaires d’applaudir notre thèse, mais de comprendre le problème dans toutes ses dimensions : historique, culturelle, économique, sécuritaire, environnementale… en vue de prendre leur décision avec le maximum d’objectivité et d’impartialité. Le Maroc est le seul pays dans l’environnement sahélien qui a pu garantir la sécurité, la quiétude et les droits (enseignement, habitat, sécurité alimentaire…) dans ses provinces du Sud.

La Chambre des conseillers est en train d’élaborer un plan pour redynamiser la diplomatie parlementaire. Quels en sont les objectifs ?Le bureau de la Chambre travaille sur un plan relatif à la promotion de la diplomatie parlementaire. Il s’agit en premier lieu d’évaluer l’action déjà entreprise à la lumière du discours de Sa Majesté le Roi et, ensuite, de définir les actions à entreprendre pour redynamiser la diplomatie parlementaire et pour pouvoir être plus persuasif, «plus agressif» dans le sens de l’anticipation bien sûr.

Justement, comment, selon vous, la diplomatie parlementaire pourra-t-elle devenir «plus agressive» ?Il faut commencer par s’approprier les dossiers, les connaitre et les actualiser. En abordant le dossier du Sahara, qui est en tête des priorités, les parlementaires sont doivent évoquer l’économie, la culture, les relations internationales, la coopération, l’environnement... Tous ces dossiers sont des adjuvants et font partie de la maitrise de ce dossier de manière générale. On a tendance à se contenter de dire que «le Sahara est Marocain», sans plus. Or il convient de connaitre les tenants et les aboutissants de ce conflit et d'argumenter notre position, nos choix, leurs implications sur tous les plans pour que nos interlocuteurs puissent nous écouter et réagir en bonne intelligence à nos démarches.

Pourquoi ne pas dispenser des formations aux parlementaires sur la question du Sahara ?Les parlementaires font partie de groupes parlementaires et de partis politiques. Le travail de base se fait déjà à ce niveau-là. Ils ont maintenant les moyens d’organiser des séminaires de coaching, de team building. Au niveau de la Chambre des conseillers, on se pose la question suivante : faut-il avoir des conseillers parlementaires spécialisés dans certains dossiers ou permettre à tous les parlementaires d’aller tâter le terrain et d’apprendre ? Il faut savoir que les présidents des groupes parlementaires font l’objet de grandes pressions pour faire participer le maximum de parlementaires aux missions envoyés à l’étranger.

Mais, peut-on se permettre de confier des dossiers importants tels que le Sahara à des parlementaires non spécialisés ?On ne peut pas se permettre de confier des dossiers sensibles sans s'entourer de précautions garantissant l’appropriation de leurs éléments par les impétrants.

Actuellement, comment se fait le choix des parlementaires ?Ce sont les présidents des groupes parlementaires qui délèguent les membres leur groupe pour les missions. Jusque-là, on note une certaine forme de continuité dans les missions.

Y-a-t-il une coordination entre le Parlement et le gouvernement, notamment avec le ministère des Affaires étrangères ?Nous n’avons jamais eu de problème de coordination avec le gouvernement. Nous recevons toujours des notes complètes sur les grands dossiers que nous demandons.

Et quid de la coordination entre les deux Chambres du Parlement ?La coordination est parfaite entre les deux Chambres du Parlement. On se réunit et on se concerte à chaque fois que c’est nécessaire. C’était le cas pour le dernier forum entre le Parlement marocain et le Cortes Generales d’Espagne. Nous avons tenu une grande réunion avec cinq ministres et les parlementaires membres de la délégation qui devait se rendre à Madrid. C’était une réussite et je remercie le gouvernement pour sa disponibilité. Les délégations qui partent à l’étranger se réunissent régulièrement soit à Rabat soit sur place, se consultent et coordonnent leurs visions. Dans les rencontres internationales, l’opposition et la majorité unissent leurs rangs pour défendre les dossiers du Maroc avec efficacité et responsabilité.

Outre le dossier du Sahara, qui arrive en tête des intérêts, quelles sont les autres priorités ?Les parlementaires sont appelés à débattre de grands dossiers sur le plan international : le changement climatique, les armes chimiques, le terrorisme, la drogue, la paix et la sécurité internationale, la mondialisation et le nouvel ordre international qui ne cesse de se dessiner… En parallèle, il faut placer la nécessité de «bien vendre» le modèle de développement marocain, modèle unique dans notre région assis sur la Constitution de 2011. Il s’agit d’une «success-story».

Le manque d’experts à la disposition des parlementaires est-il un handicap à la promotion de la diplomatie parlementaire ?L’homme politique doit être à géométrie variable. Mais pour des dossiers précis, il doit être épaulé par des experts. Grâce aux moyens mis à la disposition des groupes parlementaires, ceux-ci peuvent organiser des séminaires et des ateliers sur des sujets précis. Il s’agit d’un grand atout et d’une action de team building très utile et efficace.

Quelle lecture faites-vous des derniers rebondissements dans le dossier du Sahara marocain ?La lettre adressée par le Président algérien Abdelaziz Bouteflika, lue par son ministre de la Justice, Tayeb Louh, à Abuja le 28 octobre 2013, est un acte regrettable qui prouve que la solution du conflit du Sahara marocain est entre les mains de l’Algérie et que celle-ci est loin d’être neutre. Acte provocateur, hostile, illustrant une volonté belliqueuse et délibérée d’escalade, cette lettre confirme la volonté, maintes fois manifestée, de l’Algérie de maintenir le statu quo qui prévaut entre nos deux pays. Il s’agit d’un message de nature à intimider les États du Sahel, notamment le Mali, en vue d’empêcher tout rapprochement avec le Royaume du Maroc, surtout après la visite historique effectuée au Mali par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, à l’occasion de la cérémonie d’investiture du nouveau Président malien S.E. Ibrahim Boubacar Keïta. Véritable fixation pour le régime algérien, l’affaire de l’intégrité territoriale de notre pays illustre la politique de fuite en avant adoptée par Alger et un moyen de diversion qui permet d’endormir l’opinion publique algérienne en attendant de négocier certains virages !

Copyright Groupe le Matin © 2025