02 Septembre 2014 À 15:51
Vous organisez une mission d’information au profit d’une délégation de l’Instance vérité et dignité de Tunisie (IVD). Qu’est-ce que le CNDH peut apporter à cette instance ?Le Conseil national des droits de l'Homme (CNDH) a apporté son soutien à l’expérience de la justice transitionnelle dans plusieurs pays arabes et africains, comme c’est le cas pour la Tunisie et le Togo. Aujourd’hui, le CNDH accueille une délégation de l’Instance vérité et dignité (IVD) tunisienne afin de lui permettre de mieux s’informer sur l’expérience marocaine en matière de justice transitionnelle dans tous ses détails. L’expérience marocaine dans ce sens est pionnière. C’est une expérience politique et humaine avec ses points forts et ses lacunes. Et l’objectif est de permettre à l’expérience tunisienne de s’en inspirer, ainsi que d'autres expériences semblables dans le monde. Cette rencontre sera consacrée aux discussions autour du contexte politique ayant accompagné notre expérience, les différents mécanismes adoptés par l’IER pour l’établissement de la vérité et l’analyse des contextes politiques et historiques des violations passées des droits de l’Homme dans notre pays. Il y a donc une valeur ajoutée à partager, sachant que le travail de l’IER a porté sur une période de 43 ans. L’expérience marocaine est de ce fait unique, car aucune expérience dans le monde n’a porté sur une aussi longue période. De plus, elle a instauré une nouvelle approche au niveau de l’intégration sociale et de la réparation de préjudices collectifs. Une approche genre a aussi été adoptée. Notre expérience a débouché sur des recommandations relatives à la réforme politique globale et la mise en place de garanties pour rompre définitivement avec les pratiques du passé.
Qu'est-ce qui caractérise le plus l’expérience marocaine ?L’expérience marocaine présente certaines particularités. La plus importante, c’est qu’on a ouvert ce dossier dans le cadre de la continuité, contrairement à ce qui s’est passé dans un bon nombre d’expériences comme en Afrique du Sud ou dans le Salvador ou d’autres pays qui ont connu l’émergence de nouvelles élites. Au Maroc, nous avons abordé les questions du passé dans le cadre de cette continuité sans qu’il y ait de rupture. Autre point important : l’IER n’a pas travaillé sur une seule forme de violations des droits de l’Homme, mais sur plusieurs formes, comme la disparition forcée, la détention arbitraire, la torture conduisant à la mort ou au handicap, les procès politiques… ce qui a permis l’établissement des responsabilités institutionnelles et collectives.
Où en est-on dans la mise en œuvre des recommandations de cette instance ?Tout d’abord, en ce qui concerne le remboursement et la réparation des préjudices, 85% des dossiers ouverts dans le cadre de l’IER ont été traités, la valeur financière de cette réparation est la plus élevée par rapport aux autres expériences de par le monde. Quant aux garanties demandées pour rompre définitivement avec les pratiques du passé, elles figurent en bonne place dans la nouvelle Constitution adoptée en 2011. La nouvelle Loi fondamentale fait référence en effet au droit à la vie et ses dispositions criminalisent la torture et les autres pratiques qui s’y apparentent. Elle reconnait aussi la justice comme un pouvoir indépendant et reconnait aux personnes ayant été condamnées à tort le droit de demander réparation. Notre espoir est que ces orientations constitutionnelles se concrétisent à travers de nouvelles lois.
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Le Maroc est pionnier dans le monde arabe en matière de justice transitionnelle
L’expérience du Maroc dans le domaine de la justice transitionnelle est pionnière dans le monde arabe, a affirmé, lundi à Rabat, la présidente de l'Instance tunisienne «vérité et dignité», Sihem Ben Sedrine. Mme Ben Sedrine, qui préside une délégation tunisienne de militants des droits humains en séjour au Maroc jusqu'au 5 septembre courant, a déclaré à la MAP que cette mission avait pour objectif de s'inspirer de l'expérience marocaine et de tirer profit notamment de ses volets «positifs et réussis».Elle a révélé que cette visite dans le Royaume était la première du genre pour l'Instance parce que «nous croyons que le Maroc est le premier dans le monde arabe à mener une expérience dans le domaine de la justice transitionnelle», notant que les rencontres de la délégation qui seront entreprises au Maroc seront l'occasion pour avoir une idée plus claire sur cette expérience et sur la mise en application des recommandations de l'Instance équité et réconciliation, en plus du processus de mise en œuvre de la justice transitionnelle au Maroc. Et Mme Ben Sedrine de préciser qu'au moment où les libertés d'expression, de l'action associative et de réunion «étaient confisquées en Tunisie, le Maroc nous a ouvert ses lieux publics, nous a fourni des occasions de travail, et cela restera à jamais gravé dans notre mémoire».Pour rappel, il a été procédé en juin dernier à l'installation de l'Instance tunisienne vérité et dignité que dirige Siham Ben Sedrine, fervente défenseur des droits de l'Homme et de la liberté de la presse. L'Instance a été chargée d'enquêter sur les violations des droits de l'Homme qui ont eu lieu en Tunisie entre les années 1955 et 2013, de révéler la vérité concernant ce dossier, de développer les moyens d'indemniser les victimes et de formuler des recommandations pour les réformes à introduire pour que les dépassements et les violations ne se reproduisent pas.
Sihem Ben Sedrine, présidente de l'«Instance vérité et dignité».