15 Février 2015 À 15:03
«Dites-moi ce que vous enseignez, je vous dirai où vous menez». Tariq Ramadan, Professeur d’Études islamiques contemporaines à l’Université d’Oxford, interpelle ainsi les politiques arabes et le corps professoral sur l’importance de l’éducation et de l’enseignement pour l'avenir de la jeunesse. Une question qui conditionne le degré de citoyenneté et les aspirations de la jeunesse d’aujourd’hui, selon lui. Dans une salle comble à l’Université Mundiapolis à Casablanca, le jeudi 12 février, où il est également professeur invité, Ramadan n’y est pas allé par quatre chemins. «Nous vivons de vraies crises d’enseignement dans le monde arabe, comme occidental. Au Maroc, la question de l’enseignement est très importante. Enseigner, c’est apprendre à être, mais aussi à être utile. Je crois qu’il faut changer les modes d’apprentissage et les méthodes pour rendre nos jeunes plus responsables et les préparer efficacement au marché de l’emploi notamment», a-t-il déclaré lors de la conférence-débat «Jeunesse d’ici et d’ailleurs : cohésion sociale, malaise identitaire et aspirations». Une conférence animée aussi par Alain Gresh, ancien directeur adjoint au «Monde diplomatique». Pour ce dernier, il faut que les États arabes s’adaptent d’urgence afin de faire face aux revendications de jeunes de plus en plus exclus. Si les gouvernements des pays arabes ont une lourde part de responsabilité dans l’épanouissement des jeunes et leur préparation à ce nouveau monde fortement concurrentiel, les deux intervenants n’excluent toutefois pas le rôle essentiel des parents, de la société civile et des médias.
«Nous sommes aujourd’hui face à une confusion. Il nous faut une clarification de notre terminologie et de nos références, non dans un mode apologétique et défensif, mais dans un mode clair d’affirmation. Les jeunes Marocains vivent une véritable confusion. Je le remarque dans les enseignements que j’ai pu donner ici», s’est désolé Tariq Ramadan. Si les jeunes Marocains sont dans la confusion aujourd’hui, on ne peut pas tout leur reprocher, a insisté ce dernier, puisqu’on est confus dans le message qu’on leur transmet et aussi dans leur éducation. Il regrette ce partage entre traditionalisme et aspiration à l’Occident. «On est aujourd’hui en train de donner des éducations tiraillées et un peu schizophrènes», relève Ramadan lors de la conférence de presse.
Pour illustrer ses propos, Tariq Ramadan est revenu sur les derniers attentats de «Charlie Hebdo». «Pourquoi tenons-nous un discours défensif ? On n’a à s’excuser de rien, mais on a tout à clarifier en l’occurrence. Aujourd’hui, on oblige les gens à descendre dans la rue et à crier “Je suis Charlie” et on pointe du doigt celui qui n’est pas Charlie, même s’il condamne cet attentat. Vous savez, vos jeunes sont extrêmement influencés par les médias occidentaux, notamment les médias français. Cela a toujours été le cas, mais la confusion qui vient de là-bas s’installe de plus en plus ici. Je pense que le principal défi est de savoir comment être totalement en phase avec les questions de son époque sans avoir à renier son histoire, ses racines et sa référence musulmane. Il faut s’armer de confiance en soi et être fier de ses racines. Nous n’avons pas à nous défendre ou à nous justifier», recommande Tariq Ramadan. «On peut dire ce qu’on veut des médias occidentaux sur le fait qu’ils ne font pas leur travail, mais je ne suis pas toujours sûr que les médias d’Afrique du Nord fassent également leur travail. Vous êtes autant dans la confusion que vos collègues du Nord sur beaucoup de points. On parle d’islamisme, de radicalisme, mais on ne sait pas ce que cela veut dire. Dites-vous que les vraies questions ne relèvent pas que de la sphère religieuse et ces simplismes. Vous risquez d’aggraver les crises identitaires des jeunes Marocains qui ont besoin d’un travail critique et constructif de votre part sur les vraies questions socio-économiques et celles de développement», a-t-il dit en s'adressant aux médias marocains.