Fête du Trône 2006

Pour une réelle reconnaissance de la place de la femme dans la société

Par Khadija Tibari
Docteur de l’Université de Grenoble, spécialiste «égalité homme/femme».

L'accès des femmes aux postes de responsabilité et la reconnaissance réelle de leurs capacités aux côtés des hommes restent un combat quotidien...

05 Mars 2014 À 15:39

Les femmes marocaines célébreront leur Journée internationale, ce samedi 8 mars 2014 avec une grande fierté. Elles viennent de décrocher un poste très longtemps caractérisé par l’exclusivité masculine depuis sa création en 1981. La nomination de Madame Zineb Adaoui en tant que première femme wali de l’administration territoriale, traduit la volonté de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu L’assiste, visant l’intégration opérationnelle des femmes. «… Nous continuons à œuvrer pour doter la femme marocaine des moyens à même de lui permettre d’être partie prenante dans le processus institutionnel et démocratique, en l’encourageant à s’impliquer dans la vie de la nation et à occuper les différents postes de la fonction publique sans exclusive. Nous veillons également à ce qu’elle puisse bénéficier d’un taux croissant de représentation équitable au sein du gouvernement, du Parlement, des collectivités locales et tous les centres de prise de décision. Eu égard aux qualités qui sont reconnues à la femme marocaine, en l’occurrence celles de compétence, de rigueur et de patriotisme, outre sa fibre sociale, Nous entendons confronter la contribution efficiente qu’elle apporte, à l’instar de l’homme, à la construction démocratique et au processus de développement».

Une analyse rétrospective montre que la nomination des femmes aux différents postes de hautes responsabilités était bien une occasion qui leur a permis de confirmer leurs capacités intellectuelles, leurs expériences professionnelles et leur capabilité à gérer les dossiers les plus complexes, ce qui a conduit la plupart d’entre elles à occuper des fonctions supérieures. Le grand exemple illustratif est celui de Madame Zoulikha Nasri qui, après une brillante carrière administrative au sein des services centraux du ministère des Finances, a été appelée au poste de secrétaire d’État, puis chargée de mission au Cabinet royal, et ensuite conseillère de Sa Majesté le Roi. La réussite des chantiers réalisés à travers le Royaume dans le cadre de la Fondation Mohammed V en témoigne.

De même, au niveau universitaire, la ville de Mohammedia s’est distinguée au niveau de l'armature urbaine marocaine. Elle a devancé la capitale Rabat et la métropole Casablanca en accueillant, en 1989, la première dame doyenne à la Faculté des lettres et des sciences humaines, Madame Aziza Bennani, nommée ensuite ambassadeur, déléguée permanente du Royaume du Maroc auprès de l’Unesco. En 2002, Madame Rahma Bourkia fut la première présidente d’université à l’échelle nationale nommée à la tête de l’institution scientifique de cette ville.

D’après nos recherches, le ministère de la Justice est, par excellence, le département qui a connu depuis longtemps le recrutement de femmes responsables, avec la nomination en 1961 de Madame Amina Abderrazek en tant que juge. Ceci a permis au Maroc d’être un avant-gardiste dans ce domaine de féminisation au niveau arabo-africain. L’Égypte n’a résolu cette problématique qu’en 2007, en recrutant une trentaine de magistrats femmes. En 2012, notre pays comptait 822 femmes juges, contre 2 990 hommes, soit 22%. Trois femmes juges occupaient de hautes fonctions (avocat général près la Cour de cassation, première présidente de la Cour administrative d'appel de Marrakech et première présidente de la Cour d'appel de commerce de Fès).

Dans un monde de globalisation et avec la Constitution de 2011 qui accorde une grande importance à l’égalité, il n’est plus logique que certaines fonctions demeurent dans notre pays réservées strictement aux hommes (wali de l’administration centrale, gouverneur provincial, procureur général, préfet de police, président de conseil régional ou provincial…), alors que même «le ciel» a ouvert ses portes aux femmes. Une dizaine d’appareils de la Royal Air Maroc, avec à bord plus de deux cents passagers, décollent et traversent des espaces aériens intercontinentaux par les soins de mains de femmes commandants. L’INDH, dont la coordination nationale est dirigée depuis quelques années par une femme gouverneur, a connu une forte gendarisation des activités socio-économiques, que ce soit dans le cadre de la lutte contre la pauvreté ou pour l’exclusion sociale. Nombreuses sont les femmes résidant dans des douars enclavés ou dans des quartiers banlieusards qui ont vu leurs ressources financières augmenter par le biais des actions génératrices de revenus (AGR) qu’elles ont réalisées dans un cadre partenarial qui les lie à ce chantier de Règne. En effectuant une lecture genrée de l’évolution de la représentativité des femmes ministres au Maroc, cela nous a conduit à conclure que malgré l’évolution sociétale de notre pays, les gouvernements du Maroc sont restés depuis 1956 monopolisés par les hommes. Il a fallu attendre le remaniement ministériel du 24e gouvernement du 13 août 1997, pour que le sexe féminin apparaisse dans la composition gouvernementale. Parmi les 28 ministres, trois femmes ont pu décrocher, et pour la première fois, des postes de secrétaires d’État.Au total, le Maroc n’a connu que 25 femmes ministres, et le plus grand nombre a été enregistré dans le gouvernement de Abbas El Fassi (19 septembre 2007-29 novembre 2011), où il y avait 7 femmes, soit 28% de l’ensemble des femmes ministres qu’a connu le Maroc jusqu’à nos jours. La part allouée actuellement aux femmes dans ce gouvernement est loin des attentes de la parité proclamée par notre Constitution. Aussi, faut-il rappeler qu’au moment où les partis politiques (majorité et opposition) ne cessent de proclamer l’égalité entre les femmes et les hommes, ils n’ont jamais pu oser élire des femmes pour présider leurs groupes parlementaires, à l’exception du Parti authenticité et modernité (PAM) dont les députés ont élu récemment, en 2013, Milouda Hazeb, et auparavant Madame Khadija Rouissi, vice-présidente de la Chambre des représentants. Malgré cette évolution modeste des femmes dans les postes de responsabilité, les hommes détiennent encore fortement les rênes du pouvoir tant politique qu’économique. Le genre et l’égalité des sexes, qui occupent une place importante dans les programmes des campagnes électorales et dans les slogans syndicaux, semblent s'adresser à l'autre, et non pas aux leaders de la politique et des syndicats, dont certains ont du mal à quitter leur fauteuil, encore moins pour le compte des femmes.

La promotion de l’égalité des sexes, le soutien et l’appui au genre est un chantier de société mettant le focus sur les femmes et leur épanouissement à tous les niveaux dans la société. Il est très difficile de changer les mentalités si elles n’acceptent pas de changer et qu’elles ne sont pas préparées pour changer. Pour ce faire, on doit s’approprier des méthodes de conduite de changements et accompagner en douceur ce processus. L’intégration de l'égalité dans toutes les sphères de la société est un travail de longue haleine qui nécessite des changements radicaux. L’égalité a été reconnue aujourd’hui par la Constitution, s’appuyant sur un socle juridique solide et par une volonté politique audacieuse. Les femmes et les hommes doivent être convaincus que l’égalité constitue le fondement même de l’avenir du pays, et une condition préalable à la réalisation du développement. Il est important que l’égalité entre les femmes et les hommes occupe désormais une place visible et réelle dans la pratique, que soit également renforcée la synergie entre les politiques et les instruments. 

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