Spécial Marche verte

Quand le mariage fait fi des différences

Si le nombre de mariages mixtes ne cesse de croître, les difficultés de telles unions ne semblent parfois pas être correctement mesurées par les futurs époux. Préjugés, différences religieuses et culturelles, habitudes alimentaires, traditions, pressions familiales… sont autant de pièges tendus à ces couples mixtes en quête de bonheur.

Les Marocaines se marient plus avec les étrangers que leurs homologues masculins.

14 Juin 2014 À 13:42

Bien que le phénomène du mariage mixte au Maroc reste socialement marginal, le nombre de Marocains mariés à des étrangers a été multiplié par 10 entre 1997 et 2007. Ainsi, quelque 10.000 Marocains (hommes et femmes) se sont mariés avec des étrangers en 2007 tandis que ce nombre atteignait tout juste 1.000 personnes en 1997, selon les derniers chiffres du ministère de la Justice.Le phénomène touche donc un nombre de plus en plus important de Marocains, les femmes en particulier. Des enquêtes réalisées ont, en effet, montré que les Marocaines se marient de plus en plus à des étrangers, plus souvent que les hommes. En 1997, plus de 950 femmes marocaines se sont mariées à des étrangers contre 614 hommes. En 2006, les chiffres sont passés à 3.567 femmes et 1.500 hommes. En 2007, les femmes étaient au nombre de 5.664, les hommes 4.320.On y trouve un peu de tout : unions maroco-russe, maroco-espagnole, maroco-polonaise, maroco-sénégalaise… même si les unions avec des Français détiennent la palme, ce ne sont pas forcément celles qui fonctionnent le mieux.

En effet, les couples franco-marocains tiennent le haut du pavé, avec 5.000 mariages par an de Marocaines avec des Français. Contrairement aux idées reçues, ce sont les mariages maroco-subsahariens qui réussissent le mieux, même si l’on ne dénombre que cinq unions par an entre Marocaines et Subsahariens. Mais avant de se passer la bague au doigt, le couple mixte va d’abord devoir présenter l’élu(e) de son cœur aux parents. Ces derniers, quelle que soit leur culture, ont toujours tendance à idéaliser leur futur gendre ou belle-fille. «Ma mère a une préférence pour les blonds aux yeux bleus. Mon père ne l'étant pas, elle a longtemps espéré que son futur gendre réponde à ces critères. Pas de chance, il se trouve que mon mari est marocain», plaisante Valérie avant de poursuivre : «Ceci dit, il n’a jamais eu de problème pour s'intégrer dans ma famille».

De même pour Yasmina, qui se rappelle avec joie le moment où elle a présenté son fiancé français à ses parents. «J’avais une petite appréhension quand j’ai présenté Térence à mes parents. Mais ils l'ont très vite accepté». Si pour ces deux couples, tout s’est bien passé, ce n’est, hélas, pas toujours le cas pour d'autres. Parfois, la famille reste inflexible, trop de différences l’effraient. «Avec mon ami sénégalais, les choses ne se sont pas bien passées, témoigne Jihane. Mes parents ne voulaient pas d'un Sénégalais comme gendre. Et puis chez nous comme la famille a toujours le dernier mot, on se conforme à leur choix par obligation et tradition».

Une fois l’épreuve de la famille passée, le couple enchaîne avec de longues procédures administratives dans le but de consolider leur union. Des démarches qui découragent d’ailleurs plus d’un couple. «Nous nous y sommes repris à 3 fois avant de pouvoir nous marier, se rappelle Valérie, mariée depuis 7 ans à Adil. Tout le monde nous mettait des bâtons dans les roues. Au total, ce fut trois ans de labeur et des allers-retours incessants entre le Maroc et la France, des séparations répétées, des déchirements... Mais notre amour était plus fort. Mais si c’était à refaire, je ne sais pas si je pourrais, c’est épuisant moralement et physiquement».

La vie à deux

Une fois marié, les deux tourteraux va devoir emménager ensemble et l'un devra s’habituer à l’autre. Pour le couple mixte, même les actes apparemment simples de la vie de tous les jours deviennent exotiques. À commencer par les traditions culinaires, parmi les premières sources de désaccord dans le couple. «Ma femme est subsaharienne, elle était habituée à cuisiner du riz tous les jours dans toutes ses variantes, alors que nous, au Maroc, c’est le tajine qu’on prépare régulièrement. Donc ce n’est pas toujours évident. Parfois, j’allais manger un morceau chez ma mère, car sa cuisine me manquait…», avoue Tarik. «Moi j’ai dû apprendre à manger avec les doigts alors que ma mère m’a toujours dit que ça ne se faisait pas, que ce n’était pas poli… Du coup maintenant, je me lâche», explique Valérie. Avec un conjoint d'une culture qui n'est pas la sienne, il faut savoir respecter l'autre. Car on a vite fait de réagir négativement. L'un va apprendre à sa famille à téléphoner avant de passer et, surtout, à éviter de s'installer des heures entières... L'autre a dû bannir le bacon au petit-déjeuner et le vin à table. En tout cas, s'il n'y a pas un peu de savoir-vivre, la relation peut être vouée à l'échec. La religion est souvent la pierre d’achoppement du couple mixte.

Dans certaines religions, la pression est très forte pour que l’un des conjoints se convertisse. Mais pas toujours. Car il n’est pas toujours facile d’abandonner sa religion, ses croyances, ses convictions. Dans beaucoup de couples mixtes, les deux conjoints affirment leur propre religion et réussissent parfaitement à vivre avec les deux, quitte à fêter deux fois la nouvelle année. «La religion, c’est très délicat. Il faut en parler dès le départ. Si c’est pour s’imposer à l’autre, il n’y a plus d’intérêt à la mixité !» affirme Ilham. C’est pourquoi admettre et comprendre les croyances de l’autre est indispensable pour réussir à faire cohabiter deux religions. Si le mariage entre une Marocaine musulmane et un étranger d’une autre confession ne peut se faire sans une conversion de l’époux à l’Islam, le sens inverse est moins contraignant. En effet, si le mari est marocain musulman, son épouse étrangère n’aura pas à se convertir tant que sa religion est «l’une de celle du livre». «Certains hommes se convertissent à l’Islam alors qu’ils n’en sont pas convaincus, pour pouvoir épouser l'élue de leur cœur, plaire à la belle-famille. Ce n’est pas la solution idéale», soupire Tarik.

La transmission de la nationalité à l'enfant

Jusqu'à 2007, les femmes marocaines mariées à des étrangers ne pouvaient donner leur nationalité à leurs enfants. L'article 6 de ce Code de la nationalité de septembre 1958 stipulait qu'«Est Marocain l’enfant né d’un père marocain ou l’enfant né d’une mère marocaine et d’un père inconnu». Ce Code a été revu pour consacrer l’égalité entre la femme et l’homme en matière de transmission de la nationalité marocaine à leurs enfants issus de mariages mixtes. Auparavant, certains enfants nés de femmes marocaines et de pères étrangers avaient beaucoup de problèmes, surtout lorsque les pères étaient originaires de pays en guerre. Aujourd'hui : «Est Marocain l’enfant né de père marocain ou de mère marocaine». Cet amendement a surtout rendu justice aux enfants nés de femmes marocaines dont certains (qui n’ont connu que le Maroc comme pays d’appartenance) étaient marocains socialement, mais pas juridiquement. Certaines dispositions de ce Code restent cependant en deçà des aspirations des femmes marocaines et restent relativement inégalitaires, notamment celles relatives au droit des femmes marocaines de transférer leur nationalité à leur époux étranger. 

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