Spécial Marche verte

Les guéguerres avec les syndics n'en finissent pas

De plus en plus de Marocains habitent en copropriété : 900.000 ménages, selon les estimations des professionnels. Le problème majeur reste le refus de paiement des charges. Résultat : ascenseur en panne, parties communes négligées, façades dégradées…

Les problèmes du syndic sont souvent à l'origine de querelles de voisinage.

15 Novembre 2014 À 14:56

Être propriétaire d’un appartement dans un immeuble en copropriété au Maroc n’est pas de tout repos. Il n’y a qu’à écouter les habitants de ces immeubles pour se rendre compte que ce type d’habitation pose autant de problèmes qu’il n’en résout.

Au Maroc, la fonction de syndic est exercée dans la plupart des cas par des syndics copropriétaires, bien qu’il soit possible de faire appel à des sociétés de syndic professionnel. En effet, de plus en plus de syndics professionnels voient le jour, mais il n’existe aucune obligation légale de faire appel à ces syndics et le recours à leurs services demeure assez limité. Ceci s’explique notamment par le montant des charges, plus coûteux lorsqu’on fait appel à un organisme externe. «Dans notre immeuble, chaque copropriétaire paie 50 dirhams par mois, alors qu’il aurait fallu débourser plus de 200 DH si on avait fait appel à un tel organisme», déclare Habiba, propriétaire d’un logement économique.

S’improviser syndic

Cela dit, être syndic ne s’improvise pas, mais certains copropriétaires – pour ne pas confier ça à des professionnels (et surtout pour payer moins cher) – décident pourtant d’assumer cette responsabilité. Si certains gèrent leur nouvelle fonction dans les règles de l’art, d’autres sont vite dépassés par les événements et commencent à faire n’importe quoi, oubliant qu’un guide du syndic de copropriété existe régissant leurs obligations, comme celle des copropriétaires d’ailleurs. «Les deux membres de notre syndic ont décidé de refaire l’escalier de l’immeuble. Ils ont entrepris des travaux sans nous prévenir, ni nous demander notre avis sur les couleurs, pire, sans nous présenter le devis. Et comme ils ont pris soin de ne pas établir de facture avec l’ouvrier qui a exécuté les travaux, on se retrouve aujourd’hui à devoir payer un montant sans savoir combien ont coûté réellement les travaux. C’est très louche», lance Ali, 55 ans.

Pourtant, selon le Guide du syndic de copropriété, le syndic est tenu d’informer le copropriétaire, ses ayants droit ou l’occupant de la nature des travaux dans les parties communes huit jours avant leur démarrage, à moins qu’il ne s’agisse de travaux revêtant un caractère d’urgence visant à préserver la sécurité de l’immeuble en copropriété et celle de ses occupants.

À en croire les dires des copropriétaires, il n’est donc pas rare que ces «syndics improvisés» se servent dans la caisse. «Au début, tous les propriétaires payaient régulièrement leurs cotisations. Mais on s’est rendu compte qu’aucun travail de rénovation n'était engagé. Nous nous sommes demandé où allait cet argent et nous avons demandé à consulter les comptes, en vain», lance Fatiha, propriétaire depuis 4 ans. Un de ses voisins nous a même confié avoir arrêté de payer. «Tant qu’ils ne seront pas en mesure de nous apporter des justificatifs, ce sera comme ça», vocifère-t-il.À noter, cependant que le syndic est tenu dans ce cadre de présenter toutes les explications nécessaires appuyées par des justificatifs relatifs à ses actes de gestion. L’article 32 de la loi 18-00 précise à ce sujet que tout copropriétaire a droit d’accès aux archives, aux registres du syndicat, notamment ceux relatifs à la situation de la trésorerie.

Les copropriétaires, de mauvais payeurs ?

Heureusement, tous les syndics n’agissent pas de la sorte. Quand on les interroge, la faute viendrait aussi des copropriétaires. D’ailleurs, il n’est pas rare qu’ils se rejettent mutuellement la responsabilité. En effet, la principale faiblesse en copropriété est le refus des copropriétaires de payer leurs cotisations mensuelles, ou bien de le faire avec beaucoup de retard. Résultat : la femme de ménage et le concierge ne sont pas toujours payés à temps, la façade de l’immeuble perd de son attrait faute de réfection et de peinture, et les escaliers sont souvent dans un état crasseux. Ainsi, les clashs entre les copropriétaires deviennent monnaie courante. «Les problèmes se posent toujours au moment de payer. Lorsqu’un copropriétaire refuse, les autres le suivent et refusent à leur tour de payer.

On rentre alors dans un cercle vicieux», explique Maître Reda Oulamine, avocat et ancien membre du syndic de son immeuble. Quand on lui demande pourquoi il a abandonné cette responsabilité, celui-ci nous confie non sans regret : «Être syndic était mon devoir en tant que citoyen et copropriétaire, dans la mesure où personne ne voulait le faire. Malheureusement, les gens manquent de savoir vivre en communauté. J’y ai donc renoncé».Mais au final, pourquoi les gens refusent-ils de payer ? Pour trois raisons : la première étant qu’ils ignorent l’existence d’une loi qui leur commande de payer les charges, faute de quoi ils seraient sévèrement sanctionnés. «Les copropriétaires ne sont pas informés au moment de l’achat du bien de leurs obligations et devoirs de copropriété. Il y a une absence très répandue de la notion d’intérêt général», déplore Me Oulamine. La deuxième raison est davantage financière.

En effet, les récalcitrants arguent qu’ils sont propriétaires et n’ont pas à payer en plus de leur crédit une sorte de «loyer supplémentaire». Enfin, il n’est pas rare que ces mauvais payeurs ne comprennent pas le sens du mot collectivité, du «savoir-vivre ensemble». «Certaines personnes ne s’occupent même pas de l'entretien de leur propre appartement, ils se sentent donc encore moins concernés par les parties communes. Dans ce sens, je pense que toutes les parties concernées (associations, État, ville…) devraient songer à lancer une campagne de sensibilisation afin de changer les mentalités des gens», conclut finalement notre avocat. 


Questions à Maître Reda Oulamine, avocat

«La loi est très méconnue et la procédure n’est pas suivie»

Est-il obligatoire d'avoir un syndic dans son immeuble ? Quelle est sa fonction ?Oui. Conformément à l’article 19 de la loi n°18-00 relative au statut de la copropriété des immeubles bâtis du 7 novembre 2002, l’assemblée générale désigne parmi les copropriétaires présents ou représentés à la majorité de voix un syndic et son adjoint. À défaut de désignation d’un syndic et de son adjoint, ils sont désignés à la demande d’un ou de plusieurs copropriétaires par le président du tribunal de première instance après avoir informé l’ensemble des copropriétaires et entendu les présents parmi eux. Et selon l’article 15 de la même loi, l’assemblée générale procède à la gestion de l’immeuble en copropriété conformément à la loi et au règlement de copropriété et prend des décisions dont l’exécution est confiée à un syndic ou, le cas échéant, au conseil syndical.Celui-ci doit aussi veiller au bon usage des parties communes en assurant leur entretien, la garde des principales entrées de l’immeuble et les équipements communs. Il est de son devoir d’effectuer les réparations urgentes même d’office. Il a la charge de préparer le projet du budget du syndicat en vue de son examen et de son approbation par l’assemblée générale et de collecter les participations des copropriétaires aux charges contre récépissé. C’est à lui d’établir de manière régulière le budget du syndicat et la tenue d’une comptabilité et d’en communiquer la situation à ceux-ci, au moins tous les trois mois.

La gestion du syndic relève-t-elle obligatoirement d'un organisme spécialisé ou les copropriétaires peuvent-ils eux-mêmes assurer cette fonction ?Le syndic peut être une personne physique ou morale exerçant à titre libéral la profession de gestion des immeubles. Les copropriétaires peuvent exercer eux-mêmes cette fonction de syndic en désignant l’un d’entre eux. À noter que lorsque les copropriétaires exercent cette fonction à la place du syndic, ils l’exercent dans le cadre du bénévolat. Toutefois, ils peuvent être remboursés pour les frais engagés dans l’accomplissement des tâches du syndic.

Il arrive que les copropriétaires ne payent pas leurs cotisations mensuelles. À quels risques s'exposent-ils réellement ?Au cas où l’un des copropriétaires ne s’acquitte pas du paiement des charges et dépenses décidées par le syndicat dans un délai déterminé, le président du tribunal de première instance prononce une injonction de payer. Il est à signaler qu'avant de trainer un copropriétaire pour faute de paiement en justice, le syndic envoie au préalable une mise en demeure par lettre recommandée, avec accusé de réception. Si la mise en demeure reste infructueuse pendant plus de trente jours, le syndic saisit le président du tribunal de première instance. Toutefois, la loi est très méconnue et la procédure n’est pas suivie.

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