20 Novembre 2013 À 16:18
Draguer, c’est la capacité de tisser un lien avec quelqu’un en vue de le séduire et de vivre une relation amoureuse à plus ou moins long terme. Jadis, on appelait cela «faire la cour». On se donnait en effet le temps de séduire, de cultiver le mystère et de laisser le désir s’installer pour donner le meilleur de soi-même. Aujourd’hui, cette pratique de séduction a fortement évolué, parallèlement à notre style de vie. La drague est devenue plus agressive et se fait sur le court terme. Au Maroc ou ailleurs, on drague pour le plaisir, pour se prouver son pouvoir sur les autres. Là, il n’est plus question de relation durable, mais simplement d’un besoin de faire «comme les autres» ou d’affirmation de soi. En solo ou en meute, avec des copines ou des potes, on s’amuse à faire tomber le maximum de «victimes».
L’envie de séduire manque rarement, mais il arrive parfois que l’on commette l’irréparable et qu’on passe du statut de candidat amoureux potentiel à celui de boulet mal inspiré. Pour éviter le rejet systématique, il y a quelques faux pas à éviter. «On est vulgaire quand on adresse ses codes (modalités de drague) à une personne qui n'obéit pas aux mêmes codes. Le sifflement, par exemple, est assez insupportable pour des personnes avec des codes élaborés : l'impression est d'être traitée comme un animal. Le dragueur de cette sorte se découvre comme ayant une culture de rue ou de bas niveau, sauf si cela passe pour une plaisanterie», explique Bernard Corbel, psychologue.
Les sifflements racoleurs et autres bruits d’animaux sont à proscrire quand on désire courtiser une dame. Dans le meilleur des cas, vous passerez pour un clown, au pire vous vous ferez copieusement insulter pour votre manque de tact. Pensez aussi à vous arrêter quand il le faut, quand une demoiselle vous dit non, ce n’est pas une invitation à lui coller au train jusqu’à ce qu’elle cède. «Malheureusement on est bien loin de l'interpellation romantique et respectueuse. Généralement les hommes passent à côté de moi et me lancent des “waouh, quel regard !” ou des “ghzala” en veux-tu ? En voilà. Je trouve cela ridicule, comment peuvent-ils croire qu'ils vont séduire une femme avec ça ? Le pire c'est lorsque les dragueurs se mettent à me suivre sur 2 km et à me parler sans s'arrêter... quelle lourdeur», se plaint Loubna.
Si vous pensez qu’il faut rouler des mécaniques, débarquer en voiture de sport et afficher vos gadgets bling-bling pour séduire, alors il faudra refaire un tour à l‘école de la séduction. Vos faire-valoir matériels passent rarement pour autre chose qu’un moyen de compenser votre confiance, la taille de votre égo et de votre anatomie. Vous êtes prévenus. «Alors eux, ils se croient puissants au volant de leur berline. Ils ralentissent pour rouler à votre allure et vous invitent à monter dans le véhicule. Un jour un homme m’a dit : “viens, on déjeune ensemble, ma jolie, ne fais pas la fille hautaine et réponds-moi”. Comme je ne pipais mot, il a stationné, est descendu et a commencé à me toucher. Heureusement mon cousin m’attendait un peu plus loin», poursuit la jeune femme. Inutile également de raconter des salades pour éblouir la femme de vos rêves. Le secret d’une séduction aboutie est de rester soi-même et de ne pas trop en faire.
«Un homme qui aborde une femme doit faire preuve de finesse et de subtilité, nous ne sommes pas des animaux. Si “demander l'heure” est dépassé, un homme peut encore aborder une femme et lui demander son chemin, une fois qu'il aura son attention pendant quelques minutes, il pourra faire une blague et tenter de la faire sourire. Mais par pitié, qu'ils arrêtent de croire qu'il suffit de dire à une femme qu'elle a de beaux yeux pour la faire succomber !» déclare Farida. «À la base, se faire draguer est flatteur à mon avis. Mais avec l'insistance et les mots vulgaires, ça devient quelque chose qu'une fille qui se balade seule dans la rue redoute», poursuit la jeune femme.«Draguer demande, certes, du courage et une certaine confiance en soi. Mais l'absence de scrupules et l'excès de pression exercé sur la jeune femme sont un signe d'effronterie. Draguer relève d'une stratégie par étapes, le mufle va trop vite et trop fort.
Une perversion de la drague c'est de draguer pour blesser ou pour humilier !» explique Bernard Corbel, psychologue. Et encore lorsque la drague s’arrête à quelques mots doux, mais quand l’individu devient méchant, vulgaire ou violent, c’est une autre histoire. «On a essayé de m’aborder de façon vulgaire en commentant mes vêtements et mon corps (je suis voilée), on a même essayé de me serrer. Lorsque je l’ai repoussé, le gars m’a tiré les cheveux et m’a frappé à tel point que j’ai saigné du nez !», raconte Sanae. Ce genre d’individus devraient être condamnés par la loi. Espérons donc que le projet de loi soit adopté par le Parlement.
Le jeu de séduction et la parade amoureuse font partie des interactions normales entre individus. Seulement, il arrive que cette «socialisation» ne soit plus la bienvenue, quand on fait le choix de s’engager dans une relation sérieuse, ou pire, quand l’acte de séduction est diagnostiqué comme une addiction ou une obsession. Si le premier cas est largement dépendant de la sincérité du séducteur ou de la séductrice, le second relève beaucoup plus du trouble comportemental clinique. Ceux qui souffrent de cette addiction tendent à l’appeler syndrome du chasseur et assimilent leur besoin de draguer à celui de la chasse, au plaisir de pouvoir être sur le terrain, de la gratification ressentie quand on «harponne» sa proie et aussi au sentiment d’assurance éprouvé à chaque fois qu’on obtient ce qu’on veut. D’un point de vue clinique, ce comportement est qualifié d’obsession sexuelle et affective. Il s’agit d’une maladie à addiction sans produit, identifiée par le Pr Patrick Carne dans son ouvrage «Out of the Shadows : understanding Sexual Addiction». Comme toute maladie mentale, la dépendance sexuelle et affective peut engendrer la perte de contrôle et la poursuite du comportement pathologique, malgré la connaissance de ses conséquences négatives pour l’individu. À terme, elle entraînera aussi des complications, comme des comportements à risque, le harcèlement, les troubles obsessionnels, la perception mitigée de la réalité ou l’exposition aux maladies sexuellement transmissibles. Quand la drague est diagnostiquée comme pathologique, elle peut être traitée à l’aide de la psychothérapie ou des thérapies de groupe.
Dans une société patriarcale, au regard de l'homme, la femme se limite à un simple objet de désir et se cantonne dans un état de servitude qui consiste à donner naissance à des enfants et à les élever. “Dans la rue, la majorité des hommes prennent la femme pour une proie facile, et se permettent des supputations déconcertantes à son égard, la drague, le mépris, les insultes parfois, surtout quand la femme refuse de céder à un certain nombre d'avances verbales, sans se rendre compte que par ses simples gestes banals, l'homme porte atteinte à la féminité de celle-ci et par là même à sa propre virilité.....Bref, cela nécessite un “rétoilettage” des mentalités pour que cela change», affirme Ayoub.Même son de cloche pour Hakim. «Jamais je ne me serais permis de draguer une femme en voiture, ce genre d’attitude est inconcevable, c’est ce que l’on fait avec une prostituée ! Moi je ne suis pas un grand fan de la drague de rue. Il se peut que je croise le regard d’une femme, si elle me répond par un sourire, je peux tenter ma chance. Pour moi c’est comme si je prenais son autorisation. C’est comme cela que ça doit se passer», déclare celui-ci.Ces deux parties accueillent donc le projet de loi comme une délivrance pour la gent féminine et l’évolution des mentalités, de même que pour Mohamed qui conclut : «Je ne cache pas qu'à plusieurs reprises, je me suis senti gêné par le comportement de quelques énergumènes dans la rue. Moi aussi j'ai une mère, des sœurs et une fille et je ne voudrais surtout pas qu'elles soient dérangées dans la rue».
Que pensez-vous du projet de loi contre le harcèlement sexuel ?Dans une société qui se modernise, il convient de fixer les nouvelles règles liées à cette modernisation. La bienséance est donc désormais requise. Si draguer est un acte inoffensif, la réitération, alors qu'il y a un refus, l'encerclement - comme c'est le cas au travail où il est interdit de fuir ou de contester la domination- peuvent constituer un délit de harcèlement et c'est une bonne chose, car les femmes ne peuvent donner le meilleur d'elles-mêmes que dans des conditions de bienséance, de respect, d'amitié sincère ou d'amour selon le cas. Leur adaptation au chantage, au harcèlement, au mépris, à l'humiliation les conduit à une ruine psychologique, une perte de l'estime de soi, à la dépression et aux troubles psychosomatiques.
Quels conseils donner aux hommes pour aborder une femme ?À mon avis, le dragueur devrait respecter quelques étapes : se signaler par son regard et son sourire, s’il y a un OK manifeste, aborder, demander la permission de parler, se présenter, faire une proposition (dire ce que l'on voudrait), écouter, observer, réagir tout en restant léger, savoir plaisanter et être rassurant... Lors d'un contact plus prolongé, savoir si la personne s'estime libre, chercher le contact de la main, etc. Tout le temps s'assurer que la personne accepte d'être ainsi conduite et ne parvient pas à un blocage ! Se montrer doux, courtois...
Quelle différence peut-on observer entre la drague d'hier et d'aujourd'hui ?La drague existe depuis presque tout le temps, mais un mot plus subtil pourrait être «courtiser». Le mot est ainsi moins galvaudé. Hier, ça veut dire peut-être les années 50 ou 60 en référence à la génération précédente ? On draguait, je pense, plus à proximité, de façon plus simple, peut être plus enjouée. Aujourd'hui, côté drague de rue, il me semble que l'on est devenu plus stricte, ayant plus d'interdits et donc on est plus refoulé et enclin à de la méchanceté. C'est dramatique. La drague, ça devrait être le vrai sourire, une illustration du bonheur de vivre. Bien trop de personnes semblent avoir renoncé à être draguées ou à draguer, c'est affreusement triste. Les femmes qui restent ouvertes à la possibilité d'être draguées se font agresser parfois comme si elles étaient mauvaises ! À quand les beaux sourires et des fleurs dans les cheveux ?