Fête du Trône 2006

«L’Espagne et le Maroc sont engagés à promouvoir la coopération triangulaire en direction des pays de l’Afrique subsaharienne»

Les relations entre le Maroc et l’Espagne sont des relations d’État, qui dépassent le moment politique dans l’un ou l’autre pays et qui réunissent les deux parties dans une association stratégique de longue portée largement partagée. C’est dans ces termes que le secrétaire d’État espagnol aux Affaires étrangères qualifie les liens unissant Rabat et Madrid. Sur le plan économique, le numéro 2 de la diplomatie espagnole reste optimiste quant à l’avenir des relations entre les deux pays. D’autant que plus de 20 000 entreprises espagnoles entretiennent des rapports avec le Maroc, soit à travers des échanges commerciaux ou par le biais d’investissements. «En 2012 et 2013, nous avons été le premier partenaire commercial du Maroc et nous continuons à maintenir une position en tant que partenaire de référence, avec un volume d’échanges autour de 10 milliards d’euros annuels», souligne le haut responsable espagnol.

Gonzalo de Benito, secrétaire d’État espagnol aux Affaires étrangères

08 Avril 2014 À 16:28

Le Matin : Nous assistons à une dynamique continue et de plus en plus profonde dans les relations maroco-espagnoles. À votre avis, quels sont les facteurs clés de ce succès ?Gonzalo de Benito : Les relations entre l’Espagne et le Maroc passent par un moment excellent, fruit de la conviction partagée par nos deux pays que nous devons renforcer l’association stratégique, en resserrant les liens bilatéraux dans un cadre de confiance et de bon voisinage. Cette conviction est réellement partagée de façon générale, en commençant par les maisons royales, qui entretiennent une relation très spéciale, jusqu’à chacun des niveaux de l’administration. Le principal reflet de cette entente est la célébration des Réunions de haut niveau dans lesquelles, de façon constante et périodique, les deux gouvernements se retrouvent pour promouvoir tous les domaines de la coopération bilatérale et du dialogue politique. Ce dialogue s’est étendu récemment à la sphère parlementaire avec l’établissement il y a deux ans des nouveaux Forums parlementaires bilatéraux. Dans ce sens, nous soutiendrons et nous encouragerons toute initiative qui contribue à une meilleure connaissance mutuelle de nos sociétés. Il faut souligner que notre association stratégique se nourrit d’un ensemble de liens historiques, humains, économiques et culturels extrêmement denses et profonds. Ceux-ci seraient, à notre avis, les deux facteurs clés du renforcement des relations hispano-marocaines : une claire volonté politique partagée et l’existence de liens sociaux et économiques intenses.La relation entre le Maroc et l’Espagne est en définitive une relation d’État, qui dépasse le moment politique dans l’un ou l’autre pays et qui réunit les deux parties dans une association stratégique de longue portée largement partagée.

S'il est vrai que la relation politique est sous le signe de l'entente, sur le plan des échanges économiques il reste encore d'énormes potentialités sur lesquelles nos deux pays peuvent encore capitaliser. Comment peut-on faire encore plus et mieux, et sous quelles conditions ?Les relations économiques sont en train d’enregistrer une énorme croissance. Plus de 20 000 entreprises espagnoles sont en affaires avec le Maroc, soit à travers des échanges commerciaux ou par le biais d’investissements. En 2012 et 2013, nous avons été le premier partenaire commercial du Maroc et nous continuons à maintenir une position en tant que partenaire de référence, avec un volume d’échanges autour de 10 milliards d’euros annuels. Toutefois, il reste certainement plus de marge pour développer le potentiel de nos relations. L’Espagne compte des entreprises de pointe au niveau international dans plusieurs secteurs qui pourraient contribuer au développement du Maroc, comme celui des infrastructures du transport, de l’énergie, ou de l’eau et l’assainissement. La diplomatie économique est une priorité du gouvernement espagnol, et implique de générer des opportunités pour les entreprises des deux côtés du Détroit, en facilitant le contact ou en promouvant une meilleure information. Un bon exemple de ce travail est le Forum économique de la Méditerranée occidentale, dont la première édition a eu lieu à Barcelone en octobre dernier, et qui a pour but d’améliorer la coopération économique dans les pays du Dialogue 5 + 5. Mise à part la diplomatie économique, et afin d’intensifier les relations économiques, il faut sans doute mentionner le renforcement du cadre juridique qui lie le Maroc avec l’Union européenne ainsi que l’ajustement de la réglementation comme instrument pour accroitre la sécurité juridique des investisseurs, question dans laquelle les autorités marocaines sont très impliquées.

Quels seraient, selon vous, les moyens à même de donner une grande impulsion du côté de nos secteurs privés et quels devront être les mécanismes à mettre en place ? Quels seraient les domaines porteurs pour nos économies ?Comme je le disais, il existe plusieurs façons d’intensifier les relations bilatérales. À part le cadre juridique interne marocain et les accords avec l’Espagne et l’Union européenne, il est fondamental qu’il existe de plus en plus de contacts au niveau entrepreneurial entre les deux pays. Le gouvernement d’Espagne a approuvé un Plan intégral de développement du marché (PIDM) qui établit les instruments pour faciliter le chemin des entreprises espagnoles au Maroc. En juillet 2013, à l’occasion de la visite de S.M. le Roi Juan Carlos Ier au Maroc, la Confédération espagnole d’organisations d’entrepreneurs a signé un accord destiné à encourager les relations économiques bilatérales avec le patronat marocain, la CGEM. En vertu de cet accord, un Conseil économique Maroc-Espagne est créé. Ce Conseil a pour mission d’intensifier le contact entre les patronats et de promouvoir les échanges, en mettant l’accent sur les PME. Ce sont là deux exemples de l’importance du Maroc pour l’Espagne.En ces temps difficiles sur le plan économique international, il faut redoubler d’efforts et être particulièrement créatifs pour faire de la crise une opportunité, en unissant les forces et en créant des synergies. Comme je le disais, les secteurs d’intérêt commun sont nombreux : l’agro-industrie, l’énergie, les infrastructures de transport, le textile, l’automobile, l’environnement ou l’eau et l’assainissement. Tous ces secteurs économiques offrent des opportunités pour un bénéfice mutuel.

S.M. Le Roi a prononcé le 24 février 2014 à Abidjan un discours qualifié de fondateur, sur la coopération Sud-Sud et sur le modèle de développement du continent africain, dans ses relations avec les pays développés. Pouvez-vous nous préciser l’approche de l’Espagne dans ce domaine ?Le gouvernement d’Espagne soutient aussi pleinement l’idée de la coopération Sud-Sud, qui est présente dans les derniers Plans directeurs de la coopération espagnole que nous avons approuvés. Lors de la dernière Réunion de haut niveau, l’Espagne et le Maroc se sont engagés à promouvoir des activités de coopération triangulaire en direction des pays de l’Afrique subsaharienne, spécialement dans les domaines de la protection de l’environnement, la sécurité alimentaire, l’amélioration du rendement agricole, l’irrigation et le renforcement des capacités. En plus de la coopération pour le développement proprement dite, il est nécessaire que les flux économiques entre les deux pays augmentent.L’accroissement du commerce intra-africain, par exemple, offre de magnifiques opportunités de croissance. Pour que cela ait lieu, l’Espagne, prenant comme exemple le succès de l’intégration européenne, a soutenu l’intégration régionale dans différentes parties de l’Afrique, comme elle l’a également fait en Amérique latine. C’est le cas de l’Union du Maghreb arabe, que nous avons soutenue depuis sa création, ou de la Communauté économique des États de l’Afrique occidentale (CEDEAO), avec lesquels nous développons d’importants programmes de coopération, par exemple dans les secteurs de la sécurité alimentaire et des énergies renouvelables. Le coût de la non-intégration économique est élevé ; il y a des études qui estiment le coût annuel pour l’UMA entre 3 et 9 milliards d’euros. Seuls 3% du commerce total de ses pays est intramaghrébin, face à plus de 60% dans l’UE. Mais ce n’est pas seulement à travers des traités ou la levée des droits de douane que l’accroissement du commerce entre les pays du Sud sera encouragé : il faut, entre autres, des infrastructures et un développement industriel. L’Espagne est, donc, un défenseur ferme de la nécessité que les pays du Sud intensifient leurs relations de coopération, soit dans les domaines économique et politique, ou pour faire face aux conflits régionaux.

Récemment, le Maroc et l'UE sont finalement parvenus à un accord de pêche. Quelle appréciation en faites-vous ? Dans le même ordre d‘idées, l’opinion marocaine ne comprend pas l’approche incohérente de l’Espagne en ce qui concerne l’accord de libre-échange conclu entre le Maroc et l’UE. D’un côté, vous avez fortement défendu l’Accord de pêche, au moment où des produits marocains rencontrent une opposition espagnole pour accéder au marché européen. Quelle est la position de l’Espagne dans ce dossier ?L’Espagne a accompagné et soutenu le Maroc dans son option stratégique de renforcer ses liens avec l’UE. Nous incitons au sein de l’UE à la concession du Statut avancé au Maroc et pendant notre présidence, un Sommet UE-Maroc a eu lieu à Granada en 2010, unique célébration à ce jour avec un pays voisin de l’UE. Le gouvernement d’Espagne a salué la signature de l’Accord de pêche UE-Maroc, que nous soutenons activement tant à travers notre position au Conseil de l’UE que dans nos contacts avec la Commission et le Parlement européens. Cet Accord est très important pour les relations UE-Maroc, et est mutuellement avantageux. En ce qui concerne l’exportation par le Maroc de certains produits sur le marché communautaire, particulièrement les produits agricoles, il est autant de l’intérêt du Maroc que de celui de l’UE que les quotas commerciaux soient réglés de façon adéquate et que les conditions phytosanitaires dudit commerce s’harmonisent. Pour contribuer à atteindre ces intérêts communs, il existe une coopération bilatérale fluide, à travers les différents comités techniques qui fonctionnent de manière satisfaisante pour les deux parties.

Le Maroc, sur instructions de Sa Majesté le Roi, a mis en place une nouvelle politique migratoire. Quelle est votre appréciation du rôle joué par le Maroc en matière de lutte contre l’immigration irrégulière et quel appui peut apporter l’Espagne pour l’y aider, surtout en regard de l’afflux massif de réfugiés syriens et de Subsahariens d’Afrique ?Le Maroc est un partenaire fiable et efficace de l’Espagne en questions migratoires. La nouvelle politique migratoire du Maroc aspire à être un exemple de bonne gestion des flux migratoires, ainsi que pour répondre aux nouvelles réalités qui ont fait de lui un pays de destination de la migration, et, pour l’Espagne, cette nouvelle politique signifie une opportunité pour renforcer la coopération migratoire avec le Maroc et lui donner de nouveaux contenus, ainsi que pour resserrer encore plus les relations entre le Maroc et l’UE dans tous les domaines. Le Maroc est un pays clé pour l’Espagne et toute l’UE en matière de lutte contre l’immigration irrégulière, sans oublier les autres flux migratoires qui prennent de plus en plus d’importance au fur et à mesure que les relations économiques et de tout type entre l’Espagne et le Maroc se font plus denses. L’Espagne et le Maroc ont été pionniers dans l’application d’une vision intégrale du processus migratoire en mettant en marche le Processus de Rabat, qui réunit la lutte contre l’immigration irrégulière, la réglementation de la migration légale et la coopération au développement. L’Espagne apporte son appui sans faille à cette nouvelle politique, aussi bien au niveau bilatéral que dans le cadre de l’Union européenne.

La nouvelle politique migratoire mise en place par le Maroc peut-elle constituer un modèle en la matière pour les pays de la Rive-Sud de la Méditerranée ?Sans aucun doute. Avec le lancement de sa nouvelle politique migratoire, le Maroc s’est converti en un pays pionnier en Afrique en matière de gestion migratoire. Avec cela, le Maroc ne fait qu’assumer les nouvelles réalités économiques, politiques et démographiques qui sont en train d’émerger sur le continent et qui convertissent la migration intra-africaine, dépassant déjà en nombre celle dirigée vers l’Europe, en un défi qui apparaît de plus en plus clairement proche des flux traditionnels de migration économique sud-nord. Pour l’Espagne, qui est disposée à accompagner le Maroc dans le développement de cette nouvelle politique, il serait souhaitable que d’autres pays de la région adoptent ce modèle, même si nous reconnaissons que cela dépendra en grande partie du différent grade de maturité en matière de coopération migratoire et des circonstances internes propres à chaque pays. Quel que soit le cas, nous pensons que le Maroc doit jouer un rôle de pionnier pour faire de ce souhait une réalité.

La région sahélo-saharienne connaît de nombreux défis sécuritaires, avec la montée des périls et des trafics en tous genres, la traite des êtres humains, les menaces terroristes… quel rôle y voyez-vous pour un pays comme le Maroc et comment Rabat et Madrid pourraient-ils unir leurs efforts pour y faire face ?Actuellement, le Sahel est effectivement une région clé en ce qui concerne la sécurité tant au Maghreb qu’en Europe. La crise du Mali a été un exemple qui illustre comment un pays tout entier peut être déstabilisé en raison, en grande partie, du terrorisme et des flux illicites d’armes et de drogues. De par sa proximité, le Maroc peut contribuer de manière significative à la solution des problèmes de sécurité régionaux. La diplomatie active entreprise dans ce domaine, comme l’organisation d’une réunion sur les frontières au Sahel (et particulièrement la frontière libyenne) en novembre 2013 à Rabat, où j’ai représenté le gouvernement d’Espagne, est considérée sans doute comme une bonne initiative. La sensibilisation à ce problème qui nous affecte tous est un premier pas pour y faire face. Quant aux possibilités de coopération, elles sont nombreuses. La collaboration entre l’Espagne et le Maroc, dans la lutte contre la délinquance organisée et contre le terrorisme, est excellente, et nous aimerions voir une collaboration de plus en plus intense entre les pays de la région. Partager plus d’information serait sans doute une très bonne façon d’optimiser les perspectives de solution à ces problèmes complexes et multidimensionnels. D’autres exemples de coopération dans ce domaine sont les missions européennes EUTM Mali (European Union Training Mission in Mali), de formation des forces armées maliennes et EUCAP (European Conference on Antennas and Propagation) Sahel, qui cherche à créer des capacités pour la lutte contre le terrorisme et le crime organisé dans la région – l’Espagne participe de façon remarquable aux deux – ou les efforts du Maroc dans la prévention du radicalisme.

Le sujet des visas d’entrée des Marocains en Espagne revient toujours sur la table. Est-il prévu des assouplissements pour en faciliter l’obtention, à l’instar de la récente initiative française qui a automatisé l’octroi de visas d’un an au moins, à tout Marocain titulaire d’un diplôme français équivalent au Master ou plus ?Nous sommes en train de faire des efforts en la matière, et nous avançons à bon rythme. L’Espagne a signé avec le Maroc, le 3 octobre 2012, à l’occasion de la Réunion de haut niveau célébrée à Rabat, un Mémorandum d‘entente sur la facilitation d’expédition de visas à travers lequel la procédure de visas a été simplifiée. C’est un excellent mécanisme pour faciliter les démarches de concession de visas. De ce fait, les visas de tourisme pour l’espace Schengen octroyés l’année dernière ont enregistré une légère augmentation jusqu’à atteindre 122 000. De plus, dans une nouvelle initiative pour faciliter davantage cette procédure, la Commission de l’UE compte commencer à négocier un Accord de facilitation de visas entre le Maroc et l’UE qui, une fois signé, supposera une diminution des taxes et la réduction des délais pour résoudre les dossiers. L’Espagne est pleinement en faveur de conclure cet accord.

Nous constatons une absence d’initiatives espagnoles en matière de manifestations culturelles grandioses en Espagne, mettant en avant le Maroc, pour rapprocher les deux cultures, faire découvrir au peuple espagnol les avancées faites par le Maroc et effacer les vieux clichés sur notre pays, à la différence de la France qui multiplie ce genre de manifestations, comme l’Année du Maroc que s’apprête à célébrer l’IMA (Institut du monde arabe) sur plusieurs mois en 2014. Nous savons qu’il y a des programmes similaires de l’Espagne avec des pays d’Amérique latine. Qu'est-ce qui empêche de telles initiatives pour le Maroc ?Le gouvernement espagnol réalise d’importants efforts pour accroître la connaissance mutuelle entre les sociétés espagnole et marocaine. Nous disposons de plusieurs outils pour cela, notre Bureau culturel de l‘ambassade d’Espagne à Rabat en est un exemple. Ce dernier fournit un travail important de promotion culturelle. Le réseau d’écoles et de centres éducatifs espagnols au Maroc est le plus étendu de ceux dont nous disposons à l’extérieur. L’Institut Cervantès, pour sa part, compte au Maroc son deuxième déploiement le plus important, seul le Brésil le dépasse. Avec ses six Centres au Maroc, il tient à promouvoir l’apprentissage de l’espagnol et la connaissance de notre culture. La Fondation Trois Cultures est une initiative marocaine et andalouse qui mène des recherches sur les liens historiques entre la Péninsule et l’Afrique du Nord. Je veux signaler tout particulièrement le travail de «Casa Árabe» (Maison arabe), institution de diplomatie publique associée au ministère des Affaires étrangères et de la coopération qui a vu le jour avec l’idée de promouvoir, au sein de la société espagnole, la connaissance du monde arabe, et forcément de la culture marocaine. En plus de ces initiatives, il faudrait en mentionner d’autres développées par exemple par des universités, des fondations ou des musées, et qui traduisent le vif intérêt qui existe en Espagne pour le Maroc, sa culture et ses gens et pour soutenir toute initiative du gouvernement marocain pour promouvoir sa culture à l’extérieur.

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