Fête du Trône 2006

Le Manifeste de l’indépendance du 11 janvier 1944 a accéléré l’Histoire

Vue de la maison qui a abrité la signature du Manifeste de l'indépendance à Meknès.

10 Janvier 2014 À 19:02

Le 11 janvier 1944 est et restera une date d’inflexion dans le processus de lutte pour l’indépendance du Royaume. En célébrant le soixante-dixième anniversaire de la présentation du Manifeste de l’Indépendance, le peuple marocain revit une étape charnière d’une histoire jalonnée d’épopées glorieuses dont l’objectif était de faire échec aux velléités du colonisateur qui tentait, par tous les moyens, de faire main basse sur le territoire national. C’est aussi un événement historique qui marque cette indéfectible symbiose entre le Roi et le peuple, puisque ce Manifeste était l’émanation de la volonté du Mouvement national, et à sa tête Feu S.M. Mohammed V. Un moment, aussi, d’une forte valeur symbolique puisqu’il est la parfaite expression de cette communion entre le Trône et le peuple marocain.

Or, au regard de l’histoire, c’est également une célébration pleine d’enseignements pour les générations montantes. En effet, si celles et ceux qui ont vécu ce moment historique se le remémorent, les nouvelles générations doivent s’en inspirer. D’autant plus que ce Manifeste traduit ce combat héroïque de toute une Nation pour la défense de ses valeurs spirituelles et nationales.C’est aussi l’illustration de ce Maroc, uni autour de son Roi, qui a fait bloc contre les agissements du colonisateur. Un Maroc qui n’a jamais accepté la tutelle des colonisateurs. Un Maroc fier de son Histoire et convaincu de la justesse de sa cause. D’ailleurs, le 11 janvier constitue un maillon dans une longue chaîne d’épopées héroïques. On se souviendra, toujours, du soulèvement qui a suivi le «dahir berbère» de 1930, ou encore la présentation, entre 1935 et 1936, d’un plan de réformes au gouvernement français par le Comité d’action marocain, et en apothéose, la présentation du Manifeste de l’Indépendance. Au cours de toutes ces étapes, feu S.M. Mohammed V était au cœur des événements et à la tête des défenseurs du choix de la liberté.

Un choix et une aspiration légitime pour recouvrer son entière souveraineté et le droit à vivre totalement son indépendance.Bien avant cette date, mais surtout après, le Roi et son peuple ont parcouru le chemin ayant mené vers l’indépendance du pays. On se souvient, à ce propos, que le défunt Souverain n’avait de cesse d’éveiller et d’insuffler le sens et la force de la résistance aux Marocains. Le Libérateur de la Nation avait, en janvier de l’année 1943, saisi l’occasion de la Conférence d’Anfa pour inscrire la question de l’indépendance du Royaume dans l’ordre du jour, tout en mettant en valeur la participation des soldats marocains aux côtés des armées des alliés. Et c’est ainsi que l’Initiative royale a eu le soutien des États-Unis d’Amérique à l’indépendance du Maroc, une fois la guerre finie, par la voix du Président Franklin Roosevelt. C’est donc au cours de ce long combat que soixante-sept nationalistes dont une femme, de différentes souches sociales et en parfaite coordination avec feu S.M. Mohammed V, ont pris sur eux de rédiger et de rendre public la Manifeste réclamant l’indépendance du pays. En mai 1945, le regretté Souverain se rendait à Paris, où il a eu des entretiens avec le général de Gaulle, au cours desquels il a revendiqué l’indépendance du Maroc. Deux années plus tard, c’est un autre moment historique qui allait marquer le long processus du combat pour la liberté.

En effet, le 9 avril 1947, feu Sa Majesté Mohammed V, dans son discours historique de Tanger, réclamait publiquement et solennellement l’indépendance du Royaume. Les événements s’enchaînèrent alors jusqu’au complot du 20 août 1953. Refusant d’abdiquer, le Souverain défunt acceptait le sacrifice ultime. Un moment qui donna le signal de la Révolution du Roi et du Peuple. Onze ans après la publication du Manifeste, c’était le retour triomphal du défunt et de la Famille royale. C’était un 16 novembre 1955, et l’ère de la liberté et de l’indépendance sera proclamée deux jours après.


Entretien avec Abdelmajid Benjelloun, historien et écrivain

«Le Manifeste marque un tournant dans la lutte du Maroc pour sa libération»

Selon Abdelmajid Benjelloun, le «Manifeste de l'indépendance» marque un tournant dans la lutte du Maroc pour sa libération. Dans l’interview qu’il nous a accordé, cet historien, auteur notamment du livre «le Mouvement nationaliste marocain de l’ex-Maroc khalifien 1930-1956», nous décrit le climat général qui a marqué les années ayant précédé l’indépendance du Maroc.

Le Matin : Le 11 janvier est une date qui commémore la signature du Manifeste de l'indépendance en 1944. Douze ans plus tard, le Maroc a obtenu son indépendance politique. Que s'est-il passé durant ces 12 années ?Abdelmajid Benjelloun : Beaucoup d’événements, au point que depuis le 11 janvier 1944, date de la présentation du Manifeste de l'indépendance, on peut, sans la moindre exagération, parler «d’accélération de l’histoire». Ces douze années de lutte patriotique, ô combien décisives, se sont inscrites sur le triple plan politique intérieur, diplomatique et stratégique, c'est-à-dire par le recours à la lutte armée.Sur le plan politique interne : Le «Manifeste de l'indépendance» marque un tournant dans la lutte du Maroc pour sa libération, dans la mesure où les élites patriotiques, qui étaient jusque-là réformistes, devinrent indépendantistes. En effet, le mouvement nationaliste, au travers de toutes ses organisations, depuis le jour où il commença à œuvrer à visage découvert, soit à partir de la publication du «dahir berbère» du 16 mai 1930, exigeait jusque-là le strict respect du traité du Protectorat, c'est-à-dire en deux mots, le maintien de la souveraineté marocaine et la modernisation, via des réformes conséquentes, du pays. L’événement majeur après le 11 janvier 1944 fut le discours du Sultan Sidi Mohammed Ben Youssef à Tanger le 9 avril 1947.Sur le plan diplomatique : Le Souverain a recommandé à l’époque, évidemment en secret, aux nationalistes des deux zones nord et sud d'engager la lutte patriotique sur le front étranger. Ces derniers ont déclenché dès lors une action diplomatique d’envergure en Égypte, et ce dans le cadre du Bureau du Maghreb arabe, à l’ONU et aux États-Unis, notamment. Sur le plan stratégique : la déposition du Sultan le 20 août 1953, marque un autre tournant décisif en ce sens que pour ramener le Souverain de son exil, le peuple a recouru d’abord à la lutte armée, d’abord sous la forme d’attentats ciblés, et plus tard, dès octobre 1955, à la création de l’Armée de libération.

Quelle a été l’attitude du mouvement nationaliste dans l’ex-Maroc khalifien sous domination espagnole ?Fkih Mohammed Daoud a, dans un article publié dans le journal «Errif», le 14 juin 1940, réclamé sans ambages l'indépendance du Maroc. Mohammed Daoud n'était pas membre du Parti des réformes nationales (PRN), mais il n'en reflétait pas moins l'opinion véritable de ce parti, et ses les prises de position, notamment dans les journaux «el Horria» et «Errif», n'ont cessé depuis d’être l'expression retentissante d'un désir réel d'émancipation pour le Maroc. D'autres opportunités allaient être offertes aux nationalistes dans ce sens. La première occasion fut la Fête du Trône de 1940 : Abdelkhaleq Torrès a, au nom du Comité exécutif du PRN, envoyé une lettre de félicitations au Souverain, par laquelle il exprimait également la nécessité impérieuse pour le Maroc d'obtenir son indépendance.La deuxième occasion prit la forme d’un manifeste revendiquant l'indépendance du pays, remis, le 14 février 1943, aux représentants de certains pays alliés au Maroc, par le PRN et le PUM (Parti de l’unité marocaine de Mekki Naciri), unis en la circonstance. La troisième occasion fut le fameux manifeste d'indépendance du 11 janvier 1944. En effet, le 29 février 1944, le PRN adressa une lettre à Sa Majesté Mohammed Ben Youssef, à travers laquelle il assurait le Souverain du soutien total à l'initiative du Parti de l'Istiqlal.

Comment le peuple a-t-il réagi au Manifeste de l’Indépendance ? Et quelles étaient les conditions de vie de la société marocaine à cette époque ?Cette question soulève d’abord la grande question des rôles respectifs des élites et du peuple dans les grands événements historiques. Il y aurait beaucoup de choses à dire à ce sujet, pour ce qui concerne la libération du Maroc en 1955-56. Mais pour me limiter à la période 1944-56, il est vrai que le peuple a soutenu le Manifeste de l'indépendance, les preuves en sont les manifestations de rue, et notamment à Rabat, réprimées dans le sang. Ceci étant, le peuple dans son écrasante majorité était absolument contre l’exil du Sultan, et il l’a montré avec une multitude d’actions et d’attitudes.Quant aux conditions de vie de la société marocaine à cette époque, il est évident que la majorité du peuple vivait à la campagne, sans oublier que le taux d’analphabétisme était très élevé. Quant à ses revendications, elles s’exprimaient précisément par la voie et la voix des nationalistes organisés en partis politiques, surtout par le Parti de l’Istiqlal, auteur du Manifeste de l'indépendance, qui était à l’époque le parti nationaliste marocain le plus important. Les patriotes organisés politiquement et même syndicalement voulaient, pour employer une formule lapidaire, un Maroc moderne et démocratique.

Que pensez-vous des célébrations qui sont faites autour du 11 janvier au Maroc ? Croyez-vous que les Marocains et la jeunesse sont suffisamment sensibilisés à ce jour important ?Je pense que les célébrations qui sont faites autour du 11 janvier au Maroc sont une bonne chose. Le 11 janvier, soit le jour de présentation du Manifeste, est même devenu une fête nationale, et il faut s’en féliciter vivement. Maintenant, quant à savoir si les Marocains et la jeunesse sont suffisamment sensibilisés à ce jour important, je ne le pense pas. Certes, les manuels d’histoire dans les écoles et les lycées l’évoquent.

Que faut-il faire pour sensibiliser davantage les jeunes notamment sur ce Manifeste ?Je n’ai pas de propositions concrètes, si ce n’est que le théâtre et le cinéma – je ne parle pas ici de la littérature, car l’on sait que les jeunes lisent peu – pourraient être mis à contribution à cet effet.

Le devoir de mémoire est-il respecté au Maroc ? Que fait-on pour entretenir le souvenir ?Je pense que oui, dans une certaine mesure, ne serait-ce que parce que nos historiens font leur travail. Mais malheureusement, le grand public, comme on dit, ne lit pas leurs ouvrages. Entretien réalisé par Mae Aït Bayahya

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