23 Octobre 2014 À 13:31
La situation au Sahel est préoccupante et doit être l’objet de l’attention de tous. La menace terroriste s’est désormais étendue à l’ensemble de la région et il serait temps de renforcer la coopération entre les sous-régions africaines. Aujourd’hui, une conviction est largement partagée, la sécurité de la région passe par un règlement définitif du conflit, par l’implication des populations et par le développement socio-économique. Il est fondamental de répondre aux exigences du contexte géopolitique qui consistent à éviter la constitution de zones grises, ces dernières ne feraient en effet qu’accentuer les problèmes sécuritaires dans la région et par extension à tout le continent. Tous les pays de la région sont fébriles et montrent des signes d’inquiétude : le Sénégal, le Nigéria, le Niger et la Mauritanie. Dans Géopolis n°4, Youssef Mahmoud, conseiller principal à l’Institut international pour la paix (IPI basé à New York), précisait : «Que ce soit la prolifération des réseaux criminels et terroristes, les trafics illicites d’armes, de drogue et de personnes, la radicalisation de jeunes sans espoir à des fins inavouables, ces menaces avec leur corollaire d’insécurité et d’instabilité ne sont plus confinées au nord du Mali ou à la zone sahélo-saharienne.
La chute du régime de Kadhafi les a dangereusement rapprochées des pays du Maghreb qui en sentent les effets néfastes au quotidien. Il n’est donc pas surprenant de les voir modifier leurs politiques intérieures et extérieures et multiplier les concertations afin de contrecarrer ces fléaux transfrontaliers.» Le risque d’une longue période d’incertitude plane sur la région, du fait de l’exacerbation des tensions tribales et religieuses sur fond de rivalités régionales et d’ingérences étrangères. Sur le long terme, cette situation ne manquera pas d’impacter la stabilité et la sécurité des pays du Maghreb.
Aux déséquilibres politiques et sécuritaires, s’ajoutent les déséquilibres socio-économiques, conjugués à l’aggravation de la détresse de la population, dans certains pays au Sahel, qui souffrent déjà de la famine et d’une marginalisation politique et économique endémique. La plupart des pays peinent à, d’une part, maîtriser leur croissance démographique (selon les prévisions, la population au Sahel est amenée à doubler d’ici 2025) ; et d’autre part à amorcer une croissance économique capable de faire face à l’énorme afflux des jeunes sur le marché du travail. La sécurité ne saurait être assurée que s’il y a un effort de développement des pays du Sahel, sans développement socio-économique aucune paix durable n’est à envisager. Face à cette situation, au-delà d’une réponse armée, une réponse économique s’avère plus nécessaire que jamais. Les économies du continent divergent de plus en plus. À titre d’exemple, 80% de la consommation privée sont le fait de dix pays : Afrique du Sud, Algérie, Angola, Égypte, Ghana, Kenya, Maroc, Nigéria, Soudan et Tunisie. Ces pays sont qualifiés par certains experts de «pays utiles». Cette réalité cache des inégalités criantes et atteste le fait que le modèle de croissance axé sur les ressources naturelles profite à une élite. L’Afrique peut être qualifiée de continent riche peuplé de pauvres, Le PIB par habitant est huit fois inférieur à la moyenne mondiale. La pauvreté constitue en soi une carence de développement et est aussi à l’origine, d’une part, de maux économiques, comme la difficulté à constituer une classe moyenne, et d’autre part, de maux sécuritaires, comme l’élargissement des rangs des djihadistes. L’Afrique se trouve donc confrontée à un défi majeur, rendre inclusive la croissance qu’elle connait depuis près d’une décennie. Une croissance qui jusqu’à aujourd’hui a, surtout, été portée par des secteurs intensifs en capital au détriment des activités intensives en travail. Actuellement, l’Afrique compte 200 millions de jeunes de moins de 25 ans, ils seront un demi-milliard au tournant du demi-siècle. En 2020 ils seront 150 millions à se présenter sur le marché du travail pour un nombre d’emplois disponibles estimé à un peu plus de 50 millions. Exploiter le dividende démographique passe davantage par la facilitation de la productivité et de la compétitivité sur le continent. Il est primordial de limiter la dépendance des économies africaines des industries extractives par la diversification de leurs industries (le Soudan dépend à 90% de ses exportations pétrolières).
Dans un contexte de mondialisation avancée, le régionalisme économique pourrait être le soubassement d’une stratégie économique réfléchie au niveau de l’Afrique (cas des banques). Il s’agirait de faire de la réciprocité de l’ouverture des marchés étrangers un atout, de sécuriser les secteurs et les entreprises sensibles et de mettre en place un ensemble de dispositifs de soutien à l’export et à la compétitivité du tissu économique africain. Sur la base d’une logique de réseaux, une spécialisation à haute valeur ajoutée serait stimulée par la création de structures maillées innovantes et réactives. Cette stratégie renforcera, d’une part, l’attractivité des territoires qui sera encouragée par la création d’un marché de plus de 800 millions de consommateurs dans le cadre d’un jeu gagnant-gagnant en faisant appel à l’intelligence territoriale dans le but de gérer stratégiquement la diversification des spécialisations ; et d’autre part, rendra inclusive la croissance en Afrique, tirant ainsi au maximum profit de son marché et de son back up.La deuxième stratégie serait axée sur la jeunesse et l’entrepreneuriat avec une attention particulière accordée à l’entrepreneuriat féminin, le sort de l’Afrique étant fortement lié aux perspectives d’avenir qui s’offrent à cette population.
Quatre piliers constitueront les soubassements de la politique de création des opportunités pour le développement de l’entrepreneuriat des jeunes :• L’accès aux sources de financement à des conditions très avantageuses par la création de fonds de garantie avec l’aide des bailleurs de fonds internationaux tels le Fonds monétaire international, la Banque internationale pour la reconstruction et le développement et la Banque africaine de développement.• La mise en place de plateformes dédiées aux jeunes entrepreneurs leur permettant de mutualiser les coûts et de partager les expériences.• La mise en place de programmes de mentorat avec la participation, voire une forte implication, des grandes entreprises domestiques et multinationales.• L’orientation d’une grande partie des aides octroyées au continent vers l’amélioration du système éducatif et de la formation professionnelle.
Concernant l’entrepreneuriat féminin, les associations déjà existantes sur tout le continent pourraient nouer des contacts afin de constituer par la suite des réseaux qui permettront de consolider le mouvement féministe dans la région. Certains exemples sont assez éloquents à cet égard, tel le réseau des femmes d’affaires de la région MENA, qui réunit plus de 2.500 membres de 10 pays. Il regroupe des femmes entrepreneures arabes ayant réussi et souhaitant prendre contact avec les femmes d’affaires débutantes afin de les associer à l’œuvre de développement économique et social dans la région. L’adoption de plans d’action en faveur de l’entrepreneuriat des femmes peut contribuer de façon importante à améliorer l’égalité homme-femme. Ce type d’action, souvent initiée par des organismes internationaux, aide énormément à définir des mesures concrètes pour supprimer les barrières liées au genre, notamment aux États-Unis, où la formule «small is business» a été fortement divulguée et acceptée par tous les acteurs économiques. De telles initiatives s’emploieraient à favoriser l’accélération des réformes politiques et économiques pour encourager l’insertion de la femme et des jeunes dans la vie économique dans le but de leur permettre de jouer un rôle de leadership dans le développement économique de leur pays. De telles stratégies apporteront la prospérité pour le continent, réduisant ainsi les taux de chômage et de pauvreté, principaux facteurs de deux pulsions majeurs : l’engagement jihadiste et l’exaltation de la toxicomanie, et casseraient de la sorte le cercle vicieux : pauvreté/chômage – terrorisme/insécurité – décélération de la croissance économique – pauvreté/chômage…