08 Mai 2014 À 16:16
Le Matin : Le Morocco Oil & Gas Summit a clôturé ses travaux hier à Marrakech. Les organisateurs affirment que c'est l’un des événements les plus réussis qu’ils aient jamais organisés. Une preuve que les entreprises d’exploration pétrolières s’intéressent davantage au marché marocain. Comment le Maroc a-t-il pu se faire une place sur la carte des destinations d’exploration émergentes ?Amina Benkhadra : Le Morocco Oil & Gas Summit est un événement très important pour améliorer l’attractivité du Maroc auprès des entreprises d’exploration pétrolière. Ces dernières années ont connu un certain engouement, mais qui reste en deçà du potentiel offert par le Maroc. Je dirais que tout a commencé en 2000. Cette année a marqué un tournant dans l’exploration pétrolière et gazière au Maroc. Un nouveau Code de l’investissement pétrolier a été mis en place avec des conditions très attractives pour l’acte d’exploration pétrolière. Ce code inclut toutes les exonérations de droits de douane, de TVA, de paiement d’impôt en cas d’exploitation, ceci sans parler de la possibilité pour le partenaire de détenir des parts allant jusqu’à 75% et 25% pour l’État marocain. À cette époque, le pays comptait moins d’une dizaine de sociétés d’exploration. De ce fait, grâce au Code des hydrocarbures, une volonté et une stratégie visant le développement et l’intensification des travaux, une promotion agressive de l’Onhym, mettant en avant notamment la géologie et les bassins sédimentaires qui sont étendus, nous avons pu assister à une progression notable des compagnies internationales désireuses de prospecter au Maroc. Qu’en est-il du développement des techniques déployées et des investissements consentis durant cette dernière décennie ?De 2000 à 2012, le Maroc a pu développer une certaine expertise. Nous avons connu pour la première fois l’utilisation de la sismique 3D. C'était en 2005 et c’était une première dans l’histoire de l’exploration pétrolière de notre pays, car la sismique 3D est un outil assez sophistiqué qui donne des informations de qualité essentielles pour les croiser avec les données antérieures ou la sismique 2D. Durant cette période, nous avons aussi connu les premiers puits offshore, précisément en 2004 et 2005 par les sociétés américaines Vanco, Shell et le malaisien Petronas. En termes d’attractivité, le Royaume a bénéficié d’une croissance continue en nombre d’entreprises jusqu'à arriver à 34 aujourd’hui.
Est-ce que les investissements ont suivi ? Tout à fait. La moyenne des investissements sur la période 2000-2012 tournait autour de 600 millions à 1,2 milliard de dirhams. Vous savez, l’exploration dure dans le temps et les entreprises doivent mener plusieurs phases avant une éventuelle découverte. Ainsi, dès qu’elles se sont installées au Maroc, elles ont consenti des montants conséquents que ce soit pour les études relatives à la géologie, à la sismique 2D ou la 3D. Leurs investissements augmentent quand elles arrivent à l’étape du forage. Les forages offshore coûtent très cher. D’ailleurs, certains forages prévus cette année coûteront 100 à 120 millions de dollars le forage. Ceci dit, les deux dernières années ont connu un record. Avec l’accroissement du nombre de forages, l’année 2013 a été marquée par des investissements de 2,4 milliards de DH. Pour l’année en cours, nous prévoyons 5 milliards de dirhams d’investissements de la part de nos partenaires.
Combien représentent les investissements cumulés de l’Onhym sur cette période ? Globalement, nous ne dépassons pas les 50 ou 60 millions de dirhams par an. Exceptionnellement, nous avons pu atteindre 130 millions lorsque nous avons fait de la sismique et foré un puits à Meskala en 2011. À souligner qu’environ 90% de l’effort d’investissement annuel est consenti par les investisseurs étrangers et nos partenaires, le reste est fourni par l’Onhym. S'agissant de Meskala, comment avance le projet d’extension de ce gisement gazier ?Meskala est une région qui produit depuis les années 1970 et 1980. Pour l’instant, nous avons effectué une sismique 3D et les études sont en cours pour évaluer ce bassin productif. Ces interprétations de sismique 3D sont très importantes, mais je peux vous dire que les indications dont nous disposons démontrent un réel potentiel dans la région. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons foré en 2012 un nouveau puits qui a donné du gaz, mais qui est encore en phase d’évaluation. Il y a encore des problèmes avec des pressions de gaz très élevées.
La compagnie suédoise d’exploration pétrolière Svenska Petroleum, présente notamment en Guinée Équatoriale, serait intéressée par le Maroc. Avez-vous abordé le sujet lors des travaux du Morocco Oil & Gas Summit ? Effectivement, j’ai rencontré des responsables de Svenska. Ce fut une rencontre brève, mais je n’ai pas eu des discussions avec eux pour d’éventuels investissements au Maroc. Au niveau de l’Onhym, nous sommes ouverts à tout rapprochement avec des entreprises d’exploration qui expriment un intérêt pour le Maroc, pourvu qu’elles disposent de moyens de financement et des capacités techniques pour mener leurs projets. Il se dit que le géant américain ConocoPhillips serait intéressé par un retour au Maroc. Pourquoi d'abord l'avait-il quitté ? Je n’ai pas d’informations sur ce sujet. En tout cas, s’ils veulent revenir, ils sont les bienvenus. Pour rappel, le groupe était présent chez nous et aussi en Espagne. Il entamait des études sismiques 2D quand il a dû interrompre ses travaux à cause d’une réorganisation au niveau du groupe aux États-Unis suite à une fusion. Le géant pétrolier Chevron s’est installé au Maroc en 2012. British Petroleum lui a emboité le pas un an après. Quelle est la symbolique de cet intérêt soudain des majors de l’industrie pétrolière pour le marché marocain ? Est-ce qu’on devrait s’attendre à un éventuel effet d’entrainement ?Dans un domaine assez complexe et où les évolutions technologiques étaient assez limitées concernant l’offshore profond, les compagnies pétrolières ne se risquaient pas à investir dans une région où aucune découverte majeure n’avait été faite à l’instar du Maroc. Aujourd’hui, la donne a changé et les techniques sont devenues plus propices, puisque les résultats dans l’offshore profond notamment dans certaines zones comme l’Afrique de l’Ouest ou l’Asie de l’Est – du côté de l’Inde – se sont révélés très probants. Comme vous le savez, l’offshore profond est devenu important dans le portefeuille des opérateurs pétroliers, en particulier les majors. Ces derniers cherchent actuellement des zones où il existe des bassins sédimentaires présentant un potentiel et où ils peuvent élargir leur champ d’exploration pour chercher de nouvelles ressources. Le Maroc s’inscrit parfaitement dans cette dynamique. C’est une zone où il y a des bassins sédimentaires avec d'éventuels systèmes pétroliers.
Sur les 34 compagnies présentes au Maroc, les majors se comptent sur le bout des doigts. On sent que vous avez mis le paquet sur les petites entreprises, réputées pour leurs annonces trop optimistes. La plupart d'entre elles seraient surtout motivées par les avantages du Code des hydrocarbures...Il faut tout d’abord saisir les mécanismes de ce marché et son fonctionnement. Le secteur est composé de trois types de sociétés. Il y a les majors qui sont moins d’une dizaine dans le monde, les grands indépendants comme Repsol ou Kosmos qui sont de grande taille et les juniors. Ces derniers sont plus petits, mais s’avèrent fondamentaux pour le secteur. On peut les surnommer les têtes chercheuses, car elles investissent significativement en prenant plus de risques que les majors ou les indépendants. Pour cela, ces entreprises juniors doivent lever des fonds sur les bourses, d’où la nécessité d’informer très régulièrement. Ainsi, dès que ces juniors annoncent une information même préliminaire, leur action en bourse est valorisée, ce qui leur permet de lever plus de fonds et donc de mener d’autres travaux créant un effet boule de neige. Ensuite, ces entreprises peuvent être rachetées par des groupes de plus grande taille. C’est une tradition dans le secteur. C'est une pratique même très courante dans le monde anglo-saxon. Quoi qu’il en soit, au Maroc nous avons des majors, des indépendants comme Repsol et Kosmos, et nous comptons plus d’une dizaine de juniors. Cette proportion nous place dans la norme mondiale. Au-delà de ces appréciations, notre principal et ultime défi est d’accélérer le rythme des investissements au Maroc et de maintenir l’intérêt affiché pour notre pays. Vous savez, même si une entreprise décide de se retirer du Maroc, elle laisse des données géo-scientifiques de qualité qui vont permettre de mieux interpréter certaines zones. Pour le Code des hydrocarbures, je peux vous dire qu’il est très attractif et donne un rendement intéressant en cas de découverte. De ce fait, les entreprises vont investir malgré les risques qu’elles pourraient courir. Et je pense qu’il fallait absolument mettre en place des conditions pour intéresser les opérateurs et les faire venir pour investir massivement au Maroc. Ne jugez-vous pas que la part de 25% revenant à l’État marocain reste maigre, d’autres pays exigeant même plus de 60% de parts ? Je rappelle que nous avions une part de 51% dans l’ancien code. Résultat : les entreprises ne se bousculaient pas tellement au portillon. Il faut savoir que le pays est encore une zone frontière ; il y a certes des bassins, mais ces entreprises avaient des possibilités meilleures dans d’autres pays. C’est un contexte qui a poussé les pouvoirs publics à mettre en place des conditions qui allaient être suffisamment attractives pour attirer plus d’opérateurs internationaux.
L’exploration des eaux profondes entre les Iles Canaries et le Maroc par Repsol a fait des remous du côté canarien sous prétexte que les travaux présentaient un risque pour le secteur touristique de ces îles. Avez-vous reçu des requêtes dans ce sens et quelle a été la réaction de l’Onhym ? Nous n’avons eu aucun échange avec les autorités des Iles Canaries sur ce sujet. J’estime que chaque pays est libre de prendre les positions qu’il juge utiles tout en restant souverain dans ses décisions. Vous savez, il existe énormément de régions dans le monde où il y a des explorations pétrolières pas loin des zones touristiques. Nos partenaires travaillent en respectant les normes HSE les plus strictes et les meilleures au niveau international. Les travaux d’exploration de nos partenaires font l’objet de contrôle, de suivi et d’études d’impact sur l’environnement. Ces études sont réalisées au préalable même pour les campagnes sismiques ou pour le forage, moyennant les critères des partenaires qui sont plus stricts que les nôtres. Je pense que le gouvernement des Iles Canaries est libre de ses choix, et de notre côté nous continuons de travailler d’une manière souveraine. Quant à Repsol, la compagnie va sûrement un jour ou l’autre finir par forer dans cette zone vu que le groupe est très intéressé par le potentiel y existant.
Pour les hydrocarbures non conventionnels, le Maroc dispose d’une réserve de 50 milliards de barils en schistes bitumineux, ce qui le placerait au 6e rang mondial en cas de production. Pourquoi cette ressource n'est-elle toujours pas exploitée ? Le grand défi pour ce segment demeure technologique. La ressource existe bel et bien et a été définie par des sondages miniers. Mais je rappelle que les schistes bitumineux sont une matière organique qui est restée coincée dans une roche-mère très dure, donc très difficilement extractible. Aujourd’hui, il n'existe pas véritablement de procédé à l’échelle industrielle qui produise cette ressource. Il n’y a que des tests, des procédés pilotes et des procédés semi-industriels. L’Estonie, à titre d’exemple, exploite ce schiste et le brûle notamment dans des centrales thermiques comme du charbon. Ainsi, au niveau de l’Onhym nous avons relancé la recherche sur cette substance en signant des accords avec 2 ou 3 sociétés qui vont tester leurs propres procédés, dont celui utilisé en Estonie. Nous devrons ensuite interpréter les résultats pour savoir s’il serait possible de produire de l’huile ou du gaz. Vous savez, c’est un dossier qui exige une veille technologique très poussée en termes de procédés. Nous avions d’ailleurs noué un accord avec le groupe Shell. Entre 2006 et 2007, ce groupe avait foré autour des zones où il y a du schiste, tout en envoyant de la chaleur pour essayer de simuler les conditions pour la maturation de cette matière organique. Du jour au lendemain, le groupe a interrompu ses travaux, car il a été confronté à de grosses difficultés techniques et technologiques.
À quoi est dû le divorce avec Shell sur les schistes bitumineux ? Nous n’avons pas eu de désaccord avec Shell. Le groupe a travaillé sur différentes zones, puis il a décidé de réduire ses efforts d’investissement sur les schistes au niveau international. C'est donc une décision stratégique du groupe qui dépassait le cas du Maroc. La couche pétrolifère s'étend du Moyen-Orient jusqu’en Algérie, elle ne peut pas s'être arrêtée au Maroc. Les gisements seraient donc conséquents ?La couche pétrolifère n’a pas freiné au Maroc. En effet, quand on s’attarde sur les cartes géologiques, on constate que les bassins sédimentaires venant du Moyen-Orient ont une certaine continuité et stabilité. Au Maroc, il y a eu le mouvement alpin avec les montagnes du Rif et l’émergence de l’Atlas qui ont perturbé cette continuité. Ce mouvement a poussé cette couche vers l’océan et vers le Sud. En fait, quand on a découvert du pétrole au Nord dans les années 1950, nous n’avons trouvé que de petits gisements. Nous avions une petite raffinerie à Sidi Kacem qui exploitait l’huile de Aïn Hrcha et les régions de Fès, après on a extrait le gaz du Gharb et d’Essaouira, mais il s'agit de gisements moyens, pas comme les grands gisements de Hassi Rml à titre d’exemple. Ceci dit, en offshore et au sud d’Agadir, le champ est ouvert à des gisements plus importants en termes de volume et de taille.