13 Décembre 2015 À 16:34
Le Matin : Votre film a eu le privilège d’être projeté en audiodescription pour les non-voyants et les malvoyants. Que pouvez-vous nous dire sur cette expérience ?Mohamed Mouftakir : J’ai été vraiment curieux de voir comment allaient réagir ces non et mal voyants. On m’a dit que ce sont eux qui avaient demandé que le film soit présenté en audiodescription. Franchement, c’était très bien avec une salle comble de voyants et de non-voyants et une bonne couverture médiatique. J’en suis très content. C’est un pas en avant de notre cinéma. Car cette technique permet plus de visibilité pour un film en impliquant une autre catégorie de public.
Si on voulait faire un bilan du FIFM après ses 15 années d’existence, quel serait votre constat en tant que cinéaste marocain ?D’abord, est-ce qu’un festival doit apporter quelque chose ? Si oui, quoi au juste ? Pour moi, un festival c’est en premier lieu un espace d’échange culturel. Découvrir d’autres cinématographies chez soi, en présence de leurs créateurs et présenter les nôtres en présence de nos compétences artistiques, c’est le rôle majeur d’un festival. Au début, en tant que jeune réalisateur, cela m’a permis d’apprendre certaines choses, d’être près des créateurs et de leur parler. Ce qui m’a procuré une certaine confiance, comme quoi, nous aussi, au Maroc, nous sommes capables de faire de très belles choses à la hauteur de ce qu’on nous présente à Marrakech.
Pour connaitre l’autre, l’approcher et communiquer avec lui, il faut déjà qu’il y ait une plateforme pour cela. Mais on remarque qu’au festival, il n’y a aucune initiative pour offrir un espace où les cinéastes d’ici et d’ailleurs puissent se rencontrer ?Je pense que ce qui manque vraiment à ce festival, ce sont les débats autour des films. Pourtant, dans les premières années du festival, il y avait des débats. Je ne sais pas pourquoi cette décision a été prise de ne plus les programmer. Une autre rubrique qui fait défaut dans le FIFM, ce sont les conférences de presse avec un public assez large. Ce qu’on peut voir, ce sont des rencontres entre cinéastes autour des repas. Mais cela dépend du degré d’ouverture de la personne.
Quand vous avez réalisé «l’Orchestre des aveugles», vous attendiez-vous à tout ce succès ?Quand je fais un film, je n'ai pas en perspective qu’il va être primé ou avoir un succès, parce qu’il n’y a pas de recette pour garantir cela. Moi, je voulais toujours faire des films sincères qui parlent de moi-même, sans pour autant être autobiographique. Pour cela, je me donne le temps pour écrire le scénario et le réaliser. Donc, si mes films interpellent les gens, cela veut dire que ces derniers sentent cette sincérité. Ils perçoivent que cette personne a envie de communiquer avec eux et leur parler. Il n’y a pas pire que l’indifférence pour faire souffrir le créateur. Je préfère un film qui est hué et non aimé à un film que les gens ne se donnent même pas la peine de terminer, c’est-à-dire un film ignoré.
Avec le recul, êtes-vous satisfait du film dans sa globalité ?L’artiste est un éternel insatisfait, parce que c’est cela qui lui donne la force d’entamer le prochain projet. Moi, je suis très sévère et très critique vis-à-vis de ce que je fais. Mes monteurs et tous ceux qui travaillent avec moi peuvent témoigner et dire à quel point je démolis et je massacre ce que je fais en cherchant une perfection que je n’atteins jamais. Et c’est ce qui me permet d’aller de l’avant pour obtenir encore mieux.
Vous êtes donc très rigoureux dans votre travail ?Je suis très dur et très exigeant dans mon travail. Avec ceux qui travaillent avec moi, je suis exigeant, mais poli et respectueux, et j’aime qu’on me le rende.
Et quels sont vos projets ?Je suis en train de draguer une idée. Ce n’est pas encore clair dans ma tête. Mais c’est toujours en rapport avec le père, son pouvoir, la symbolique paternelle. C’est une idée qui va évoluer et on va voir ce qu’elle va donner. Un petit mot sur le cinéma marocain. En dehors d’un véritable marché, c’est difficile pour le cinéma marocain de décoller comme ça. La volonté de produire des films ne suffit pas. On ne peut pas parler de cinéma en dehors des autres arts. On ne peut pas miser uniquement sur le cinéma. Il faut aussi miser sur le théâtre, la musique, la lecture, l’art plastique, sur l’art en général. C’est tout cela l’esprit d’un peuple, c’est-à-dire sa façon de s’exprimer artistiquement. Donc, s’il n’y a pas toutes ces disciplines artistiques, comment voulez-vous avoir du cinéma ? C’est un tout. Il faut un vrai projet de société. Une vraie volonté. Ce n’est pas uniquement la responsabilité de l’artiste, mais de toute la société pour donner un vrai décollage artistique.