05 Février 2014 À 12:36
Pendant des années, les commentateurs économiques ont fait référence au Japon comme au pays du soleil couchant. À leurs yeux, le degré de maturité de l’économie japonaise empêchait désormais toute perspective de croissance. Notre dette publique était soi-disant intenable, et notre prétendu sentiment de résignation mis en avant comme l’un des symptômes d’un relatif déclin.
Ces commentaires se font aujourd’hui de plus en plus rares. L’économie du Japon est passée d’une croissance négative à une croissance positive, et est désormais sur le point d’en finir avec une déflation chronique. Au printemps prochain, les traitements et salaires devraient augmenter, aspect depuis longtemps attendu, et voué à engendrer une plus forte consommation. Notre situation budgétaire s’est également continuellement améliorée, le gouvernement que je dirige étant en passe de consolider les finances publiques. En parallèle de ces améliorations économiques, le peuple japonais démontre de plus en plus de dynamisme et d’optimisme, un état d’esprit illustré par l’enthousiasme de l’opinion autour de la désignation de Tokyo en tant que ville d’accueil des Jeux olympiques et paralympiques de 2020.
Ce n’est donc nullement un crépuscule, mais bien une aube nouvelle, qu’il s’agit d’évoquer pour le Japon. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous sommes parvenus à nous affranchir de l’idée selon laquelle un certain nombre de réformes ne pourraient jamais être mises en œuvre. J’affirme de nouveau avoir pour volonté d’agir à la manière d’un perforateur suffisamment solide pour rompre cette véritable masse rocheuse que constituent les intérêts particuliers. Et c’est bien ce que nous sommes en train d’accomplir.Nous entendons par exemple libéraliser intégralement le marché japonais de l’électricité. D’ici à l’inauguration des Jeux, qui s’ouvriront dans six ans, le secteur électrique sera pleinement compétitif, et une distinction bien établie entre production et distribution d’électricité.
Nous avons également pour volonté de promouvoir la santé en tant qu’industrie. Le Japon évolue au premier plan de la médecine régénérative, et nous ferons en sorte qu’il soit possible de générer des cellules souches au sein de laboratoires du secteur privé. J’ai par ailleurs récemment proposé un certain nombre de réformes supplémentaires, dans la mesure où nous avons également besoin de la présence de prestataires de soins de santé de grande envergure sous forme de sociétés holding, du même type que la Mayo Clinic américaine.En outre, nous œuvrons pour la suppression du système d’«ajustement» de l’offre et de la demande, en place depuis plus de 40 ans. Les barrières à l’entrée des entreprises privées dans le secteur agricole seront levées, et les exploitants autorisés à cultiver les variétés de leur choix, sans contrôle de l’autorité publique sur l’offre et la demande.
Notre programme de déréglementation sera bientôt amorcé. Au cours des deux prochaines années, au sein de zones déterminées, plus aucun intérêt particulier ne demeurera imperméable. Par exemple, au sein d’un certain nombre de villes japonaises aspirant à un statut international, les restrictions relatives aux surfaces au sol ne seront plus que de l’histoire ancienne. Nous bénéficierons bientôt de logements de qualité, de complexes d’affaires, et verrons apparaître les unes après les autres des villes à zéro émission de CO2.De même, le Partenariat transpacifique (PTP) s’inscrira au cœur de mes politiques économiques, et nous ferons tout pour faire avancer le projet d’accord de partenariat économique entre le Japon et l’Union européenne. L’économie japonaise pourra ainsi s’intégrer encore plus profondément aux flux mondiaux de connaissance, d’échanges et d’investissements. Les entreprises et les populations issues de l’étranger pourront compter sur le Japon comme sur l’une des régions les plus commercialement accueillantes de la planète.
Les mécanismes de gestion des fonds publics japonais -tels que le fonds de pension public pour l’investissement (GPIF), qui représente aujourd’hui près de 1 200 milliards de $- feront également l’objet de modifications de grande ampleur. Nous travaillerons à la mise en œuvre de réformes, parmi lesquelles une révision du portefeuille du GPIF, afin de garantir que les fonds publics contribuent à des investissements qui alimentent effectivement la croissance.Il nous appartient également de conférer à notre impôt sur les sociétés un caractère compétitif à l’international. Au mois d’avril, le taux d’imposition sur les sociétés sera réduit de 2,4 points de pourcentage. Nous mettrons également en place des mécanismes fiscalement incitatifs, afin d’encourager les entreprises à exploiter leurs liquidités en faveur de l’investissement en capital, de la recherche et du développement, ainsi que de l’augmentation des salaires.
Dans le même temps, nous réformerons ces règles du marché du travail qui lient les travailleurs aux industries du passé. Les nouveaux secteurs exigent des ressources humaines innovantes et créatives, et c’est pourquoi nous redirigerons nos subventions de sorte que les travailleurs sans emploi significatif dans les industries obsolètes soient en mesure d’aller de l’avant et de décrocher un poste valorisant au sein des secteurs les plus prometteurs. Étant donné le vieillissement rapide de la population japonaise, ainsi que la diminution du nombre d’enfants, les investisseurs sont naturellement amenés à se poser la question suivante : «Où le Japon ira-t-il dénicher ces fameuses ressources humaines innovantes et créatives dont il a besoin ?»Arianna Huffington a eu un jour cette réplique subtile selon laquelle si Lehman Brothers s’était appelée «Lehman Brothers and Sisters», l’entreprise aurait sans doute survécu. Or, la culture d’entreprise japonaise se révèle encore plus dominée par le sexe masculin, véritable univers de costumes-cravate.
J’ai ressenti le plus grand enthousiasme à cet égard lorsque Hillary Clinton m’a expliqué que le PIB du Japon pouvait être supérieur de 16% si les femmes participaient au marché du travail dans la même mesure que les hommes. La main-d’œuvre féminine japonaise constitue en effet la ressource la moins exploitée de l’économie.Le Japon doit devenir un pays au sein duquel les femmes puissent véritablement rayonner. D’ici 2020, nous souhaitons voir les femmes occuper 30% des postes de direction majeurs, un objectif ayant pour conditions préalables l’existence d’un environnement de travail plus flexible, ainsi que la participation de travailleurs étrangers au sein des services à domicile et à la personne.
L’un des vecteurs majeurs du changement résidera dans la mise en œuvre de réformes juridiques, introduites lors de la prochaine session parlementaire, qui permettront d’augmenter le nombre de dirigeants externes au sein des conseils d’administration. Le mois prochain, nous proposerons également la mise en place d’un code de l’administration, destiné à permettre aux investisseurs institutionnels de jouer un plus grand rôle dans la gouvernance d’entreprise. Je suis convaincu que l’effet combiné de ces réformes permettra au Japon de doubler le volume des investissements directs entrants d’ici 2020, redynamisant le pays tout entier et refaçonnant son paysage économique dans une mesure considérable.
Il reste cependant beaucoup à accomplir. Cela fera bientôt trois ans que nous avons été frappés par la catastrophe du séisme et du tsunami du 11 mars 2011 au nord-ouest du Japon, à l’origine du désastre de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. Bien que nous ne nous en soyons toujours pas remis, l’amour et la compassion que nous a témoignés le monde nous ont profondément touchés, de même que l’esprit de persévérance des survivants et l’entraide face à l’adversité. C’est là tout l’état d’esprit dans lequel le Japon entend désormais contribuer encore plus activement au développement et à la paix dans le monde. Dans l’époque qui est la nôtre, aucun État ne peut à lui seul préserver la paix. À défaut d’une entraide, aucun d’entre nous ne pourra à lui seul relever les défis auxquels le monde est confronté. Au Cambodge, par exemple, la construction par le Japon d’un hôpital destiné aux mères de famille et aux nouveau-nés a contribué à réduire le taux de mortalité infantile dans le pays. Aux Philippines, les forces de défense japonaises ont mis en œuvre un important programme d’assistance à la suite du cyclone dévastateur de novembre. Nos combattants et combattantes basés à Djibouti demeurent par ailleurs en alerte face à la piraterie, protégeant les navires du monde entier.
Le Japon est entouré de voisins constitutifs d’opportunités sans limites : Chine, Corée du Sud, pays de l’ANASE, Inde, Russie et, au-delà de la ceinture Pacifique, États partenaires du PTP. En effet, l’Asie se démarquant peu à peu en tant que moteur de l’économie mondiale, la nécessité d’œuvrer pour une prospérité et une paix durables n’a jamais été aussi importante, dans la mesure où les effets d’entraînement mondiaux d’une éventuelle atteinte à la stabilité régionale s’avéreraient considérables.Le pilier de la prospérité n’est autre que la libre circulation des personnes et des marchandises. Sur les mers, dans les airs, ainsi que désormais dans l’espace et le cyberespace, la libre circulation doit demeurer garantie. La seule manière de préserver ces indispensables biens publics consiste à appliquer rigoureusement la règle de droit, ainsi qu’à promouvoir un certain nombre de valeurs fondamentales telles que la liberté, les droits de l’homme et la démocratie.
Aucune alternative n’est possible. Les fruits de la croissance asiatique ne sauraient se perdre dans une démarche d’expansion militaire. Il nous appartient de les investir dans l’innovation et le capital humain, ce qui nous permettra de soutenir encore davantage la croissance dans la région. Comme à l’extérieur du continent, la confiance entre les pays asiatiques se révèle indispensable à la paix et à la prospérité entre ces États, et ces aspirations ne seront réalisables qu’à travers le dialogue et l’adhésion au droit international, et non par la force et l’intimidation.
Afin que règnent l’ordre et la confiance au sein de la région, j’en appelle au continent asiatique et au monde entier. Si nous entendons éviter une expansion militaire débridée en Asie, il est nécessaire que les différents budgets de la défense soient entièrement transparents, et vérifiables au travers d’une divulgation publique. Par ailleurs, il serait judicieux que les gouvernements asiatiques instaurent un mécanisme de gestion de crise ainsi que de solides canaux de communication entre leurs forces armées. Il nous appartient également de fixer des règles permettant de promouvoir les comportements respectueux du droit maritime international.C’est seulement alors que nous pourrons apprécier une croissance et une prospérité durables en Asie, qui nous permettront à tous dans la région d’exprimer notre plein potentiel. Le Japon a un jour fait la promesse qu’il n’entrerait plus jamais en guerre, et nous n’avons jamais cessé d’œuvrer pour un monde de paix. J’ai pour plus grand espoir de voir le renouveau économique du Japon, et toute la promesse qu’il représente pour une plus grande prospérité internationale et régionale, contribuer à faire de ce monde une réalité.
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