22 Février 2014 À 15:30
Le Matin : Vous peignez souvent des scènes ou des personnages de rue, y a-t-il des choses qui vous ont marqué au Maroc et dont vous allez vous inspirer pour vos prochaines œuvres ?Jef Aérosol : En venant ici, l’intérêt c’était que j’amène un survol de mon bagage iconographique avec moi, ce qui explique qu’on va retrouver des images qui ne sont pas marocaines. Même si on s’inspire du pays dans lequel on va, il va de soi qu’on ne peut pas comparer les fantasmes qu’on a eus avant sur le pays ou les images qu’on s’est fabriquées à partir de lectures, de films, à la réalité. Ma prochaine exposition au Maroc sera différente et beaucoup plus nourrie de ce que j’ai vu ici. Je fais plein de photos, j’observe beaucoup, j’adore les noms de rue (place des Belges, rue l’Avenir…), j’ai adoré les quartiers périphériques à la grande Mosquée Hassan II. J’ai été marqué par les petits coiffeurs, les prothésistes dentaires… Je tombe forcément dans le piège de la carte postale, je ne suis pas contre les clichés qui sont trop souvent perçus comme négatifs. Je pense qu’ils sont à prendre de façon positive, ce qui passe les frontières et ce qui appartient à l’imaginaire collectif ne vient pas de nulle part. Paris, la Tour Eiffel, l’Arc de Triomphe, ça existe, Venise et ses gondoles aussi. Je pense qu’un monde sans ses clichés, sans ses cartes postales est un monde où il n’y aura que des McDonald, des Zara et des H&M et ce n’est pas ce que je souhaite.
Est-ce qu’on peut peindre dans la rue sans être illégal et sans cet esprit de revendication et de rébellion souvent invoqué par l’art urbain ?L’art ne doit jamais être légal, car sinon ce serait de la propagande au service d’un pouvoir. En même temps l’art ne devrait jamais être vandale, car vandaliser c’est détruire volontairement, soit le bien privé soit le bien public et le bien public c’est le nôtre. Il y a plus simple que de revendiquer des choses en détruisant. Moi, ce qui m’intéresse dans l’art c’est de créer une émotion, car la plupart du temps c’est ça qui nous donne envie de nous remettre en question, pas la violence. Par la force on assujettit, mais on ne fait pas changer d’idées.
Quel est l’intérêt pour vous de peindre dans la rue ?Je trouve que l’art de la rue c’est l’art libre, gratuit pour ceux qui le regardent, mais il y a des gens qui ont monté tout l’inverse autour de ça. Les gens veulent détruire des dogmes et finalement, ils en reconstruisent d’autres. Certains trouvent honteux que j’expose dans les galeries, mais je fais mon métier. Je vends des toiles et c’est normal. Mon musicien préféré, s’il joue dans la rue, mais qu’un jour je le vois sur l’affiche de l’Olympia et que je trouve ses disques dans les bacs, je serais super content pour lui. Je fais des expos, je vends mes toiles, mais je continue de faire des choses gratuitement dans la rue pour les passants, je trouve que c’est un bon compromis.
Vous peignez beaucoup de portraits de célébrités, Woody Allen, Kate Moss et Pete Doherty, Aretha Franklin…, pourquoi ce choix ? Ce que je fais avec les portraits de célébrités me rappelle un peu l’époque où j’épinglais leurs posters dans ma chambre. Je ne me suis jamais remis de cette période incroyable que furent les années 70. J’avais 10 ans en 1967, 20 ans en 1977, cette période-là fut incroyable, il y a une force esthétique. Moi je suis très attaché à la force esthétique que dégagent les gens. Je peux être ému au point d’avoir la chair de poule, si je croise quelqu’un avec des gestes, des couleurs… Les célébrités sont dans leur pure humanité et les anonymes sont dans leur pure humanité, je starifie les anonymes et j’anonymise les stars. On est tous pareils, nous sommes tous des êtres humains, quels que soient notre degré de notoriété, nos origines, notre âge, notre statut social. Si on prenait conscience de cela, ce serait plus facile par tout le monde.
Parlez-nous de votre signature, la flèche rouge ?Dans mon travail, il y a assez peu de choses qui arrivent après des cogitations ou après une longue réflexion conceptuelle. Je réfléchis beaucoup à ce que je fais, mais en même temps il y a de l’instinct. La flèche rouge vient des années 80 et de cette esthétique année 50 que j’aime bien. Le rose bonbon, les formes triangles, les pointillés, les petits ronds… À l’époque, je faisais des flèches, des pointillés, des ronds, des étoiles, ça me permettait d’utiliser l’espace, de diriger le regard. Je me suis un peu affranchi de ça. J’utilisais le volume de la rue pour recréer un format, aujourd’hui je me suis totalement exonéré de cette histoire de format qui reviendrait à coller une affiche. Tout ce que je fais en portrait serré je ne le mets pas dans la rue, car ce serait comme une affiche, donc je préfère faire du grandeur nature, à la dimension réelle, il n’y a plus de bord. Ce que je délimitais avec des pointillés ou avec des séries de flèches, j’en ai plus besoin. J’ai gardé la flèche, c’est le seul reliquat de cette époque-là. La flèche rouge c’est aussi le moyen de montrer que c’est un acte artistique, c’est arrêt sur image artistique.