Spécial Marche verte

Le manque d'information engendre des conséquences néfastes chez les jeunes

L'éducation sexuelle en est encore à ses balbutiements au Maroc. Si le sujet est parfois abordé dans les lycées, il reste encore extrêmement tabou dans le cocon familial. Ce manque de dialogue et de connaissances peut conduire à des grossesses indésirées, des avortements sauvages, des cas d'abandon d'enfants. Focus sur un phénomène de société qui prend de l'ampleur.

Selon la sociologue Soumaya Naamane Geussous, la majorité des femmes célibataires interrogées pour la rédaction de son livre «Au-delà de toute pudeur» avaient déjà connu au moins un rapport sexuel avant leur premier mariage.

06 Février 2014 À 17:18

L’éducation sexuelle a pour but d'informer les enfants sur les mécanismes du corps humain, tant féminin que masculin, et ceci à un âge où ils commencent à se poser des questions, afin de leur éviter les angoisses ou les malaises que pourraient leur causer des informations vulgaires et inexactes. L'enfant est alors mieux armé pour affronter certains phénomènes liés à son corps, et a de meilleures chances d'atteindre un bon équilibre psychique.

La puberté

Pour la femme, l'arrivée des premières règles représente une étape cruciale. Sujet encore «hchouma», les menstruations ne sont jamais évoquées par les adultes, et ne font l'objet d'aucune information. Ainsi on considère qu'une femme sur quatre seulement a reçu une explication directe venant d'un adulte. À l'inverse, une certaine proportion de femmes a découvert tout à coup, à un moment de son enfance, qu'elle saignait sans en connaître la raison. Or, il est bien évident que si les premières règles sont toujours un événement marquant dans la vie d'une jeune fille, elles peuvent représenter un moment dramatique lorsque la fillette ne s'y attend pas et provoquer ainsi chez elle de la peur, de l'angoisse et même de la honte, car le seul fait que le sang coule de ses parties intimes suffit à la couvrir de gêne.

L'âge des premiers désirs

Ainsi la fille nouvellement menstruée représente un défi pour la mère. Capable à présent de procréer, elle va être constamment surveillée afin d'être préservée jusqu'au mariage. En effet, les parents vont alors consacrer tous leurs efforts à éloigner tout éventuel prédateur de leur fille et à contraindre ses pulsions alors que celle-ci baigne dans un climat ou la sensualité est de plus en plus valorisée. La télévision ou encore Internet ont profondément modifié certains aspects de la vie sociale, car ceux-ci échappent à la censure. On parle notamment de certains films étrangers (sur le câble) ou des multiples films pornographiques proposés sur le net, déformant l'image de la sexualité. Il faudrait également évoquer certaines publications et en particulier les revues ou le corps et la nudité triomphent. Ainsi de nouveaux désirs apparaissent, en conflit total avec les valeurs de notre société.

C'est dans ce cadre que les adolescents peuvent ressentir le besoin d'entretenir leur première relation sexuelle. Les rapports sexuels, de plus en plus précoces présentent toujours un risque pour la jeune fille. Selon Soumaya Naamane Geussous, maître-assistante à la Faculté des sciences humaines de Casablanca, la majorité des femmes célibataires interrogées pour la rédaction de son livre «Au-delà de toute pudeur» avait déjà connu au moins un rapport sexuel avant son premier mariage. L'âge moyen au premier rapport serait de 19 ans et quelques mois.

Le partenaire de ces premiers rapports, généralement du même âge, est le plus souvent rencontré dans l'entourage immédiat : c'est un voisin, un cousin, un ami des parents, le frère d'une amie. Il est plutôt lycéen ou étudiant. Il est plus rare que la jeune fille le rencontre dans son entourage professionnel. Sinon, c'est généralement un rapport de pouvoir : son supérieur hiérarchique, la personne qui lui a promis embauche, etc.Ceci dit, la majorité des femmes déjà mariées lors du sondage, n'avait jamais eu de relations sexuelles avant la nuit de noces. Deux sur cinq, néanmoins, en on eu une ou plusieurs. Il a également été révélé que les filles dont les mères travaillent hors de la maison ont plus souvent connu un homme avant le mariage. C'est la mère qui est la gardienne de la tradition. Quand elle n'est pas là, la jeune fille est moins surveillée... Force est donc de constater que le phénomène est bien là et prend de l'ampleur. Ceci dit, cette sexualité précoce n'est pas pour autant facile à vivre. Au premier plan, se dressent les remords et la culpabilité. «Comment en serait-il autrement dans une société qui condamne toute sexualité féminine ?» s'interroge Soumaya N. Guessous avant de poursuivre. «Soulignons toutefois que l'homme est en revanche vivement encouragé par cette même société à assouvir ses désirs» (bien que l'Islam interdise les relations sexuelles hors mariage pour l'homme comme pour la femme). De plus selon cette même étude, certaines femmes seraient convaincues de la nécessité d'avoir une expérience sexuelle avant le mariage, «pour se décomplexer», «pour être au même niveau que leur mari, qui, lui, ne s'est pas privé», «pour arriver à le satisfaire».Pour l'autre échantillon de femmes interrogées, il n'en est pas question, craignant les problèmes de virginité, de grossesse ou de convenances familiales.

La contraception

En effet, la contraception n'est pas très pratiquée par les jeunes filles. Le sentiment de mal agir les empêche de se conduire de façon responsable. Dans les faits, très peu de vierges utilisent la pilule ou alors de manière très anarchique, car la jeune fille vit dans la hantise de se faire prendre la plaquette à la main. Quant aux préservatifs masculins, ils ne plaisent pas à ces messieurs. En général, ce sont d'ailleurs, les jeunes femmes qui pensent à la contraception. «L'homme ne s'inquiète que très rarement et n'a cure du sort de sa semence une fois qu'il s'en est libéré», explique notre maître-assistante. Il considère, en outre, qu'il s'agit là d'un problème uniquement féminin et n'évoque le sujet que pour décliner à l'avance toute responsabilité en cas de grossesse accidentelle. C'est d'ailleurs lorsque celle-ci survient et que la jeune fille réussit à avorter qu'elle décide d'adopter une méthode contraceptive.

Les avortements clandestins

Lorsque la jeune femme se retrouve accidentellement enceinte pour les différentes raisons citées ci-dessus. Elle se retrouve alors prise au piège. Sa famille ne doit rien savoir. Elle panique. En parler avec son partenaire ? Impossible : Il ne supporterait pas cette responsabilité qui est en partie la sienne. Il disparaîtra sans laisser de traces en lui reprochant de ne pas avoir su se maîtriser et de l'avoir attiré dans un piège pour se faire épouser...

De nombreuses jeunes filles préfèrent donc se taire et se débrouiller seules. C'est bien souvent à ce moment que les choses se compliquent et que la vie de la future mère est en danger.Premier problème à affronter, trouver le médecin qui voudra bien nous faire avorter. Car pour rappel, avorteur et avortée sont puni par la loi selon l'article 453 du Code pénal. Deuxièmement, trouver de l'argent pour avorter. Car généralement, la jeune fille ne travaille pas. Elle a alors bien souvent recours à des méthodes plus draconiennes. Cela va de prendre des recettes abortives conseillées par des amies inconscientes du danger à l'insertion d'un pic à brochette dans leur vagin afin de déclencher la fausse couche. Or, ceci est très dangereux et ne devrait jamais être fait, parce qu’il y a un risque très élevé de blessures internes pour la femme, d’infection, d'hémorragie et même de mort.

«La question de l’avortement reste parmi les sujets les plus sensibles au Maroc, bien qu’il soit pratiqué clandestinement chaque jour», explique le Pr Chafik Chraibi, gynécologue au C.H.U de Rabat et président fondateur de l’Association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin (AMLAC). «Au Maroc, le nombre de grossesses non désirées est évalué à un millier par jour», poursuit la même source. Résultat de cette situation, on évalue, entre 600 et 800 le nombre de cas d’avortements clandestins pratiqués quotidiennement à travers le Maroc parce que pour rappel, l'avortement n'est pas autorisé au Maroc.Ainsi, 500 à 600 avortements clandestins par jour sont médicalisés et effectués par des gynécologues, généralistes, chirurgiens, etc. «L’acte est très lucratif : 1 500 à 10 000 DH selon la patiente, la durée de la grossesse et le médecin, mais occasionne du stress et un risque d’incarcération pour le médecin», précise le président le l'AMLAC.

Quelque 150 à 200 cas de ces avortements sont non médicalisés et sont effectués chaque jour dans des conditions sanitaires catastrophiques par des infirmières, sages-femmes, «kablates», faiseuses d’anges, etc. Le coût est certes moins élevé, mais les complications en sont très graves.Selon l’OMS, 13% de la mortalité maternelle qui reste encore très élevée au Maroc sont imputés à l’avortement. Et encore, ces statistiques sont très largement sous-estimées, étant donné l’illégalité de l’acte et le caractère tabou du sujet. Elles ne prennent pas en compte le grand nombre de suicides ou d'expulsion du giron familial liés aux grossesses illégitimes.En outre, le mal va parfois bien au-delà de l’avortement. Car quand elles échappent à la mort, bon nombre d’accouchées garderont des séquelles organiques (stérilité, entre autres) et psychiques (dépressions).

Le cas du Misoprostol

Le Misoprostol est un médicament utilisé pour prévenir les ulcères d’estomac. Certaines femmes l’utilisent pour provoquer une fausse couche. Dans 80% des cas, le Misoprostol provoque des contractions de l’utérus. Comme conséquence, l’utérus libère son contenu. Une femme peut ressentir des crampes douloureuses, avoir des pertes sanguines plus importantes qu’une menstruation normale, des nausées, des vomissements et de la diarrhée. Cependant, il y a un risque d’hémorragie notamment au-delà de 12 semaines de grossesse. En effet, le risque d’hémorragie, de douleur et les complications augmentent proportionnellement avec la durée de la grossesse. De plus, ces femmes prennent généralement un dosage important du médicament pour être sûres de provoquer la fausse couche. Et quand Misoprostol ne peut pas être délivré sans ordonnance, elles se dirigent vers ses dérivés : Cytotec, Cyprostol et/ou Mosotrol qui sont des noms commerciaux pour Misoprostol. Un peu comme le Doliprane et le paracétamol. Arthrotec et Oxaprost contiennent également du Misoprostol et un antidouleur appelé Diclofenac. Il est utilisé pour les douleurs dans les articulations ou l’arthrite.Après avoir provoqué l’interruption de grossesse, elles se rendent à l’hôpital en disant avoir eu une fausse-couche spontanée puisque le médecin ne peut pas voir la différence.

Infanticides, abandons...

Certaines n'ont pas le courage d'avorter ou alors s'y prennent trop tard, car au-delà de 4 mois de grossesse, cela n'est plus possible au risque d'attenter à sa vie. Pour ne pas avoir à subir le regard de la société, certaines mères abandonnent ou tuent ces nouveau-nés. En effet, ces «enfants du pêché» comme on les appelle, sans qu'ils n'y soient pour rien, sont stigmatisés non seulement socialement, mais juridiquement également. À commencer par la liste des prénoms qu’on impose aux mères célibataires lors de l’inscription de leurs enfants au registre de l’état civil.

Ce qu’on inflige à ces dernières n’est pas moins clément, elles n’ont pas d’autorité parentale sur leurs enfants et sont sujettes à toutes sortes de maltraitance, d’exclusion sociale et de pression psychologique.Selon l'étude, «Le Maroc des mères célibataires» de l'association Insaf, 153 bébés naissent hors mariage chaque jour, 24 d'entre eux sont abandonnés et quelques-uns avaient même été retrouvés dans des poubelles». 

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