Conférence Internationale Du Sucre

Grand Maghreb et partenariat avec l’Europe Deux projets antagonistes ?

● Abdelwahab BIAD
Maître de Conférences à l’Université de Rouen où il enseigne les relations internationales et la construction européenne. Expert sur les questions de coopération euro-méditerranéennes et auteur d’un ouvrage (Euro-Mediterranean Partnership for the 21th Century, London et New-York, MacMillan, 2000 – en codirection avec H-G Brauch & A. Marquine) et d’une trentaine d’articles et d’études sur ces questions.

04 Juillet 2014 À 12:25

Depuis les indépendances, les États du Maghreb ont tissé des rapports économiques et politiques substantiels avec l’Europe. Cette coopération s’est densifiée avec la mise en place d’un cadre juridique en constante évolution, les accords bilatéraux d’association liant l’Union européenne (UE) à chacun des États du Maghreb. Aujourd’hui, environ les deux tiers des échanges commerciaux des États du Maghreb s’effectuent avec l’UE. Ce chiffre doit être mis en perspective avec un autre : le commerce intermaghrébin représenterait moins de 5 % des échanges de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie. Ces données sont révélatrices à la fois du degré élevé de dépendance des pays du Maghreb à l’égard de l’Europe, mais surtout du caractère marginal de la coopération intermaghrébine, faisant apparaître le Maghreb comme l’une des régions les moins intégrées du monde (1). On ne peut donc analyser la coopération euromaghrébine sans prendre en compte cette donnée majeure.

La coopération euro-maghrébine : une relation « eurocentrée »

L’U.E. est la matrice des projets destinés à la région méditerranéenne incarnés par le Processus de Barcelone et l’Union pour la Méditerranée. La prévalence de l’agenda européen (stabilité, réformes et libre-échange) dans les accords d’association est manifeste. L’UE est de facto en position de force, dotée comme elle est d’un appareil de négociation rôdé et s’appuyant sur une vision cohérente de ses intérêts. En face, des partenaires qui se présentent en ordre dispersé quand ils ne sont pas minés par les divisions, les rivalités et la compétition pour obtenir des avantages de l’UE. Ainsi, une des caractéristiques de la coopération euromaghrébine est le rapport asymétrique qu’elle instaure entre les parties faisant coopérer un Nord intégré et structuré, et un Sud fragmenté. Cette posture asymétrique est accentuée par la logique « bilatéraliste » qui prévaut dans la Politique de voisinage de l’UE.

La relation avec l’Europe : substitut au Grand Maghreb

La leçon à tirer est que l’architecture de la coopération euromaghrébine, avec ce qu’elle implique en termes de rapports inégaux et de dépendance, pourrait aussi avoir compromis le projet d’intégration maghrébine, la coopération avec l’Europe devenant une alternative séduisante au « non-Maghreb ». À ce propos, il est vrai que l’impératif de construction nationale postindépendance imposait aux États du Maghreb de différer l’intégration régionale, même si le mythe du « Grand Maghreb » est toujours cultivé par les élites politiques. Si l’Union du Maghreb arabe (UMA) instituée par le Traité de Marrakech constituait un pas en avant significatif vers une « communauté économique et politique », force est de constater que les progrès accomplis sont très modestes en dépit de la signature d’une cinquantaine de conventions sectorielles et de l’organisation de plusieurs réunions ministérielles et d’experts gouvernementaux (2). Les obstacles politiques qui entravent la coopération régionale représentent une bonne part de « l’imbroglio maghrébin » et du déficit d’intégration.

Valoriser la posture stratégique du Maghreb « pont » entre Europe et Afrique

À l’avenir, les principaux enjeux et défis se focaliseront sur la capacité des États du Maghreb à concilier nécessité de coopérer avec l’Europe et impératif de construction régionale. En attendant, la convergence et l’harmonisation intermaghrébine face à l’UE restent tributaires de la nature des rapports que les États du Maghreb souhaitent développer séparément avec l’Europe et les attentes différenciées qui en découlent. Pour le moment, c’est une asymétrie des attentes des pays du Maghreb par rapport à la relation à l’UE qui domine, une asymétrie qui les éloigne d’un projet de construction régionale digne de ce nom (3). La responsabilité de cette situation incombe en premier lieu aux Maghrébins eux-mêmes et non à l’UE qui n’a fait que défendre les intérêts communs de ses membres. Une alternative existe pourtant : le Maghreb en s’intégrant pourrait être un pôle de stabilité à même de valoriser sa position de pont entre l’Europe et l’Afrique, dans une région du monde où les défis sécuritaires sont réels (terrorisme et criminalité organisée sur fond de développement de l’économie informelle). 

(1) L’Europe absorbe environ 60 % des exportations du Maghreb et assure 80 % de l’investissement direct étranger. En contraste, le commerce intermaghrébin représenterait environ 2 % en moyenne (de 1 à 5 % selon les États) de la valeur totale du commerce entre les pays membres de l’UMA (FMI, 2011, Perspectives économiques régionales, Moyen-Orient, Afrique du Nord, Afghanistan et Pakistan.(2) Aucune réunion ministérielle de l’UMA n’a pu se tenir entre 1994 et 2004, et le dernier sommet de l’UMA s’est réuni en 1994.(3) Voir notre étude : « La construction du Maghreb au défi du partenariat euro-méditerranéenne de l’Union européenne », Année du Maghreb, Vol IX, 2013, Dossier : Le Maghreb avec ou sans l’Europe ? Échanges, réseaux, nouvelles dynamiques infra et supra nationales, p. 103-124.

Copyright Groupe le Matin © 2025