Conférence Internationale Du Sucre

Femmes et politique au Maroc

● Amal Idrissi
Prefesseur de droit, Université Moulay Ismaïl, auteure de plusieurs articles sur la femme.

Femmes au parlement & au gouvernement• déverrouillage et ouverture du système politique marocain.bPh. Fotolia

11 Décembre 2014 À 13:15

L’arrivée au pouvoir de Benazir Bhutto en 1988 n’est pas le début d’une nouvelle ère avec des femmes chefs d’État en Islam. En effet, Fatima Mernissi, spécialiste de la femme en Islam, a exhumé et déterré des femmes reines, caïdates, chefs de tribu occultées par l’histoire officielle, effacées de la mémoire collective. Son enquête et analyse sociologique, dans son livre «Les sultanes oubliées» (1), 1990, est à la fois une question ancestrale, dans la mesure où les femmes faisaient partie intégrante du paysage politique, et d'actualité, du fait que la revendication féminine pour investir le champ politique marocain continue.

En effet, si les femmes étaient présentes dans les foules des mouvements d’indépendance par les gestes et paroles, et qu’elles se disaient citoyennes par la participation, passé l'enthousiasme de l’indépendance, le droit au retour à la tradition et à la spécificité culturelle devient la règle. Au Maroc, les femmes et les hommes célébraient, en 1956, l’accès de leur pays à la liberté et à l’indépendance. À l’instar des pays inscrits dans l’ordre politique démocratique, tout laissait croire que le Maroc allait rejoindre la Communauté internationale des États de droit, États démocratiques prêchant l’égalité, la liberté et la justice. Mais peu de temps après, le droit à la spécificité fut pratiqué, par le retour à la culture, le retour à l’identité et enfin le retour au patriarcat (2).

Bien que présentes dans le mouvement de libération du Maroc (Union des femmes du Maroc, 1944 ; Commission des femmes istiqlaliennes, 1946 ; «Les sœurs de la Pureté», liées au parti Hizb al-Chura wal-Istiqlal, 1946), les femmes restèrent dans l’ombre des instances politiques qu’elles représentaient. Ces associations disparaitront rapidement. À partir du milieu des années 60, les femmes évacuent les devants du champ politique sous l'influence et la pression d’un pouvoir austère vis-à-vis de la question féminine.Bien entendu, comme le disait Wassila Tamzali (3), la question des femmes est liée à la nature du régime politique. Le contraste est là : une fois indépendant, le Maroc a reconnu l’égalité politique entre les hommes et les femmes. Toutes les Constitutions, depuis la première de 1962 (l'article 8 et ses différents amendements), portent en leur sein cette disposition relative à l’égalité politique homme-femme, elle était électrices et éligible dans les mêmes conditions que les hommes. Alors pourquoi son intégration politique reste-t-elle insignifiante et la revendication de ses droits politiques continue-t-elle ? Un toilettage historique s’impose.

L’impossible citoyenne

Le 17 mai 1963 se tiennent les premières élections législatives au Maroc. Sur 960 candidats au total, 16 sont des femmes : aucune n’a été élue. Le résultat n’est pas surprenant, vu la domination d’une culture traditionnelle dans une société largement patriarcale, qui veille à transmettre une seule image de la femme, à savoir celle de la mère ou de l’épouse avec le statut de l’éternelle mineure.Comment des femmes dans une situation pareille peuvent-elles exercer leur droit politique, alors qu’elles sont handicapées au niveau de leurs droits personnels ? Le plus ahurissant et criant est l’analphabétisme. Malgré une régression sensible, l’analphabétisme demeure extrêmement répandu : 90% de la population en 1960, 55% en 1994. Il est essentiellement le fait du milieu rural (75%, contre 37% en milieu urbain), et touche surtout les femmes. En l’absence de réformes structurelles et institutionnelles susceptibles de faciliter la participation des femmes à la chose publique, la société a évolué silencieusement, tant bien que mal : l’éducation, la formation professionnelle, la santé, la création d’infrastructures de relais dans l’éducation des enfants (crèches, écoles…) ont commencé à donner leurs fruits.

La femme a trouvé dans l’éducation le meilleur allié, garant du recul de la société patriarcale et de la domination masculine. Avec l’accès des femmes au travail, elles sortent de chez elles, travaillent, luttent pour gagner leur vie, se battent au quotidien pour l'instruction de leurs enfants, en assurant et assumant un processus de modernisation. Ces évolutions socioéconomiques n'ont pas permis aux femmes d'avoir gain de cause face à la masculinité de la société, bien ancrée dans la culture et dans les pratiques sociales. Les traditionalistes ont fini par prendre le dessus sur les modernistes. Ces avancées se heurtent à l’austérité des comportements sociaux dominés par un conservatisme légitimé par une mauvaise interprétation de la religion, portant ainsi préjudice aux femmes. Leur participation aux prises des décisions publiques et leur présence à des postes de responsabilité n’ont pas atteint l’objectif poursuivi, c’est l’une des raisons pour lesquelles la socialisation et l’intégration de la femme au pouvoir politique relevaient de la chimère.

Déverrouillage politique, du quota à la parité inachevée

Il a fallu le déverrouillage et l’ouverture du système politique marocain au début des années 1990 (4) pour que les femmes fassent leur entrée au Parlement, et plus tard dans le gouvernement, réclamant un statut politique effectif et réel. Deux députées élues en novembre 1997. Pour la première fois, quatre femmes sont rentrées au gouvernement en avril 1998. En mars 2000, une avant-première, une femme était nommée conseillère au Palais. En septembre 2002, on annonce un quota légal de 30 sièges au Parlement : 38 femmes ont été élues. Ce quota est le fruit de la revendication des mouvements féministes marocains, notamment le «Mouvement pour le tiers des sièges élus aux femmes vers la parité» (MTSF), qui a agi comme groupe de pression et de plaidoyer pour l’obtention de ce droit. À cela on peut ajouter divers discours de S.M. Roi dans lesquels il enjoint aux partis politiques de présenter des candidatures féminines et encourage les femmes à participer à la vie politique. Un grand nombre de partis politiques marocains ont adopté des quotas de près de 20% pour la composition de leurs instances de décision à l’échelle nationale. À cet égard, l’article 22 de la loi sur les partis politiques impose de prévoir dans le règlement des formations politiques la proportion réservée aux femmes et aux jeunes dans les instances dirigeantes du parti. Ce lifting politique n’a pu ni améliorer la situation politique des femmes ni surmonter les formidables obstacles culturels, économiques et institutionnels qui leur bloquent la route politique.

Le vent des révolutions qui a soufflé dans plusieurs pays arabes et les manifestations dans différentes villes du Maroc furent une fenêtre d’opportunité qui s’est ouverte pour le renforcement et la promotion des droits des femmes. Pour répondre aux revendications des femmes et à leurs aspirations à plus de droits, une nouvelle Constitution fut adoptée le 1er juillet 2011 par le Maroc. Elle constitue un tournant historique, solennisant la reconnaissance du principe de l’égalité entre les femmes et les hommes dans son aspect politique, économique, social et civil, et l’engagement à le respecter. Les dispositions en faveur de l’égalité des sexes sont un important aboutissement de plus d’une décennie de réformes. Dès le préambule de la Constitution de 2011, il est proclamé que le Maroc s’attache à combattre toute discrimination due au sexe.

La Constitution fait référence dans les articles 6, 19, 30, 31 au principe d’une parfaite égalité homme-femme avec l’engagement et la responsabilité de l’État qui en assurera la pratique et l’exercice possible, afin de permettre aux femmes l'accès aux couloirs du pouvoir et des décisions politiques. Le laboratoire de cette expérience constitutionnelle de 2011 fut les dernières élections législatives du 25 novembre 2011, l’occasion pour les femmes de pratiquer l’égalité et de la vivre dans la gestion de la chose publique. Mis à part le passage des sièges réservés au Parlement de 30 à 60, la participation de la femme dans la sphère politique n’a connu aucune amélioration majeure : une seule femme au gouvernement, une représentation féminine de 15%, l’objectif de la parité a été battu en brèche (5). Ainsi la citoyenneté politique acquise par les textes demeure limitée dans les faits, la sphère politique reste largement masculine à tous les échelons. L’inclusion de l’élément féminin dans l’arène politique, tributaire de l’évolution du droit et des politiques, ne pourra avoir d’incidence durable et efficace que si elle s’accompagne d’une évolution des mentalités. Les responsables politiques, les institutions, les médias et le système éducatif doivent travailler de concert afin d’assurer la levée des obstacles invisibles empêchant les femmes de jouir des droits humains (6).

Pour conclure, femme et politique, c'est un combat de longue haleine, de l’impossible citoyenne à la députée ou de la ministre, du quota à la parité rompue, ces acquis ne doivent pas faire oublier les représentations collectives, aussi bien politiques que sociales, qui avancent lentement et qui mettront du temps à enclencher la féminisation du champ politique par le bas. Cette féminisation a mis du temps pour s’établir dans le monde occidental, elle est donc possible, il faut donc suivre... 

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