Spécial Marche verte

Zoom sur le vécu des femmes d’Ouarzazate et de Taroudant

La Fondation Ytto pour l’hébergement et la réhabilitation des femmes victimes de violences a organisé, du 9 au 20 septembre 2013, la neuvième édition de sa caravane sociale annuelle au profit des femmes et enfants de plusieurs douars situés dans les provinces de Taroudant et d’Ouarzazate.
Les enquêteurs se sont penchés sur la situation juridique, sociale et économique de plus de 2 500 personnes, mais aussi sur les mariages des mineurs et la polygamie dans ces localités. Détails.

L’enquête s’est aussi intéressée à la situation matrimoniale des femmes de la localité.

02 Décembre 2013 À 18:30

La caravane annuelle de la Fondation Ytto pour l’hébergement et la réhabilitation des femmes victimes de violences a soufflé cette année sa neuvième bougie. Lors de cette neuvième mission sociale, l’organisation a décidé d’installer ses quartiers dans les provinces de Taroudant et d’Ouarzazate, situées dans la région Souss-Massa-Darâa, au sud du Maroc. Du 9 au 20 septembre dernier, des membres de l’association ont délivré plus de 500 questionnaires à plus de 2 500 personnes, pour s’enquérir de leur situation juridique, sociale, économique et sociale, sans oublier le phénomène des mariages mineurs et de la polygamie. Ces données ont été recueillies via des entretiens avec des responsables locaux et acteurs associatifs, des ateliers de sensibilisation et de débat, des enquêtes porte-à-porte, et lors des campagnes organisées dans les marchés hebdomadaires.

L’inscription à l’état civil fait défaut

Dans la province d’Ouarzazate, le sondage a concerné 1 805 personnes. Les enquêteurs ont constaté que 708 personnes, dont 168 enfants, n’étaient pas inscrites à l’état civil et 52 mariages non authentifiés. 181 parmi elles n’ont pas de carte d’identité nationale et 16 personnes disposent d’une carte falsifiée. Les raisons de la non-inscription au fichier administratif sont multiples : absence de routes et éloignement du tribunal (50% des cas), corruption (20%), décès des parents (16%) et départ du mari à la recherche d’un travail hors du douar (14%).

L’enquête s’est aussi intéressée à la situation matrimoniale des femmes de la localité. Sur les 361 interrogées, 84% sont mariées et 14% sont veuves, et 73% ont été mariées avec tuteur. À Taroudant, sur les 140 femmes sondées, 79% sont mariées, 19% sont veuves, et 91% sont mariées avec tuteur. En effet, dans ces deux provinces, «le mariage avec tuteur est considéré comme la seule forme légitime de mariage». Le Code de la famille autorise pourtant le mariage sans tuteur, mais plus de la majorité de ces femmes ignorent les dispositions de ce texte. Les divorces ne sont pas monnaie courante dans ces deux localités, puisque le taux ne dépasse pas les 2%. Les époux ne souhaitent pas rompre les liens du mariage de peur d’être la risée des habitants du douar.

Plus de la majorité des femmes sont analphabètes

L’enquête sur la situation sociale a révélé que plus de la majorité des femmes est analphabète, dont 97% à Ouarzazate et 92% à Taroudant. L’analphabétisme touche aussi les enfants. À Ouarzazate, sur les 1 769 enfants interviewés, 35% sont analphabètes et 18% en abandon scolaire. Seuls 27% sont scolarisés. Le tableau est quasi identique à Taroudant où, sur les 631 enfants sondés, 21% sont scolarisés, 35% analphabètes et 19% ont quitté les bancs de l'école.

Pour ce qui est du volet économique, l’enquête a montré que plus de la majorité de la gent féminine exercent des activités productives, dont 99% à Ouarzazate. Ces femmes s’activent notamment dans le tissage des tapis et dans les activités agricoles. Leurs enfants non plus ne restent pas les bras croisés. Ils travaillent dans les cafés des grandes villes, pratiquent l’élevage dans les champs ou le gardiennage, et s’activent dans le commerce et l’artisanat.


Questions à : Najat Ikhich Présidente de la Fondation Ytto

«Nous allons vers les femmes qui sont exclues de toute prise de parole»

Cette année, votre fondation a organisé sa neuvième caravane à Ouarzazate et Taroudant. Quel est le but de cette tournée ?À travers cette caravane, nous allons vers les femmes qui sont exclues de toute prise de paroles, celles qu’on a toujours nommées «la majorité muette», qui vit dans des conditions extrêmement difficiles, mais pour lesquelles aucun programme de développement ni de sensibilisation n’a été consacré. Le premier but c’est de libérer leur parole et leur faire comprendre qu’elles y ont le droit en tant que citoyennes. La caravane est un centre d’écoute ambulant, un observatoire qui a pour but de recueillir des données sur les femmes et l’ensemble des populations du Maroc enclavé et marginalisé.

Outre la situation socio-économique des femmes, vous avez essayé d'établir un diagnostic sur leur situation juridique et médicale. Pourquoi avez-vous intégré ces paramètres dans l’étude ?D’abord, parce que notre expérience dans le monde rural nous a appris que les femmes des régions enclavées sont exposées à différentes formes de violence, dont la violence juridique, économique, sociale et culturelle. Il est donc très important que nos enquêtes de terrain se concentrent sur ces volets afin de refléter la réalité vécue par ces femmes.

Après ce diagnostic, prévoyez-vous de mettre en place des actions pour améliorer la situation de ces femmes ?Effectivement, c’est un des buts primordiaux de la caravane : aider les femmes des régions enclavées à se prendre en charge, créer des associations féminines ou des coopératives qui leur permettraient une autonomisation économique et une prise en conscience de leurs droits, et organiser des campagnes via différents intervenants locaux afin d’éradiquer les mariages coutumiers et ceux des mineurs. Nous comptons aussi mettre en place des stratégies de plaidoyer, de négociations, de communication et de suivi de notre travail dans ces régions pour de véritables changements en faveur des droits et d’une vie digne.

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