Conférence Internationale Du Sucre

Les pays émergents dans le nouvel ordre économique mondial

Nous assistons, indubitablement, ces dernières années à un basculement du centre de gravité de la croissance mondiale vers l’Asie. En effet, avec l’arrivée sur la scène internationale de nouvelles puissances, issues du Sud, la croissance et la gouvernance mondiales s’en trouvent complètement affectées.

Entre 2000 et 2011 certains pays émergents ont doublé leur part dans le commerce mondial des biens et services.bPh. Fotolia

15 Janvier 2015 À 18:05

LeLe concept de nouvelles puissances sous-tend les pays émergents qui partagent certains traits communs : taille de la population, dynamisme de croissance, modèles de développement et poids grandissant dans la chaîne de valeur mondiale. C’est le cas des pays comme la Chine, l’Inde, le Brésil, la Turquie, la Corée du Sud et la Russie. Force est opportunément de reconnaître que ces nouvelles puissances sont de nouveaux arrivants dans le club des pays développés, après s’être démarqués dans leurs politiques de développement des recettes imposées par des institutions internationales (Rodrik 2009), perçues comme des courroies de transmission de la puissance des «anciens pays industrialisés». En effet, l’ascension de nouvelles puissances contraste notablement avec le déclin des puissances classiques. C’est ainsi que des pays comme la France, le Royaume-Uni, les États-Unis, le Japon et l’Allemagne semblent perdre du terrain dans le processus d’innovation et de création de la richesse face aux nouvelles.La situation économique mondiale actuelle est la résultante de ruptures majeures dont les principales sont : l’ascension remarquable des pays émergents, la fragmentation de la production en diverses étapes se déroulant dans des pays différents en fonction de l’avantage compétitif de chaque pays, le transfert d’activités industrielles des pays développés vers les pays émergents, le vieillissement de la population des pays occidentaux et la tendance à la raréfaction de l’épargne au niveau mondial en raison de la faible propension au risque dans les pays d’anciennes industries, le commencement d’un processus d’investissement massif des pays émergents dans les filets de sécurité sociale et la demande interne ainsi que la montée en puissance d’une classe moyenne mondiale qui passera de 1,8 milliard de personnes en 2009 à 3,2 milliards en 2030. L’Asie, à elle seule, représentera 63% de la classe moyenne mondiale (Lorenzi, 2014).Tous ces phénomènes font que le monde actuel ne ressemble en rien à celui d’hier. De ce point de vue, le passage d’un monde unipolaire à un monde multipolaire où un ensemble de puissances désirent prendre part au processus de prise de décision au niveau international est une caractéristique majeure de l’époque contemporaine. Pour paraphraser Élie Cohen (2014), nous dirons que «nous allons vers un monde plus fluide, plus problématique, plus conflictuel, où il n’y aura ni autorité ni régulateur incontestés».

Le basculement du centre de gravité de la croissance mondiale vers les pays émergents

Dès lors, nous assistons à un processus de basculement du monde en faveur des pays émergents. En effet, la part de ces pays dans la richesse mondiale est en constante augmentation. Elle s’établirait en 2030 à 57% du PIB mondial. Ce qui en dit long sur les contours de la nouvelle gouvernance mondiale en gestation. Force est de souligner que l’écart entre les niveaux de PIB de plusieurs pays du Sud et de ceux du Nord ne cesse de se réduire. Cette tendance profite essentiellement aux pays d’Asie. Le groupe dit BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine), qui a été rejoint récemment par l’Afrique du Sud, illustre notablement ce phénomène de déplacement du centre de gravité de la croissance mondiale vers le Sud ou plutôt vers l’Asie. En effet, le poids de ce groupe dans le PIB mondial est passé de 16,4% en 2000 à pratiquement 21% en 2014, alors qu’en 1990 leur part ne dépassait guère les 6%. Du coup, les BRIC sont devenus des pôles de la croissance mondiale. En plus de cette puissance économique, les BRIC sont considérés comme des États continents en raison de leur superficie. En effet, ils représentent une surface de 38,54 millions de km², avec 17,10 millions pour la Russie, 9,64 pour la Chine, 3,29 millions pour l’Inde et 8,51 millions pour le Brésil. En outre, les BRIC sont des puissances démographiques en qu’ils totalisent 2 milliards et 884 millions de la population mondiale avec 1.341 millions pour la Chine et 1.210 pour l’Inde.

Les pays émergents dans l’offre et la demande mondiale

Entre 2000 et 2011, certains pays émergents à l’instar des BRIC ont doublé leur part dans le commerce mondial des biens et services. Leur participation croissante dans l’offre de produits manufacturés et de services a fondamentalement remis en cause la domination des pays avancés. Ainsi, leur part dans les exportations mondiales des biens est passée de 9,4% en 2000 à 20,8% en 2011, alors que pour les importations elle est passée de 7,5 à 19%. Force est de constater, que ce soit pour les exportations ou les importations des biens, que la Chine pèse lourdement dans cette évolution, dans la mesure où sa part dans les exportations mondiales des biens est passée de 5,2 à 13,2% entre 2000 et 2011. Tandis que pour les importations mondiales des biens, elle est passée de 4,4 à 12% pour la même période. De même, la part des BRIC dans les flux entrants des investissements internationaux est passée de 6 à 18% entre 2000 et 2011. La Chine accapare la moitié de ce total à destination des BRIC.

L’émergence des multinationales issues des pays du Sud

Si en 1990, 91,4% des firmes multinationales sont issues des pays développés, au début des années 2000, ce ne sont plus que 70,7% d’entre elles qui sont dans ce cas. Ainsi, le fait majeur de cette décennie est l’essor des firmes multinationales issues des pays du Sud. Le nombre de ces dernières est en effet passé de 2.800 à presque 18.000 entreprises. Un chiffre largement porté par les multinationales asiatiques dont la part est passée de 5,8 à 21,2%. Dans ce mouvement, les firmes chinoises et indiennes voient leur nombre augmenter progressivement. Par conséquent, les investissements directs étrangers (IDE) en provenance de ces pays se multiplient, les fusions-acquisitions provenant du Sud le sont aussi. Cette évolution est tirée à la fois par les échanges et le commerce international inter-entreprise, et l’émergence des processus de production mondiaux intra-entreprise. Tout compte fait, la part de ces multinationales du Sud dans les IDE et le mouvement des fusions-acquisitions a considérablement augmenté en passant de 10 milliards en 1993 à 80 milliards en 2005, dont la moitié est originaire d’Asie. En outre, c’est en Asie qu'a lieu une bonne partie de l’épargne mondiale. Les pays asiatiques, et notamment la Chine, ont tendance à développer leurs propres centres financiers. Du coup, les États-Unis ne sont plus la principale source de capitaux au monde. De plus, les trois premières banques du monde sont chinoises (Stiglitz 2010). Aussi, la Chine aide à financer les déficits budgétaires massifs des États-Unis et à racheter la dette de certains pays européens. Une tendance qui aura tendance à faiblir dans la mesure où les pays émergents se tournent de plus en plus vers le soutien à la demande interne et la mise en place des filets de sécurité sociale. Ce qui veut dire qu'il y aura de moins en moins d’épargne disponible pour le financement des économies occidentales. En d’autres termes, l’économie mondiale sera confrontée dans les années à venir au problème de la rareté de l’épargne. La montée en puissance des pays émergents est synonyme de changements majeurs au niveau de la gouvernance mondiale, de l’intensification de la concurrence autour de l’accès aux marchés et à l’approvisionnement en ressources naturelles et de la fin du modèle unique en matière de développement.

La nouvelle gouvernance mondiale en gestation

En effet, l’arrivée de ces nouveaux acteurs sur la scène internationale est susceptible de générer des changements notables au niveau de la gouvernance mondiale, qui est demeurée pendant longtemps exclusive en n'intégrant que les pays sortis vainqueurs de la Deuxième Guerre mondiale et les économies les plus performantes de la planète (G8). De ce fait, la création du G20 est l’illustration de ce monde changeant qui ne ressemble en rien à celui d’avant.La pression exercée par les nouvelles puissances se matérialise par la constitution de blocs solidaires (Ben Hammouda 2005) pour exiger un rôle important dans le processus mondial de prise de décision et demander des concessions des pays développés par rapport à la prise en compte de la dimension de développement dans les relations internationales. À cet égard, la constitution du G20 en 1999 est révélatrice de ces changements qui affectent la gouvernance mondiale. Il s’agit d’un groupe regroupant 20 pays en développement qui comporte de grandes puissances montantes comme l’Inde, la Chine, le Brésil, la Pakistan, l’Argentine, l’Afrique du Sud et l’Égypte. Le G20 regroupe les 20 pays les plus puissants de la planète. Depuis sa création, il est s’est mis en veilleuse. La crise économique internationale lui a redonné des couleurs. Elle lui a permis de se positionner comme un acteur capable d’assurer la régulation et la coordination de la mondialisation économique. En effet, dans un contexte de crise, le G20 avait le mérite d’avoir coordonné les politiques de relance. De l’autre côté, il a réussi, du moins en apparence, à mettre sur pieds une nouvelle régulation financière internationale. Tous ces éléments renseignent sur la fin du monopole exercé par les anciennes puissances sur les Institutions internationales et la nécessité de réformer celles-ci conformément à la nouvelle réalité mondiale telle que décrite ci-dessus.

L’intensification de la concurrence entre nouvelles et anciennes puissances : une chance pour les pays en développement

Par ailleurs, avec ce déplacement du centre de gravité de la croissance mondiale en faveur des pays émergents, la concurrence entre ces nouvelles puissances et les anciennes ne cesse de s’exacerber en vue d’attirer des investissements directs étrangers, de conquérir de nouvelles parts de marché et d’investir dans des pays considérés comme étant stratégiques en raison de leurs ressources naturelles, énergétiques, minières ou bien de leur potentiel de marché. Ce qui suppose la multiplicité des stratégies commerciales et financières, des modes de pénétration des marchés et du soutien aux entreprises investisseuses. Ces nouvelles stratégies s’appuient sur la mutualisation des efforts des secteurs public et privé et l’implication de plusieurs acteurs. Cette concurrence est très perceptible en Afrique où nous assistons à la multiplication des partenaires et des stratégies en raison des opportunités économiques qu’offrent les pays du continent. Effectivement, nous observons ces dernières années la présence d’une panoplie d’acteurs issus des PE dans le continent. D’où le regain d’intérêt que suscitent ces nouvelles puissances pour l’Afrique. Toutefois, aussi bien pour les anciennes que pour les nouvelles puissances, l’intérêt pour ce continent est motivé principalement par des considérations énergétiques et minières. On peut, tout de même, souligner l’importance de cette nouvelle situation pour l’Afrique en ce sens que l’intérêt des nouvelles puissances pour le continent est synonyme à la fois d’une diversification des partenaires et des sources de financement. Cela est d’autant plus intéressant que les relations commerciales et financières entre l’Afrique et les nouvelles puissances ne sont assorties d’aucune conditionnalité politique ou économique. Ce qui signifie une nouvelle marge de manœuvre pour les États africains dans l’élaboration de leurs politiques économiques de développement. L’Afrique saisira-t-elle cette opportunité qui lui permettrait d’abandonner le rôle d’acteur passif pour celui d’un acteur plus actif sur la scène internationale ? 

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