Spécial Marche verte

«La langue des SMS ne pourra pas supplanter celle de Molière»

La Journée internationale de la francophonie a été célébrée le 20 mars. Occasion pour braquer les projecteurs sur une pratique de plus en plus en plus prisée par les jeunes : «le langage codé». Beaucoup d’entre eux utilisent des signes ou des raccourcis pour communiquer avec leurs proches et amis notamment dans les réseaux sociaux. Ces jeunes ne risquent-ils pas de perdre leur niveau de français dans le long terme ? La langue française risque-t-elle de perdre sa valeur ? Quelles solutions pour éviter ce risque ? Éclairage avec Hafida Mderssi, responsable de la filière les Études françaises à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Mohammed V-Souissi de Rabat.

Hafida Mderssi.

21 Mars 2014 À 16:11

Le Matin : On constate que, de plus en plus, les jeunes utilisent un langage assez déformé sur les réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter. Que vous inspire ce nouveau mode de communication ?Hafida Mderssi : L’histoire et l’expérience nous a montré que toute invention amène des changements à tous les niveaux : familial, social, économique, personnel, langagier… L’apparition de l’antenne parabolique, par exemple a conduit à des changements tels que l'apparition de la famille éclatée : chaque membre se trouve seul dans sa chambre, absorbé par la chaine de TV qu’il a choisie ; il acquiert de nouvelles habitudes transmises par les séries ou les émissions diffusées et rediffusées plusieurs fois visant à bombarder le subconscient du téléspectateur. Concernant le langage déformé, on peut le mettre sur le compte de la communication qui tolère des signes, des bouts de mots ou de phrases. Donc, on ne pourrait pas mettre ce langage du côté «Langue», car la langue est définie comme un système de signes régi par des règles morphologiques, syntaxiques, sémantiques…

À force de commettre délibérément ces erreurs de langue, ces jeunes ne risquent-ils pas de perdre leur niveau linguistique ?On ne peut pas parler de niveau de langue dans le code personnel de chaque utilisateur. Je crois que les jeunes qui s’introduisent dans le mode virtuel se libèrent de tous les poids : linguistiques, institutionnels, etc. Une langue proprement dite ne représente plus rien pour eux, car son acquisition est sujette à un système de règles qu’ils rejettent sans regret.

Quelles alternatives suggérez-vous pour éviter ce risque ?Je ne voudrais pas dire que ce phénomène pourrait devenir incontrôlable comme celui de la cigarette ou de la drogue. Mais, il y a toujours des solutions comme les campagnes de sensibilisations, la mise en place d’un système rigoureux aux niveaux scolaire, académique et professionnel, à travers les examens et les concours. Tout peut être redressé.

Avec ce nouveau jargon linguistique, la langue française risque-t-elle de perdre de sa valeur ?Une langue bâtie sur des règles rigoureuses ne pourrait en aucun cas perdre de sa valeur. Même les langues dites mortes restent toujours en vigueur et deviennent des langues d’élite, inaccessibles pour les gens ordinaires. Ce qui les valorise davantage. La langue des SMS ne pourra pas supplanter la langue de Molière comme la fusée, l’avion et le TGV n’ont pas empêché la charrette, tirée par des chevaux ou des ânes, de résister jusqu’à maintenant. 

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